Room : les 1000 visages de The Feather
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
24/04/2020

Room : les 1000 visages de The Feather

Il est fascinant de voir à quel point un vécu peut s’immiscer dans un art, à quel point les aléas d’une vie résonnent sur des rythmes et des mélodies. Avec Room, l’artiste belge The Feather nous narre les fluctuations diverses qui auront traversé son existence au cours de ces dernières années : la maladie, la rémission, la paternité, l’inspiration. De l’ombre mais surtout de la lumière. Une ambivalence claire et brute qui se retrouve dans la multiplicité même des textures exposées, dans un album à l’éclectisme remarquable qui s’inspire d’univers variés rassemblés en un alliage efficace et touchant. 

Le multi-instrumentaliste liégeois troque ici la folk organique de son band Dan San pour explorer en solo les plaisirs de compositions plus étriquées. Des structures musicales dessinées par une superposition réfléchie de couches ici pop, ici électro, ici dreamy : une diversité déroutante qui ne porte pas préjudice à la cohérence du projet pour autant. Room est la métaphore même de cette pièce que vous chérissez tant, celle dont le côté bordélique vous apaise, mélangeant sans ordre prédéfini toutes ces babioles qui vous rendent heureux·ses. Faire de la musique pour le plaisir, sans trop se soucier des conjonctures froides d’une technicité barbante : voilà une philosophie créative qui se vaut. Sans transition, Thomas Médard passe ici d’une valse électrique vaporeuse à des explosions de basses plus funky, et c’est un pur régal.

Cet esprit de liberté est très certainement à relier avec une toute nouvelle façon d’appréhender les temps qui le traversent, notamment au regard d’une récente opération pour une tumeur cérébrale ainsi que les joies indicibles de la paternité. Deux événements qui suffisent à repenser son rapport à soi et qui éveilleront l’urgence d’exprimer cette perception toute neuve, bordée par une confusion vibrante d’émotions diverses. À travers les onze morceaux qui composent l’opus, The Feather tente de nous décrire les couleurs de son existence et nous présente, par la même occasion, les 1000 visages qui composent son identité musicale florissante.

Closer ouvrait le bal en octobre dernier pour dévoiler les premiers indices quant à la suite des futures détours musicaux du chanteur. Une entrée en la matière réussie qui posait déjà les bases d’une verve redirigée et différente. Résolument plus pop, le morceau garde cette silhouette indie qui rattache le titre à la discographie passée du musicien, tout en s’en démarquant par des notes rêvées d’électronique enivrante sur les refrains. À l’image de Beautiful Lie ou Low Days, le titre se voit caractérisé par une dualité de quiétude et de fougue qui fait tout son effet.

Sur SisterFirework et Stay Up, c’est le côté solaire et pétillant de The Feather qui s’exprime sur des compositions chaloupées et électrisantes. Les deux premiers s’appuient sur la finesse d’une basse galvanisante pour élever la température tandis que le dernier vient puiser dans la modernité de fracas bouncys type électro pour insuffler une fraîcheur particulière à l’opus. À elle seule, la triade suffit à assurer la partie lumineuse de Room et promet de jolis moments d’effervescence en live.

Le délicat Is It Enough To Try s’approprie les codes d’une folk familière à Médard qui use de riffs de guitare enrobants pour nous transporter sur une balade agréable et légère. Dans la même lignée, At Sea parvient à dépeindre l’allégresse et l’insouciance de l’océan en mouvement perpétuel, ici utilisé pour poétiser les thèmes langoureux de l’amour. Les flux ondulants présents dans la mélodie de Higher nous ramènent aussi à cette métaphore aquatique, immergeant instantanément notre attention dans une confortable composition éthérée, harmonieuse et céleste.

Finalement, Louder et Come First constituent le noyau dur de la galette. En voguant sur la fibre nébuleuse et semi-mélancolique de l’univers de l’artiste, les deux pépites offrent leur lot de sensibilité et le résultat est une vive réussite, reflet d’un travail de production léché. Le premier nous pousse même, par moments, à la comparaison flatteuse avec le groupe Son Lux. Deux douceurs qui invitent à la réflexion, à cette divagation mentale qui nous prend parfois sur certaines notes, certains arrangements, certaines montées instrumentales mélangeant soudainement vos doutes et vos envies. De la musique qui nourrit l’âme, généreusement.


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