« Rouen capitale du Rock », c’est ce qu’on a entendu lors de la soirée concert au « 3 pièces Muzik’Club » organisée par l’association Avis de Passage le 6 octobre dernier. Effectivement, avec une histoire riche de concerts depuis les années 1990 et des groupes qui continuent de porter l’étendard rock local avec MNNQS, WeHateYouPleaseDie ou Unschooling, Rouen a définitivement sa place sur la carte du rock en Europe. Avec EggS et Sinaïve ce soir-là, nous avons profité de la réputation de la ville et de cette salle de concert pour voir deux groupes indés qu’on suit depuis quelques temps déjà.
Le « 3 pièces » a été mis à l’honneur lors d’un concert de Squid, au 106 (la salle de musique actuelle de la ville) quelques semaines plus tôt. Lorsque le groupe anglais a dit qu’il jouait à Rouen pour la seconde fois et que leur tout premier concert international a eu lieu au “3 pièces”, la salle a applaudi chaleureusement. Cette reconnaissance pour un lieu qui depuis 10 ans poursuit la tradition d’une programmation éclectique de musique à guitare à Rouen, souligne toute l’importance qu’ont ces petites salles – le 3 pièces ne peut pas accueillir plus de 60 personnes dans son caveau – dans l’émergence de groupes indépendants.
Le 6 octobre, c’est EggS qui a ouvert les festivités. Le groupe parisien joue un indie-rock charriant de nombreuses influences. Les attaques tout de go avec plusieurs guitares mélangeant leurs sons à la voix légèrement poussée de Charles Daneau engagent tout de suite le corps dans une musique assez viscérale. Quelques inspirations surf-rock et des insistances garage pointent d’un joyeux tumulte. Dans le public, des ami·es du groupe viennent soutenir cet ensemble composé d’une basse, de trois guitares, d’un synthé, d’une batterie et d’une autre voix. Plaisantant avec une partie de ses proches, Charles Daneau tente de parler un peu au public mais, en souriant, se replonge vite dans son jeu de guitare.
La première partie reste un peu redondante autour de cette fanfare guitaristique. Mais lorsque la voix d’Erica Ashleson (Special Friends) ressort plus clairement, notamment sur les balades du groupe, les harmonies sonnent mieux et l’identité sonore d’EggS dépasse le cadre ultra référencé des premiers morceaux. L’album A Glitter Year, sorti en 2022, nous avait laissé une très bonne impression. On retrouve avec bonheur les morceaux de l’opus, notamment Local Hero, mais la formule du groupe a évolué, au moins pour ce concert. En effet Margaux Bouchaudon et Camille Fréchou d’En Attendant Ana, qui ont participé à l’enregistrement de l’album, étaient en tournée ce soir-là avec leur autre groupe. Les cuivres de Camille n’ont donc pas résonné au « 3 pièces » et c’est bien dommage. L’énergie de la bande de potes d’EggS a toutefois emporté l’adhésion du public qui en redemandait à la fin de la dizaine de morceaux proposés.
Le temps de prendre l’air anormalement chaud d’un mois d’octobre estival sur cette planète bouleversée et nous redescendons déjà dans le caveau pour la seconde partie de soirée. Il y a moins de monde cette fois-ci. Le groupe Sinaïve, encore jeune, n’a pas autant de soutien local. Venant tout droit de Strasbourg, le trio enchaîne les petits concerts pour diffuser les morceaux de leurs trois premiers EP’s. Dasein (2020), Super45T (2022) et Répétition (2022) avaient accroché notre oreille au moment de leurs sorties. Le morceau Trash Mental propose un son revival sixties mâtiné de tout un univers post-punk qu’on sent remonter dès que la guitare se fraye un chemin. Dans notre playlist c’était ce dernier qui avait le plus tourné. Mais en live, on a redécouvert toute la profondeur des influences de Sinaïve.
Calvin Keller, le chanteur et guitariste du groupe n’accepte de signer les vinyles que sur la face arrière pour ne pas dénaturer l’objet. Du haut de son mètre 96 et de ses yeux bleus perçants, il a moins d’égards pour sa guitare qu’il plaque contre l’ampli entre deux va-et-vient rythmés, tout de suite mis en loop à l’aide de ses pédales. Vous l’aurez compris, Sinaïve joue un son noisy aux accents shoegaze. Mais les paroles poétiques et provocantes, peinturlurées de ces riffs de guitare stridents, augmentées du rythme diabolique imposé par la batterie d’Alicia Lovich et de la basse de Séverin Hutt, maintiennent une tension dans chaque morceau invoquant une cold-wave féconde. En live les morceaux longs et tortueux comme Citadelle/Bis Repetita provoquent l’extase de l’auditeur·ice qui s’enfonce toujours plus loin dans les territoires étranges de la musique rock.
Le charisme du trio, qui repose sur une distance savamment entretenue par un masque facial, mélange de concentration et d’allez-vous-faire-voir, s’ajoute aux morceaux exquis à écouter en live. Sur Trash Mental, les paroles Dieu merci je ne viens pas de Paris sonnent avec d’autant plus de force que tout le monde ce soir-là le sait bien, malgré le centralisme français, le rock dans et depuis les provinces a de vraies choses à dire. Longue vie à Sinaïve, on suivra ce groupe avec grand intérêt dans leurs prochaines aventures musicales. Et on reviendra au 3 pièces Muzik Club pour découvrir ce que les musiques avec des guitares ont à proposer.
Je soutiens la thèse que Lana Del Rey est la nouvelle Bob Dylan.