RTJ4, ou la Bande Son de la Révolution
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Auteur·ice : Augustin Schlit
20/06/2020

RTJ4, ou la Bande Son de la Révolution

Début juin, Killer Mike et El-P nous ont gratifiés d’une sortie anticipée de leur quatrième album, toujours aussi sobrement nommé RTJ4. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que les deux quarantenaires les plus pertinents du game ne sont pas venus pour faire de la figuration, et nous offrent sans doute leur album le plus politique à ce jour. En même temps, les mecs ont eu tout un mandat de Trump pour cumuler de la matière avant de déchaîner le fruit de leur travail au moment où il fera le plus de bruit. Autant le dire tout de suite, c’est une victoire par K.O.

Cela fait maintenant sept ans que le duo le plus improbable du rap made in US met des high kicks dans la fourmilière qu’est la société américaine, et ce à grands renforts de bangers bien sentis et de discours d’une abrasivité qui ferait pâlir un jeune Malcom X. Run The Jewels (RTJ pour les intimes), c’est une réponse simple et brutale à tous les cyniques qui considèrent que le rap n’est plus capable de porter un discours social, trop occupé à se toucher la nouille dans sa piscine remplie de dollars.

En 2016, la formule de RTJ semblait pourtant battre un peu de l’aile. En effet, sur son troisième album, le duo semblait déjà avoir atteint une certaine vitesse de croisière et augurait les premiers signes d’essoufflement de sa formule. La faute sans doute à une montée en puissance tellement fulgurante qu’elle avait laissé trop peu de temps aux deux compères pour prendre du recul sur les trois années qui avaient suffi à les hisser parmi les artistes les plus demandés de la planète rap. Premier constat, donc, Killer Mike et El-P semblent avoir appris de leurs erreurs, puisque quatre années séparent RTJ4 de son prédécesseur, à savoir plus de temps qu’il ne leur en avait fallu pour enchaîner leurs trois premiers opus. En résulte un album puissant, qui ne lâche son audience qu’à de rares moments de respiration, seulement pour reprendre de plus belle quelques secondes plus tard. Les invités sont légions, le discours corrosif, les productions jouissives.

Yankee and the brave, premier morceau de l’album, fonctionne comme un coup de semonce. On comprend tout de suite que les gars ne sont pas là pour rigoler (au cas où on en doutait encore). Le beat est saccadé, puissant, presque angoissant, tandis que Killer Mike ouvre les hostilités sur un flow implacable. On passe ensuite à Ooh La La. Un morceau aux tonalités plus old school, que l’on doit à une participation d’un Dj Premier qui ne semble pas perdre de sa superbe au fil des années. Le titre reprend le refrain du morceau Gwytt, du mythique duo Gang Starr (Guru+Premier) et offre une parenthèse plus légère et clairement bienvenue avant de passer au vif du sujet. Et de fait, notre repos est de courte durée, puisqu’une fois entamées les premières notes de out of sight, on sent qu’on a passé le point de non-retour. Les bangers s’enchaînent alors avec une constance qui force le respect. El-P et Killer Mike veulent en découdre, et ça se sent. Les textes sont brutaux, sans ambiguïté, et n’épargnent personne. Mention spéciale à walking in the snow, dont il est difficile d’imaginer que la plupart des textes ont été écrits il y a plus de six mois, tant ils illustrent parfaitement les événements auxquels l’Amérique fait face ces dernières semaines. Cette sensation est d’ailleurs renforcée par l’enchaînement avec JU$T, sans doute le point culminant de cet album puisqu’il apporte non seulement le refrain le plus grisant du projet – Look at all these slave masters posing on your dollar – mais surtout pour l’association imparable entre la hargne de Zach de la Rocha et le groove de Pharrell Williams, qui donne au morceau une saveur toute particulière.

Avec ce quatrième disque, Run The Jewels ont donc réussi à réunir tout ce qui faisait de leur association un projet unique. Un équilibre presque parfait entre une musique capable de retourner un stade, tout en portant un discours politique capable de nous retourner le cerveau. Résultat, on ressort de là à la fois épuisés et remontés à bloc ! RTJ4 est, aujourd’hui, un disque essentiel dès lors qu’on l’examine dans le contexte historique qui l’a vu naître. Car au milieu d’un monde en pleine crise sociale, politique et sanitaire, la musique de Run The Jewels fait plus que jamais écho dans nos petits cœurs de révolutionnaires prêts à tout pour combattre l’injustice sociale. Et qu’est-ce que ça fait du bien…

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