Safer : comment (vraiment) lutter contre les violences sexistes et sexuelles en milieu festif ?
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
31/08/2023

Safer : comment (vraiment) lutter contre les violences sexistes et sexuelles en milieu festif ?

| Photo : Diego Mitrugno

Si on sait qu’aucun lieu de l’espace public n’est épargné par les violences sexistes et sexuelles (abrégées VSS), force est de constater que les milieux festifs, incluant les festivals de musique, demeurent un terrain d’observation particulièrement déplorable. À l’heure des campagnes de surface et des dispositifs maladroits, on a suivi l’équipe de Safer au festival marseillais Marsatac (les deux étant portés par l’association Orane), pour en apprendre davantage sur les (bonnes) façons de lutter contre les VSS en festival.

La page d’accueil du dispositif français Safer nous l’annonce d’entrée de jeu : selon plusieurs études menées en France, 50% des femmes ont déjà été victimes de violences sexuelles ou se sont senties en insécurité dans un lieu festif, et 41% d’entre elles ont déclaré s’être déjà fait agresser sexuellement dans un lieu festif. Face à ce constat, la plateforme Safer a développé en 2020 un plan d’action inédit, aussi moderne que stratégique, et qui nous redonne confiance en un avenir festif un peu plus safe. Testé en 2021 au festival marseillais Marsatac, le dispositif a été déployé en 2022 dans 78 événements à travers la France, dans les grands et petits festivals du pays, avec une force de frappe inattendue.

Le dispositif s’appuie sur 3 piliers : une équipe sensibilisée et encadrée présente sur place le temps de l’événement, un stand, lieu d’échange et d’écoute des victimes, une application, dont l’utilisation anonyme rend visible les violences et permet d’intervenir le plus rapidement possible. Safer a déjà été déployé sur 77 événements, dont le festival marseillais Marsatac, durant lequel on a pu comprendre comment les concerts (mémorables) de Aya Nakamura, Ascendant Vierge, ELOI ou encore PLK étaient tous sécurisés (en partie) via la plateforme anti-VSS.

La Vague Parallèle : Comment utiliser l’application Safer ?

Safer : L’avantage avec Safer, c’est que c’est le même dispositif déployé sur toute la France. Donc si les usager·ère·s installent l’app à un festival, c’est la même interface qui leur servira ailleurs. Le téléchargement se fait tout simplement via des QR codes affichés  partout dans le festival. L’application fonctionne de la même manière partout : dès qu’une personne se sent en situation de VSS, elle peut le signaler facilement sur l’interface. Les victimes évaluent la gravité de l’évènement signalé selon trois degrés : “je suis gêné·e” – “je suis harcelé·e” – “je suis en danger”. Le niveau sélectionné va entraîner une réaction proportionnée de la part de nos équipes de bénévoles.

LVP : Qui sont les bénévoles qui font tourner Safer ?

Safer : Pour être bénévole chez nous, il faut avoir validé certains critères en amont via un questionnaire. Ce sont le plus souvent des personnes sensibilisées, déjà éduquées et investies quant aux questions et problématiques qu’on touche avec Safer.

LVP : En quoi consiste la mission des bénévoles Safer ? 

Safer : Les bénévoles vont assurer des maraudes, en équipe, sur l’ensemble du festival, et réagir à des alertes reçues sur la plateforme digitale Safer. Ces alertes sont signalées par des personnes en situation d’insécurité sur le festival. Un système de géolocalisation indique aux bénévoles où se trouvent les personnes dans le besoin.

LVP : Une action est-elle mise en place sur les personnes autrices de faits d’agression également ?

Safer : Selon nous, c’est l’aspect de la mission le plus difficile à gérer. La plupart du temps, on a tendance à gérer les agresseur·euses de façon punitive : tu as un comportement déplacé, qui ne respecte pas les notions de consentement d’une tierce personne, tu es directement expulsé·e. Cela fait partie du règlement d’ordre intérieur du festival en lui-même, donc l’expulsion se justifie.

LVP : Qui assure l’expulsion ?

Safer : Ce protocole ne nous concerne pas. Le rôle du ou de la bénévole s’arrête à la médiation. On ne voudrait pas que nos bénévoles se retrouvent face à des situations qui dépassent leurs compétences, et qui risqueraient de les mettre mal à l’aise, ou carrément en situation d’insécurité. L’expulsion, c’est l’affaire du service de sécurité du festival, avec qui nous travaillons main dans la main. Si un·e de nos bénévoles arrive sur une scène d’agression, les responsables Safer sont directement contacté·es, géolocalisent l’endroit via l’application mobile et passent un coup de talkie-walkie à la sécurité, qui envoie directement une de ses brigades volantes sur place. L’agresseur·euse est alors pris·e en charge par leur service. De notre côté, on s’occupe des victimes, des témoins, ou toute autre personne qui a besoin de soutien face à l’agression qui vient d’être signalée.

LVP : Quels sont les critères qui font qu’un événement signalé sur votre app est considéré comme une agression ?

Safer : Chez Safer, on part du principe que toute personne qui témoigne d’une agression, quelle qu’elle soit, c’est qu’elle a réellement ressenti quelque chose. Les gens ne signalent jamais pour rien. Donc tout est pris au sérieux, tout est pris en charge. On considère et analyse chaque signalement, et on agit en fonction de la gravité de celui-ci. En général, on se réfère à ce que la loi considère comme une agression sexuelle, et on se calque là-dessus.

LVP : Une fois que l’agression est neutralisée, votre action s’arrête ?

Safer : Non. En interne, on va remplir des fiches d’incident, avec le consentement de la personne victime d’agression qui choisit ou non de garder l’anonymat. On va croiser ces fiches avec les rapports de la sécurité qui a agit sur l’agression, et on va consigner tout cela en interne. Le but étant de constituer des preuves indirectes pour pouvoir aider la victime dans le cas où elle veut porter plainte par la suite. Donc l’action de Safer dépasse les frontières du festival.

LVP : Observe-t-on une corrélation entre le type de musique programmée et le nombre de signalements ?

Safer : On sait qu’un festival de musiques électroniques, au vu du fait qu’il se déroule la nuit, est sujet à davantage de risques. Donc on prévoit nos équipes en prévision. Cela dit, ce n’est pas pour cela qu’un festival de jazz “de jour” avec un public majoritairement composé de quarantenaires est totalement safe non plus. Il y a une nouvelle éducation à donner à nos anciens, qui ne se rendent pas aussi facilement compte que telle ou telle situation est une situation de VSS.

LVP : Comment mettre en place Safer au sein de son festival ?

Safer : Lorsqu’on nous contacte, notre assistante de coordination et de diffusion va mener des entretiens avec les différents festivals pour détailler notre dispositif, notre approche, notre mentalité. On impose au festival de trouver l’association composée de professionnel·les qualifié·es pour prendre en charge les victimes, et pour cela on peut les aiguiller en leur fournissant la liste de tous les plannings familiaux de France. Une fois que l’association est trouvée et contactée par le festival, plusieurs cas de figure se présentent. Soit on fournit seulement le matériel (mook d’instruction du dispositif, signalétiques, chasubles) et le festival s’occupe de recruter et former ses bénévoles. Ou alors, notamment sur les festivals qui implantent Safer pour la première fois, on peut nous-mêmes nous déplacer pour mettre en place le dispositif, s’assurer que la signalétique soit visible, que les bénévoles soient briefé·es, que l’app fonctionne bien…

LVP : Donc il y a cette volonté de laisser les festivals gérer le dispositif de façon autonome ?

Safer : Exactement. Même si on peut toujours se déployer sur de gros festivals avec de plus grosses jauges. Mais depuis l’an dernier, on se rend déjà compte que certains festivals gèrent de façon autonome, et avec succès. De notre côté, on fait toujours un bilan avec les festivals pour savoir comment ça s’est passé, recevoir les feedbacks et relever le nombre de signalements.

LVP : À quel coût s’élève le dispositif pour les festivals ?

Safer : Qu’on se le dise : on n’est pas cher. En réalité, le prix du dispositif est adapté à la jauge du festival, et des billets vendus par exemple. On a également la chance d’avoir une aide de la Région Sud, qui nous permet de proposer une offre préférentielle aux festivals de la région. L’avantage, c’est qu’une fois que le festival paie pour les équipements (mook, chasubles, signalétiques), il peut le réutiliser les années suivantes. Donc c’est un investissement sur le long terme.

Plus d’informations sur le site internet de Safer.

Tags: Marsatac | Safer

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