Il est des rencontres dont on ne ressort pas tout à fait indemne. Des conversations-lumière qui nous touchent, nous bouleversent, nous (r)éveillent. Profitant de la sortie de son nouvel album UFO RELIGION et de son séjour parisien, nous avons donné rendez-vous à l’autrice-compositrice québécoise Safia Nolin. Rencontre avec une artiste dont l’osmose du talent, de la bienveillance et de l’esprit inspire.
Ensemble, nous avons parlé de son disque mais aussi de l’industrie de la musique, de l’évolution de la consommation et de la nécessité de repenser la création. C’est d’ailleurs une question que Safia nous confie s’être posée : est-ce encore pertinent de produire des albums quand presque plus personne ne les écoute ? Si on a quelque chose à dire, une proposition à offrir, sans doute que oui. C’est d’ailleurs ce qui semble l’avoir motivée à renouer avec ce format qu’elle avait délaissé pendant sept années. Résultat : comme une main tendue, Safia nous offre un disque aux allures de refuge, une parenthèse dans ce monde à grande vitesse.
Enregistré dans la nature avec peu ou prou sa voix, un bugle et deux guitares, l’album fait la part belle aux imprévus et à l’imperfection qu’il sublime. Loin de toute prétention, UFO RELIGION est un disque dont le minimalisme révèle sa beauté et nous transcende. Sans artifice, Safia partage une collection d’instantanés de vie. On se laisse ainsi happer par sa sensibilité et sa vulnérabilité qui en écho laisse les nôtres surgir. Coup de maître ou de génie : de cette apparente noirceur, la lumière jaillit.
La Vague Parallèle : Salut Safia, on se rencontre quelques jours avant la sortie de ton nouvel album UFO RELIGION. Comment ça va en ce moment ?
Safia Nolin : Je me sens bien. Je suis contente de sortir un album. Ça m’angoisse un petit peu parce que ça fait longtemps que je n’en ai pas sorti, ça me met un petit coup de stress mais maintenant je suis plus outillée pour vivre la sortie d’un album : je n’ai pas de grandes attentes de commercialisation, je suis rendue indépendante et je suis aussi plus vieille.
LVP : La dernière fois que tu as sorti un album c’était en 2018 avec l’excellent Dans le noir. Entretemps, tu as publié de nombreux projets. Tu reviens cette fois au format de l’album. Est-ce que tu appréhendes cette sortie d’une manière particulière ?
Safia Nolin : Pas tant, pour moi ce n’est pas différent des autres sorties depuis 2018.
LVP : Est-ce que tu as des attentes ou des ambitions pour cet album ?
Safia Nolin : J’ai des ambitions mais je n’ai pas d’attente. Je pense que ce que les dernières sorties m’ont appris, c’est que même si je ne suis pas Billie Eilish 2 je le vis quand même bien pis je suis contente. Je pense que cette fois pour les gens c’est différent parce que c’est un album complet. C’est comme si avant j’avais donné des encas. Je ne sais pas comment l’expliquer, pour moi c’est comme ça qu’on consomme la musique maintenant, sous forme de goûter pis c’est comme si d’un coup j’avais décidé de leur servir un repas. Mais pour moi, je l’ai juste construit en plein de petites bouchées.
LVP : Tu penses que ce serait possible de ne pas sortir d’albums et de ne faire que des projets comme tu as sortis ?
Safia Nolin : Non je ne pense pas honnêtement. Je pense que les rappeurs peuvent faire ça. Et moi je voulais trop le faire donc j’ai essayé mais c’est vraiment compliqué. Les gens ne te prennent pas au sérieux. Enfin, je pense que le public te prend au sérieux, prend ça pour des vrais projets mais les gens de l’industrie de la musique t’explique que tu as besoin de faire un album pour faire de la tournée, pour pouvoir faire de la promo, pour pouvoir tout faire tsé. Pis ça je comprends mais je trouve que c’est peut-être à repenser, à retravailler. Je n’ai pas la solution. Je ne sais pas exactement comment fonctionne l’industrie de la musique en France enfin je la connais mais pas beaucoup, mais au Québec je la connais très bien et ce n’est pas un système qui est en adéquation avec comment les gens consomment la musique. C’est compliqué.
Je me suis aussi beaucoup posé de questions récemment parce que j’ai fait un projet de théâtre. Il y a beaucoup de ventes au théâtre. En fait, depuis la Covid, il y a plus de gens qui vont au théâtre et qui achètent des livres au Québec. Je crois qu’en France, ça doit être la même chose mais peut-être pas. La culture du théâtre est tellement différente ici. Au Québec, le théâtre c’est un peu comme une niche de gauche. Enfin pas comme une niche de gauche mais ici, il y a des pièces comme « Ma belle-mère est aussi ta femme ». Ça, ça n’existe pas au Québec. Nous le théâtre c’est presque comme les musées, des institutions, des endroits où il y a des programmes où tout est finement choisi. C’est beaucoup de monde passionné parce que ce n’est justement pas commercial.
Je réfléchissais et je me demandais pourquoi est-ce que le théâtre et les livres fonctionnent plus ? Je me suis rendue compte, comme tout le monde je pense, que la musique a tellement été démocratisée, c’est tellement facile de la consommer maintenant que ça a enlevé toute l’espèce d’exclusivité et le phénomène de rareté. Si tu veux aller voir une pièce de théâtre, il faut que tu achètes ton billet, que tu y ailles et ensuite tu consommes. C’est un peu la même chose pour le cinéma. Je ne sais pas si ça fonctionne bien en ce moment. Quoique non ce n’est peut-être pas un bon exemple à cause des plateformes de streaming. Mais en tout cas, le théâtre tu ne peux pas le consommer autrement. Pareil pour les livres, tu ne peux pas les consommer autrement qu’en les achetant. La musique, tu peux l’écouter sur YouTube tsé.
Pis après ça, aller voir un spectacle c’est là que c’est compliqué parce qu’avant il fallait acheter la musique pour la consommer. Tu te mettais à avoir un attachement super fort parce que tu n’écoutais pas toutes les musiques du monde, tu avais 25 albums chez toi. Faque quand ton artiste préféré dont ça faisait comme 350 millions de fois que tu écoutais son album, venait en spectacle, c’était fou. C’était complètement fou ! J’en ai vécu des expériences comme ça, d’aller voir des artistes en spectacle, d’être complètement fan pis d’être genre « Aaaah »… Mais ça m’arrive rarement pis c’est des albums que j’écoute sur vinyle.
LVP : Oui, c’est complètement une autre manière de consommer la musique.
Safia Nolin : Oui. Même en merch après les spectacles, je vends presque juste des vinyles. Ça vend très, très bien, c’est ça qui est cool. Mais il faut vraiment builder notre façon de faire la musique pis comment on la commercialise sur deux choses différentes mais c’est pas ça qui se passe. Ce qui se passe, c’est que les gens commercialisent sur un chemin mais le chemin on sait pas c’est quoi. Ce serait mieux de faire une version « on l’écoute au complet, en album, en vinyle » et de l’autre côté si tu veux faire une playlist Spotify ou je sais pas quoi tsé.
LVP : Tu sembles avoir un rapport continu à la création. On a l’impression que tu as toujours plein de projets. À quel moment a émergé l’idée de faire cet album ? Est-ce qu’il y a eu un point de départ spécifique ?
Safia Nolin : Ça fait longtemps qu’il y a des gens autour de moi qui me disent que je devrais faire un album : ma sœur, mon ancien manageur, des ami·es et même des gens du public. Je répondais toujours non et à un moment donné j’ai eu l’impression qu’il m’en restait un, je le sentais. Je n’avais pas fini de faire des albums, même si ça faisait depuis 2018 que je n’en avais pas fait. Pis là récemment, je me suis retournée et je me suis dit : « C’est bon. Quand j’aurai fini la pièce de théâtre, je pense que je serai prête. » Je me suis retournée et j’avais huit chansons. J’étais prête. Je me suis dit que j’allais composer des chansons mais finalement non, je les avais déjà. J’ai composé genre deux chansons je pense pis c’est tout. Le reste ça faisait depuis trois ans que j’avais une banque de morceaux que j’avais composés. Au final, c’est ça que je trouve intéressant. Je ne me suis pas forcée pour créer ces chansons-là, quoique me forcer pour composer ça ne fonctionne pas dans mon cas. Je les ai faites en me disant : « Je ne sais pas exactement ce que je vais faire avec ces chansons-là. »
LVP : Malgré tout, est-ce que tu dirais qu’une idée, une vision ou une envie particulières ont guidé la création de ton disque ?
Safia Nolin : Oui quand même mais ça allait avec un album dans ma tête. Je voulais enregistrer dans la nature mais pour moi ce n’est pas une chose qui se prête bien pour faire des singles.
LVP : Tu penses que pour ça il vaut mieux un ensemble plus développé ?
Safia Nolin : Oui, ça vaut la peine pour un truc plus long. Pis c’est ça qu’on a fait et c’était vraiment super ! Pour vrai, j’ai fucking aimé faire cet album-là. C’était en plein été, on a vécu plein de choses.
LVP : Vous l’avez donc enregistré dans la nature, ce n’est pas banal. Comment c’est arrivé ?
Safia Nolin : C’est crazy comme histoire. Mais c’est vraiment beaucoup de détails, ok ?
LVP : Allons-y !
Safia Nolin : En juillet, je suis allée en vacances en Espagne avec des ami·es. Je me suis baignée dans une piscine un peu weird. Je ne suis pas dégoûtée des choses d’habitude, je me suis comme « Oh whatever ». Mais là j’ai eu la première infection urinaire de ma vie, qui est montée directement dans mes reins. Entre temps, j’ai attrapé une bactérie je ne sais où, d’après moi c’est à Montréal dans un parc aquatique. J’avais une infection aux reins et une bactérie dans l’intestin. C’était l’enfer. J’ai été à l’hôpital pendant quatre jours et ça commençait à empiéter sur mes dates de studio. Faque je suis sortie de l’hôpital, j’ai passé une nuit à la maison et après je suis partie enregistrer l’album direct. C’était fou ! On est allé·es dans la forêt. On a loué un chalet pendant dix jours, proche des lignes américaines dans le sud de Montréal. On a enregistré les guitares dans un champ en pleine nuit. On a aussi enregistré devant la maison et dans une sorte de pile de sable, comme une carrière de roches à ciel ouvert. Faque la faune n’est pas pareil. Des fois il y a de l’eau, des fois il y a des criquets et aussi des cigales.
LVP : C’était un projet que tu avais en tête ou c’est un concours de circonstances ?
Safia Nolin : J’aime beaucoup le found footage. Mon film préféré et mon inspiration de tout mon art c’est The Blair Witch Project. J’avais envie que ce soit ça, que ce soit « comme si on a trouvé un truc ». Après ça sonne beaucoup plus clean que si je l’avais enregistré à l’iPhone. Mais j’avais envie que ce soit comme quelque chose que tu trouves quelque part et qui n’a pas de rapport, qui est un peu inattendu, comme deux guitares dans le bois.
LVP : C’est trop bien de porter ce type de projets. On se demande si l’industrie de la musique serait prête à accepter davantage ce genre de créations.
Safia Nolin : Je ne sais pas. S’il y a plus de gens qui le font, oui. Ce serait bien. Je pense que la décroissance est la solution à absolument tout. Mon psy m’a full aidée pis pour moi l’album est vraiment tiré de ça aussi sans que je m’en sois rendue compte. Parfois, je suis en thérapie et mon psy me dit : « quand tu marches, marches plus lentement, ça va calmer ton système nerveux ». Ça m’aide tellement et ça fonctionne énormément. Pour moi, l’album, c’est ça tsé.
LVP : Sur cet album, tu signes les paroles et la musique à l’exception de nos mauvaises langues. On retrouve parfaitement ton monde, ton univers sonore et ton écriture, quelque chose d’à la fois sincère et poétique. Est-ce que tu as eu un processus créatif spécifique pour cet album-ci, même si tu nous disais plus tôt que tu avais composé la plupart de ces chansons sans avoir en tête l’idée d’un album ?
Safia Nolin : Non pas du tout. C’était comme des petits morceaux que j’ai ficelés ensemble ensuite. Mais après, je suis une personne très intense, personnellement et artistiquement. J’ai pas l’impression que ce soit ma signature mais c’est plus que tout va ensemble parce que tout est fait un peu de la même façon. Je suis une personne très intense peu importe ce que je fais.
LVP : En écoutant ton disque, on a l’impression que tu reviens à une musique plus épurée, plus brute, avec une instrumentation assez minimale et peu d’artifices donnant ainsi naissance à des morceaux aussi beaux que forts. Est-ce que c’est un parti pris artistique, un statement au-delà des réalités économiques qu’implique le statut d’indépendance ?
Safia Nolin : Non c’est vraiment un statement. Il pourrait y avoir cette question du budget mais je suis déjà allée en studio pis on a fait des morceaux avec des batteries, des basses, etc. Ça coûte plus cher effectivement mais là c’est surtout ce que j’avais envie et besoin de faire. Aussi, je pense qu’en ce moment il y a la place pour ça. Je me souviens que lorsque j’ai commencé à faire de la musique, j’ai failli faire des choses que je n’avais pas envie de faire musicalement parce que le folk était trop partout. Il y en avait trop. Là, il y en a moins.
LVP : Il y en a moins effectivement, ça permet de respirer et de peut-être plus en profiter.
Safia Nolin : C’est ce que je me suis dit. Je me suis dit : « Je ne sais pas à qui ça va faire du bien, mais ça va faire du bien, ça va me faire du bien ». Je suis pour le fait de prendre un pas en arrière et de s’asseoir, même dans la musique. Puis aussi, la dernière fois que j’avais sorti des chansons acoustiques c’était sur mon double album SEUM, c’était des versions déclinées parce qu’il y avait ces deux parties de moi que je peinais à mettre ensemble. Là, c’est cette partie acoustique que j’ai eu envie d’approfondir et de partager.
LVP : Comme on le disait tes chansons sont épurées, ce qui nécessite de trouver le bon équilibre entre le trop peu et le trop. Est-ce que tu arrives facilement à trouver le bon dosage, est-ce que c’est une chose qui t’apparaît clairement ?
Safia Nolin : Non, c’est très clair pour moi. Ma musique est un peu comme une carte, un Polaroïd d’un moment précis. Faque pour moi, il y a beaucoup de choses qui se font dans la vibe : sur cette prise-là je sens que j’écoutais plus Marc avec qui je joue ou il m’écoutait plus, ou il y avait plus de cigales, etc. C’est un truc de dynamique. C’est presque dans l’invisible. C’est ça qui est bizarre parce que quand tu fais un mix avec de la basse ou du drum, tu peux faire rentrer ou enlever des choses comme ça pis ça dynamise la chanson. Mais là, c’est une histoire de fréquence. La dynamisation est plus dans les fréquences et dans comment on jouait.
LVP : Ce qui doit être ajouter un enjeu lors de l’enregistrement.
Safia Nolin : C’est ça, c’est un enjeu. C’est comme une contrainte vraiment le fun tsé parce que quand tu enregistres par exemple de la basse en studio, il y a du bruit faque si tu bouges un peu, on ne l’entend pas. Là, si tu bouges pis que ça craque, ça peut être complexe. Après ça, c’est ce que j’adore : l’imperfection, les bruits, les surprises. Faque c’est mon genre de processus.
LVP : On manque un peu d’imperfection que ce soit en enregistrement ou même en concert…
Safia Nolin : Oui, c’est vraiment chiant ! Je suis tellement d’accord. Vive l’imperfection !
LVP : Pendant la création de ce disque, tu as été guidée par cette idée de nature. Souvent les inspirations ne sont pas forcément conscientes, ce sont des choses qui nous ont marquées, qu’on a emmagasinées et qui ressortent mais est-ce qu’il y a d’autres choses qui t’ont inspirée comme par exemple un album, un livre, un film, etc. ?
Safia Nolin : J’ai beaucoup écouté l’avant-dernier album d’Adrianne Lenker, songs. Je l’ai même énormément écouté. C’est beaucoup de guitare acoustique. Je me suis rendue compte vraiment rapidement que je l’écoutais encore énormément, quand je conduis, quand il y a un album à mettre. Pis je suis comme : « Ok, cet album-là, il m’a marquée ». Je connais la tracklist de l’album par cœur. Je n’ai pas eu une relation avec un album complet aussi forte qu’avec celui-là depuis ultra longtemps. Ma blonde a sorti plein d’albums avec lesquels j’ai une relation super particulière, j’ai aussi une relation spéciale avec mes propres albums mais d’aimer un album de A à Z et d’avoir une connexion avec quelqu’un que tu ne connais pas c’est quand même fou. Ça m’a toujours fascinée. Je trouve ça fascinant qu’il y ait une personne sur la planète qui existe et qui fasse un album que je trouve 100% bon.
Après, je ne sais pas si c’est parce que je donne pas assez de chance aux albums que j’écoute ou si c’est parce que dans le passé, on avait tellement peu d’albums qu’on finissait par aimer des chansons à force de les écouter. Je pense que ça faisait extrêmement longtemps que je n’avais pas écouté un album de A à Z que j’avais aimé à ce point-là. Pis tsé, il y a eu d’autres choses avant que j’ai beaucoup aimé comme Phoebe Bridgers. Il y a eu beaucoup d’albums, d’artistes que j’aime et de chansons, mais cet album-là, je ne sais pas pourquoi j’ai eu une relation particulière, j’ai envie de skiper aucune chanson.
Je pense que ça m’a aussi donné envie de laisser une chance à mes chansons et de me dire qu’il y a peut-être quelqu’un qui va les aimer au point de ne pas les skiper. Pis même s’il·elle les skipe, c’est aussi ça, ma façon de voir les choses a tellement changé. Pour moi maintenant, c’est un amas de chansons qui ont des vies individuelles mais qui sont ensemble. Avant, c’était différent. Je pense que c’est comme ça que le monde voyait aussi la musique : un album sur un album. Pis c’est genre une longue chanson. Oui, cet album-là, il s’écoute en une longue chanson, mais il s’écoute aussi dans le désordre.
LVP : Oui, d’ailleurs ton album semble moins suivre un fil narratif qui raconte une histoire, que de donner une vision d’un instant, de témoigner de moments de vie, d’états d’âme, comme des Polaroïd pour reprendre l’image que tu évoquais tout à l’heure.
Safia Nolin : Oui, c’est ça. 100%. Pour moi, le fil conducteur de l’album c’est ma voix. Je sais qu’on ne le ressent pas comme ça, mais c’est comme ça que je l’ai exprimé au début, quand on était en studio. J’ai dit : « Je veux que la voix soit comme un fil et que tout ce qui est autour bouge, soit différent sur chaque chanson ». C’est pour ça qu’il y a des effets dans la voix à certains moments. Pour moi c’était ça, c’était ce moment, c’était comme ça que je me sentais. Après je dis ça et j’adore l’album mais une semaine ou deux après l’avoir enregistré je pleurais parce que je le trouvais nul. J’ai eu un gros buzz de mal…
LVP : Ça t’avait déjà fait ça avec tes albums précédents ?
Safia Nolin : Non. Mais je pense que j’ai eu peur en fait. J’ai eu la chienne comme on dit nous autres. J’ai eu peur, peur de retomber dans des certaines choses, d’avoir des attentes, etc. Je me disais : « Mais là, je suis pas assez bonne, je chante mal ». Même en studio, après avoir enregistré la première voix j’ai dit : « C’est dégueulasse ma voix ». C’est vraiment bizarre. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé. Je pense que les dernières années, avec toute la haine et tout, ça a joué sur ma confiance en moi.
LVP : Pourtant, tu as l’air tellement confiante !
Safia Nolin : Je ne sais pas, je pense que je suis confiante mais en même temps c’est aussi parce que je me suis beaucoup détachée. Peut-être que c’est une erreur que je fais mais je pense que je me suis tellement détachée que si ça se passe mal avec cet album-là, je vais quand même être bien. Est-ce que ça veut dire que si ça se passe bien, je ne vais rien ressentir ? On espère que non (rires). Après là, je suis stressée que les gens l’aient écouté. Par exemple, aujourd’hui j’ai parlé avec des personnes qui ont l’écouté. Je me suis dit : « Ah, ils ont écouté l’album, peut-être qu’ils ne l’ont pas aimé, ce n’est pas grave ». En vrai je suis timide. Je ne sais pas trop comment je me sens.
LVP : Parce qu’ils·elles ont écouté l’album ?
Safia Nolin : Oui, pour moi c’est vraiment personnel. C’est très bizarre. Je m’en rends compte aujourd’hui parce que c’est la première fois que je parle avec autant de personnes qui ont écouté l’album. Pis mon album je ne l’avais pas annoncé il y a encore deux jours. C’était trop drôle, je voyais mes ami·es qui me demandaient : « Qu’est-ce que tu fais de bon ? » « Je sors un album dans trois semaines ». Je ne leur avais pas dit. Il y a plein d’ami·es qui ne le savaient pas. Je suis très secrète. Enfin, ce n’est pas que je suis secrète mais c’est que je ne trouve pas ça intéressant de parler de tout ça avec mes ami·es et ma famille. Je fais ça pour moi pis je le vis. C’est comme ma sœur qui est toujours en train de me dire : « arrête, vends-toi ». Des fois, elle me demande ce que je fais, je lui parle d’autre chose et après ça, elle apprend à la radio que je fais un truc genre intense mais elle n’est pas au courant parce que je ne lui ai pas dit parce que ce n’est pas ça qui m’intéresse. Je veux savoir comment les gens vont et j’aime les conneries. On dirait que je ne veux pas intellectualiser l’art et le fait de le produire.
LVP : Donc ce n’était pas tellement une volonté que ce soit un album surprise ?
Safia Nolin : Honnêtement, c’était une volonté de ne pas l’annoncer avant parce que j’avais envie d’essayer quelque chose de nouveau. Je consomme beaucoup les réseaux sociaux, enfin je suis vraiment presque juste sur TikTok. Mais j’essaie de comprendre comment les gens markettent leur art pis avec le niveau d’attention que les gens ont à donner à ça, qu’est-ce qu’on peut faire ? Je me suis dit que ça ne me tentait pas d’étirer l’album dans le temps en disant : « oh, je sors un album en six mois ». Les gens en ont rien à faire et moi non plus. Je n’avais pas non plus envie de brûler mes chansons en les sortant une par une. Faque, je me suis dit : « ça va durer le temps que ça va durer ». Là j’ai annoncé la sortie dans une semaine, après ça les gens vont l’écouter ou pas, et moi je penserai à autre chose. Ça n’étire pas l’album dans le temps et ça démystifie aussi le côté « ah, je sors un album ».
LVP : C’est une envie particulière que tu as de vouloir démystifier la sortie d’un album, que chaque sortie soit finalement la suite d’un même fil, la progression de ton cheminement artistique ?
Safia Nolin : Oui. J’essaie de ne pas mettre tous mes œufs dans le même panier et de voir une sortie d’album comme une étape. Parce que c’est fou, j’ai eu tellement de discussions avec plein de personnes qui me disaient qu’il ne fallait pas que j’oublie qu’un album après deux semaines ne disparaît pas pour de vrai. Il disparaît de l’attention médiatique mais il ne disparaît pas en soi. C’est quand même fou qu’il faille que tu te dises ça parce que sinon c’est l’impression que ça donne. Tu sors ton album, deux mois après on te demande : « C’est quand ton prochain album ? ».
LVP : On ne te laisse finalement pas le temps de vivre celui-ci.
Safia Nolin : Oui ! Pis ça coûte cher émotionnellement de jouer là-dedans. Tu te sens aussi comme une vache à lait créative, genre : « Ok donc pour rester intéressant·e pour le public et l’industrie, il faut que tu produises, tu produises, tu produises ». Et ils·elles te demandent de produire et de sortir quinze chansons à la fois.
LVP : Sinon comme tu l’expliquais au début ça ne semble pas suffisamment intéressant. Une chanson ou deux n’ont pas la valeur d’un disque, ne donnent pas le même sentiment de satiété au public.
Safia Nolin : Oui alors qu’ils·elles ne l’écoutent pas en plus. C’est ça qui est fou et que je ne comprends pas.
LVP : C’est vrai que c’est paradoxal quand on se dit qu’on écoute de moins en moins d’albums en entier mais qu’on les réclame.
Safia Nolin : Oui. Je ne sais pas quelle est la solution à ça. En plus, ce qui est fou c’est que par exemple je pense à aller voir Adrianne Lenker en spectacle. Ce que je disais c’est que ce qui rend le théâtre et les livres accessibles et qu’il y a plus de ventes c’est que tu dois les acheter pour les consommer. Mais si mon artiste préféré·e vient mais dit : « ça va être que des nouvelles chansons », je ne sais pas si j’ai envie d’y aller parce que ce que j’ai envie d’écouter ce sont les vieilles chansons. Faque, c’est quoi la solution ? C’est fou, je trouve qu’il y a tellement d’angles morts dans ce débat.
LVP : En parlant de concert, tu as annoncé des premières dates à Montréal et à Québec. Est-ce que tu veux partir en tournée avec cet album ?
Safia Nolin : Oui. J’adore faire de la tournée. Je suis une personne qui recherche à faire vivre des choses. Après, c’est ça qui est compliqué. En tant que public, j’aime vivre des expériences. Encore une fois, je trouve que le format de faire des spectacles c’est plat, c’est boring. C’est pour ça que maintenant j’aime vraiment jouer dans des bars, par exemple la Casa del Popolo c’est un bar, le Pantoum c’est une petite salle un peu space bar. Pour moi quand je vais voir un spectacle soit tu m’entertaines par ta musique, soit par ta communication avec le public sans être obligé·e de parler tant que ça, ou alors tu me transcendes avec une expérience que je n’ai jamais vécue. Ce que je trouve compliqué c’est de trouver le juste milieu là-dedans sans que je m’épuise à trouver des concepts.
LVP : Pour le moment, tu envisages de présenter ton live comment ?
Safia Nolin : Je ne sais pas, c’est ça le truc. Là je réfléchis parce que ça s’en vient, mon premier spectacle est dans vingt jours et je n’y ai même pas encore réfléchi.
LVP : Un morceau nous a particulièrement touché sur cet album. Il s’agit de et si, de. Est-ce que tu pourrais nous parler de cette chanson ?
Safia Nolin : En fait, il y a deux versions. Il y a une version qui est déjà sortie.
LVP : Qu’on avait adoré d’ailleurs, mais cette nouvelle version nous a permis de la redécouvrir.
Safia Nolin : Je suis très contente de ça parce que c’est aussi ce que je voulais faire avec cette chanson. Je vais être honnête, je suis vraiment attachée à mes chansons et des fois j’ai l’impression que je ne leur ai pas fait vivre les vies qu’elles méritaient de vivre. Cette chanson-là justement je trouvais qu’elle n’avait pas vécu la vie qu’elle avait besoin de vivre. Faque je l’ai mis là.
C’est vraiment une des premières chansons que j’ai écrite en sortant de toute la haine, de tout le cercle de dénonciations post-MeToo, de cette envie de disparaître. Dans ma vie, je me suis dit plusieurs fois que si je me suicidais les gens seraient contents. C’est atroce de se dire ça. J’ai donc essayé de développer mon auto-compassion. J’y pense et je me dis que c’est triste que je me sois dit ça.
J’ai écrit cette chanson dans un moment où je me disais que si je déménageais à 8h de Montréal, tant que j’étais au Québec les gens me reconnaîtraient et me détesteraient. Mais mon attachement au Québec est tellement intense ! Le Québec c’est vraiment bizarre. Quand tu nais là, on t’en parle comme si c’était la plus grosse affaire du monde, le meilleur endroit. On te dit : « Le Québec, on est tellement spécial ». Finalement, tu te rends compte que non. Pis finalement, tu te rends compte que peut-être que oui, un peu, mais les gens sont tellement pas bien. Les gens ont bon fond mais en ce moment ils·elles ont été alpagué·es par la haine et les mouvements de droite, surtout en région, et c’est fucking triste. Mais je pense que la chose qui m’a fait le plus peur dans ma vie, intellectuellement, c’était de débattre avec des Français cultivés, de droite et méchants. Des racistes cultivés. Au Québec ça n’existe presque pas.
LVP : Quel conseil tu donnerais pour écouter ou découvrir ton album?
Safia Nolin : C’est une bonne question. Je pense d’avoir de bons écouteurs déjà. Aussi, je trouve que c’est un bon album de réveil, de dîner, de marche. Je crois que c’est aussi un bon album de coucher. Je pense que c’est un disque qui s’écoute bien de A à Z ou qui peut aussi être une façon de prendre des petites pauses dans la journée. Mais je pense que c’est un bon album de marche en forêt, peut-être en ville aussi. En fait non, plus en ville.
LVP : Faisons une parenthèse pour parler de ta pièce de théâtre. Tu présentes en ce moment une pièce que tu as montée avec Philippe Cyr, qui s’appelle Surveillée et punie, un clin d’œil à Surveiller et punir, qui a l’air de bien fonctionner.
Safia Nolin : Ça a super bien fonctionné à Montréal. Là, on joue à Québec, Ottawa et à Paris aux Plateaux Sauvages.
LVP : Est-ce que tu peux nous en parler ?
Safia Nolin : C’est une pièce qui est basée sur les insultes que j’ai reçues. Philippe et moi, on s’est rencontrés parce qu’il a fait la mise en scène de mon plus gros spectacle à vie sur la Place des Festivals à Montréal pendant les Francofolies en 2019.
J’étais arrivée vers Philippe et je lui avais dit : « J’aimerais ça qu’on fasse jouer sur la Place des Festivals un montage des radios-poubelles à Québec ». Parce qu’il y a vraiment des radios de merde de droite qui parlaient de moi non-stop. Elles mettaient mes chansons et elles demandaient aux gens d’appeler. C’était horrible mais c’est légal, c’est dans le domaine de la parodie. Faque là, j’ai dit : « Ok, on fait ça, on le met » et on l’a mis. De là, une idée lui est venue. Il travaillait déjà sur un projet de censure. Il a comme combiné les deux en se disant : « J’ai envie de sublimer la haine, on va mettre en musique ces insultes-là ». Il m’a donc parlé d’un chœur qui chanterait les insultes. J’ai trouvé que c’était une très bonne idée mais je n’étais pas tout à fait prête. Une coupe de mois sont passés, j’étais à Paris pour me sauver de la haine justement. J’ai passé 7 mois ici l’année passée. Philippe est venu, on a pris un café et il me l’a reproposé. La distance a fait que j’ai dit oui. Il m’a dit : « On va sublimer la haine, ça va être fou ! ». J’étais comme : « Ok, on fait ça ». Mais il n’y avait rien de concret. Je ne savais pas du tout de quoi ça allait avoir l’air et lui non plus. Mais il a un instinct fou, c’est vraiment une belle personne, très sensible, très belle. Je l’adore ! Il a vraiment réussi son défi. Vincent Legault a fait la musique. C’est insane. C’est vraiment beau mais en même temps c’est difficile à écouter parce que ce sont des insultes de toutes les catégories. Il y a des thématiques et des chansons. Il y a 5 chansons : Lesbienne, Poils, Grosse, Arabe et Je t’épilerai. C’est entrecoupé par moi qui joue des réponses. Ça dure genre une heure et quart environ.
LVP : Musique, théâtre, sur ton album précédent tu avais aussi réalisé un film, tu explores les branches d’un même arbre créatif. Tu as des idées de ce que tu veux faire ensuite ? Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter ?
Safia Nolin : Je pense que j’aimerais faire un roman graphique mais je ne suis pas sûre. Au début, je voulais faire un livre mais je trouve qu’il y a beaucoup de monde qui font des livres en ce moment. Au Québec, beaucoup de personnalités publiques, en musique ou en cinéma, font des livres. C’est fou mais dès que tout le monde fait une chose, je n’ai pas envie de la faire. Je pense que c’est pareil pour tout le monde. Ça m’a moins donné envie. Sinon, un podcast mais il y en a déjà 250 000, même si on adore. Donc je me suis dit peut-être un roman graphique ou un documentaire. Ça fait longtemps que j’aimerais faire un documentaire sur ma famille en Algérie. J’ai rencontré une fille super qui s’appelle Marie Ouardiya Atcheba. C’est une Française qui est aussi Kabyle mais qui ne parle pas kabyle et qui n’est jamais allée en Algérie. C’est une photographe incroyable, elle a pris mes photos. Je me suis dit : « Oh c’est peut-être le moment de faire ce projet-là, d’aller en Algérie avec elle et de faire un film là-dessus ». Je pense que ça pourrait être cool. Affaire à suivre.
Le cœur grenadine et la déclaration facile, je passe mes journées les yeux rivés sur ma platine.