Cette édition du MaMA Festival aura été l’occasion de découvrir et de rencontrer quelques-uns des talents qui ornent la scène outre-Atlantique. Lou-Adriane Cassidy, Bibi Club, Choses Sauvages : on s’émerveille face à la richesse de la scène qui fleurit au Québec et que nous avons eu la chance de croiser sur le festival. Avant que le groupe n’enflamme la scène du Backstage by the Mill, nous avons eu le plaisir de nous entretenir avec Félix Bélisle et Marc-Antoine Barbier, deux des membres de Choses Sauvages. Si dans ses enregistrements le quintette campe une pop qui conjugue savamment des influences disco, new-wave et funk, il livre sur scène un live beaucoup plus punk. Une métamorphose qui nous aura surpris.es et conquis.es, confirmant ainsi les promesses que cette discussion nous laissait présager.
La Vague Parallèle : Salut à vous deux ! On se rencontre le jour de votre concert au MaMA Festival. Comment allez-vous ?
Félix Bélisle : Ça va très bien ! On s’est promené dans la ville, on a pris des verres hier soir avec des amis, on profite de Paris.
LVP : Vous connaissiez le MaMA Festival ?
Félix Bélisle : Non.
Marc-Antoine Barbier : Disons qu’on connaissait de nom, mais c’est la première fois qu’on vient.
LVP : Comme vous l’aurez sans doute remarqué, c’est un festival qui se caractérise par sa grande effervescence. Il a aussi la particularité de réunir de nombreux·ses professionnel·les de la musique. Qu’est-ce que ça vous fait d’être programmés ici ce soir ? Est-ce que vous avez hâte de jouer ?
Marc-Antoine Barbier : Oui ! On est venus jouer à Paris l’année dernière. On en garde un super souvenir. La réception était bonne. Donc, jouer devant des gens de l’industrie et voir des débouchés ensuite, ça va être le fun. Surtout qu’on veut revenir jouer en France le plus possible.
La Vague Parallèle : Vous avez sorti en octobre 2021 votre deuxième album intitulé Choses Sauvages II. L’avez-vous pensé comme la suite de votre premier album Choses Sauvages ?
Félix Bélisle : Non, pas du tout, même si je pense que c’est le mûrissement du premier qui se travaille dans le deuxième. Le fait d’avoir pris le même nom et d’avoir simplement rajouté un “II” est seulement lié au fait qu’on aimait beaucoup l’esthétique. Je pense qu’il n’y a pas vraiment de liens entre le premier et le deuxième à part le fait que nous ayons grandi à travers la musique. D’ailleurs, cette fois nous avions envie d’aller plus loin et de faire un long disque. Mais pour le nom, il n’y a pas de réflexion particulière.
La Vague Parallèle : Lorsqu’on écoute votre deuxième album, on perçoit des influences beaucoup plus new wave, dance punk et kosmich musik. Quelle couleur vouliez-vous donner à cet album ?
Félix Bélisle : Je pense qu’on avait envie de mettre beaucoup de synthés. C’était vraiment quelque chose d’important pour nous. D’avoir aussi beaucoup de batteries, de drums machines, de boîtes à rythmes comme vous dites chez vous. Il y avait ça et puis comme je l’ai dit, on avait vraiment envie de faire un long disque avec beaucoup d’instrumental.
Marc-Antoine Barbier : Je pense qu’effectivement il y a un peu le son du premier sur certains aspects mais avec l’idée de complexifier les choses. On avait envie de faire des arrangements avec beaucoup de layered justement, particulièrement avec les synthétiseurs. Il y avait vraiment cette idée de travailler le son, de le rendre un peu plus complexe et moins minimaliste que le premier.
La Vague Parallèle : Ce qui frappe à l’écoute de votre album, c’est ce travail très minutieux de composition, d’orchestration et d’arrangements. Comment avez-vous pensé l’instrumentation pour ce disque ?
Félix Bélisle : On s’est laissé beaucoup de place pour le travail des textures. On a enregistré les batteries, les guitares et les basses ensemble. Puis, on s’est pris deux semaines avec tous les synthétiseurs et on a vraiment fait de l’exploration en composant les textures, les parts, etc. On avait déjà pensé aux suites d’accords et aux mélodies, donc on pouvait expérimenter. On a collaboré avec notre ami Steeven Chouinard. Il a beaucoup de synthés, on en avait aussi. On a eu envie d’avoir tous ces synthés branchés en même temps et de pouvoir se laisser aller à l’exploration et au travail des textures.
Marc-Antoine Barbier : On avait aussi beaucoup travaillé les démos en amont, ce qui fait qu’en arrivant en studio, on était très prêts. Je pense que ça nous a laissé beaucoup de place pour explorer et changer des choses. Comme on était déjà certains de ce qu’on voulait pour une bonne partie des chansons, on avait la place de rajouter des surprises et de nous surprendre entre nous.
La Vague Parallèle : Une énergie très live se dégage de vos morceaux, est-ce ainsi que vous les avez enregistrés ou vous avez opté pour un enregistrement en piste par piste ?
Félix Bélisle : Pour faire des disques comme celui-ci, je pense qu’on doit notamment passer par le live. Donc on l’a fait sur tout ce qu’on appelle les basics : on a enregistré la batterie et les basses ensemble, quelquefois on a aussi enregistré les guitares en même temps. Finalement, ça dépend du morceau, parce qu’il y a parfois des choses qui ne passent pas et qu’il faut vraiment faire après.
La Vague Parallèle : Comme nous l’avons dit, l’instrumentation est très développée sur votre album. On imagine que vous n’allez pas pouvoir le reproduire tel quel sur scène. Comment envisagez-vous le live ?
Félix Bélisle : Je pense que le live a toujours été plus punk, plus vrai, plus violent. Le disque, lui, est plus tamisé. En réalité, c’est vraiment une question de contexte. Ça dépend où tu places le disque. Mais finalement, en concert on arrive à être assez proches de ce qu’on a fait sur le disque. D’ailleurs, c’est une remarque qu’on reçoit souvent en commentaires, on nous dit : “J’ai écouté vos instruments et je ne croyais pas que vous alliez être capables de les refaire en vrai.”
Marc-Antoine Barbier : C’est sûr qu’il y a certains arrangements qu’on a dû un peu modifier, mais on s’est quand même arrangés pour pouvoir faire l’essentiel en live. Parfois, il fallait changer certains sons pour que d’autres prennent plus de place ou remplacent certaines parties qui ne pouvaient pas être jouées.
Félix Bélisle : Ce qu’on a mis le plus de côté ce sont les drums électroniques. Plus on faisait de concerts et plus on se rendait compte que cette texture électronique collait moins avec le reste. Ce qui fait qu’il y a beaucoup de drums électroniques, de boîtes à rythmes qui sont vraiment jouées par notre batteur Philippe.
La Vague Parallèle : Sur votre album figure le morceau Colosse que vous partagez avec Laurence-Anne. Il s’agit du seul feat de l’album. Comment est née cette collaboration ?
Félix Bélisle : J’ai écrit les paroles de ce morceau et j’ai eu envie de proposer aux autres d’avoir une voix de femme. On est très fans de ce que Laurence-Anne fait chez nous, au Québec. D’ailleurs, pour celles et ceux qui ne connaissent pas, je vous la recommande. Elle fait de la pop champ gauche et a vraiment son univers à elle. Puis c’est une amie de longue date et j’aime vraiment sa façon de chanter donc j’ai proposé qu’elle nous rejoigne.
Marc-Antoine Barbier : Pour cet album, on avait aussi l’idée de mettre un titre comme celui-ci parce que le reste est moins centré sur le format chanson. Il y a plus de morceaux instrumentaux dans notre album et même lorsqu’on a des titres avec de la voix, il y a de grands moments instrumentaux. Donc on avait envie de mettre une chanson comme celle-ci, où on entend Félix sans vraiment le reconnaître. Choses Sauvages c’est aussi un univers musical. On voulait faire un clin d’œil à des groupes comme Air qu’on n’entend pas toujours chanter et qui ont un univers musical clair.
LVP : Vous avez un peu ça aussi avec votre morceau Conseil Solaire.
Félix Bélisle : Oui voilà. Dans cette chanson c’est un tout, tu n’es pas capable de discerner les voix.
La Vague Parallèle : Est-ce que c’est difficile d’accueillir une autre personne dans le processus de création lorsqu’on est déjà un groupe ?
Félix Bélisle : Non. Pour ma part, j’avais déjà travaillé avec Laurence-Anne puisque j’ai un groupe avec elle qui s’appelle La Sécurité. Ce n’est donc pas la première fois qu’on fricote ensemble musicalement. Puis c’est vraiment facile de travailler avec elle, elle a vraiment de bonnes idées. Donc quand on a eu la mélodie, on lui a transmis en lui disant : “Si tu veux te promener alentour ou si tu as de meilleures idées, vas-y.”
Marc-Antoine Barbier : C’est une bonne chanteuse, mais c’est aussi une très bonne compositrice. C’est une artiste à part entière. On lui faisait confiance. On voulait travailler avec elle pour sa voix, mais aussi pour son input artistique.
La Vague Parallèle : Vous faites partie de la scène montréalaise et plus précisément de la pop québécoise champ gauche. Pouvez-vous nous en parler ?
Félix Bélisle : La pop champ gauche c’est entre autres ce qu’on fait, c’est-à-dire de la pop qui n’est pas commerciale.
Marc-Antoine Barbier : C’est sortir un peu des codes classiques.
Félix Bélisle : Oui, ce qui ne passera pas à la radio commerciale.
LVP : Vous semblez beaucoup sur cette scène, je pense à Hubert Lenoir ou Les Louanges. Quels liens entretenez-vous entre artistes de la pop champ gauche ? Est-ce que vous êtes liés ?
Marc-Antoine Barbier : Oui, c’est quand même une petite famille la scène québécoise. On se connaît tous. On est souvent programmés dans les mêmes festivals. D’ailleurs, on a beaucoup joué avec Les Louanges et Hubert Lenoir. Ça a aussi un peu décollé en même temps pour nous tous grâce à nos premiers albums respectifs. Ensuite, avec la pandémie et le retard qu’elle a créé, nos seconds albums sont sortis presque tous en même temps. C’est plutôt drôle qu’on se soit suivi là-dedans. Quand on a commencé, c’était un moment où la scène québécoise était plus axée sur le rap ou le folk. Il n’y avait pas beaucoup de place pour de la pop champ gauche, ou un rock un peu différent, mélangeant différents styles. Il y a eu un souffle, aussi grâce à des artistes comme Laurence-Anne, Lydia Képinski, etc. On dirait que tout ça s’est fait dans un geste commun. On ne s’est pas vraiment concertés et je ne sais à quel point on s’est influencés entre nous mais je pense qu’il y a quand même eu une révélation en comprenant que ce type de musique était possible, que les gens étaient intéressés, et ça a créé un certain mouvement je crois.
La Vague Parallèle : Lorsqu’on écoute votre album, on est frappé par une certaine tendance au non-conformisme. Votre musique n’est pas radiophonique, vous vous permettez de faire de longs-formats, etc. Est-ce une chose que vous revendiquez ou au contraire, ça vous fait effraie ?
Félix Bélisle : On ne s’est jamais vraiment posé la question. Je pense qu’on a toujours eu une manière un peu égoïste de jouer en décidant de faire de la musique pour nous faire plaisir avant tout. Si on est vrais dans notre démarche, que ça nous fait du bien d’écouter ce qu’on a fait et qu’on est fidèles à notre façon de faire de la musique, le message passe. Ensuite, la longueur, la répétition, ce sont des choses qu’on retrouve beaucoup dans les morceaux qu’on consomme, comme la musique électronique par exemple. On n’écoute pas beaucoup de musique à texte ou même de morceaux avec des voix en général, même si Choses Sauvages se caractérise par le métissage de diverses influences. Je pense qu’on n’a jamais vraiment réfléchi à ça. On se disait : “On veut deux minutes et demi de loop, ça nous fait triper donc ça en vaut la peine.”
Marc-Antoine Barbier : Ça dépend de ce dont la chanson a besoin. On sent quand il y a besoin de cette respiration et de cette longueur. Je pense que maintenant avec le streaming, les standards radiophoniques ne sont plus aussi nécessaires. Par exemple, avant le deuxième album, on a sorti L’or et l’argent.
Félix Bélisle : Et Apophis.
Marc-Antoine Barbier : Oui. D’ailleurs le morceau Apophis dure presque 10 minutes. Justement, on avait sorti à ce moment-là une version plus courte, un radio edit et finalement on s’est rendu compte que la version longue était plus écoutée. On a donc réalisé que ce n’était plus vraiment nécessaire de se conformer à ça.
Félix Bélisle : C’est quelque chose qui nous ravit parce que ça ne nous fait pas vraiment plaisir de couper les chansons pour les passer à la radio.
Marc-Antoine Barbier : Je pense que notre public est ouvert à ça.
La Vague Parallèle : On perçoit un univers musical très construit. C’est également le cas de vos visuels, qu’ils s’agissent de vos pochettes ou de vos clips. Quelle place détient la création visuelle dans votre projet musical ?
Marc-Antoine Barbier : Essayer de trouver un visuel est un projet de longue haleine. C’est quand même important pour nous qu’il y ait une cohésion entre le visuel et l’album. Donc c’est beaucoup de discussions. On n’est pas toujours d’accord. En musique, ça se fait naturellement parce qu’on le fait ensemble, tandis que pour le visuel, c’est un peu plus un challenge parce qu’on fait faire une pochette par quelqu’un. On travaille avec beaucoup de personnes donc ça demande d’être un petit peu plus focus. Il faut davantage cibler la direction qu’on veut. Mais on finit toujours par trouver notre esthétique. On se fie à ce qu’on aime et on essaie de trouver un petit twist. Encore une fois, c’est un peu notre esprit non-conformiste. On essaie de réfléchir aux pochettes qu’on voit moins ces temps-ci. C’est ce qu’on trouve intéressant.
LVP : Vous semblez aussi mener un travail de références ?
Félix Bélisle : C’est un peu comme pour la musique. L’artiste qui fait la pochette a accès à notre album, l’écoute en se mettant au travail. Je pense que c’est un peu le travail de la vision, de l’interprétation graphique de notre disque à travers un artiste qu’on aime.
Marc-Antoine Barbier : Je crois que le défi c’est de trouver les bonnes personnes avec qui travailler, les choisir pour leur univers. Ensuite, il faut les laisser créer pour que ça soit cohérent pour eux-aussi, et qu’ils puissent aller au bout de l’idée que leur inspire cette collaboration. Donc on donne un peu des références mais le travail est essentiellement de trouver les bons collaborateurs. Une fois que c’est fait, on laisse plus de liberté à la création.
LVP : Pour finir, pourriez-vous nous confier vos coups de coeur musicaux du moment ?
Félix Bélisle : On peut parler pour lui et moi ? (rires) Moi j’écoute beaucoup de Tones on Tail. On les connaît surtout pour leur chanson Go ! qui est un hymne new wave. Pour être honnête, j’écoute aussi beaucoup de musique électronique. En allant jouer à Hambourg, on est allé dans les record shops, notamment chez les disquaires de musique électronique et on est allé chercher des trucs. Et toi ?
Marc-Antoine Barbier : J’écoute beaucoup le saxophoniste Sam Gendel. Je ne dirais pas que c’est jazz, mais plutôt que c’est assez expérimental. C’est un saxophone traité avec plein d’effets, des beats, etc.
LVP : Merci pour ce moment et au plaisir de vous retrouver tout à l’heure sur la scène du Backstage by the Mill !
Le cœur grenadine et la déclaration facile, je passe mes journées les yeux rivés sur ma platine.