SebastiAn : Histoire de rencontres
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Auteur·ice : Arthur Deplechin
01/12/2019

SebastiAn : Histoire de rencontres

Il y a quelques semaines, nous sommes allés à la rencontre de Sebastian dans un hôtel bruxellois. Huit ans après “Total”, son premier album solo, il revient avec “Thirst”, un album plus mature et plus éclectique. Entretien avec le producteur de tes artistes préférés.

La Vague Parallèle : Huit ans sans album solo, tu te fais un peu désirer. Tu la joues Daft Punk ?

SebastiAn : Non, je ne me la joue pas Daft Punk, à part pour les concerts. Je vais essayer de condenser une sorte de petite genèse. Quand je suis arrivé sur le label Ed Banger, je me considérais déjà comme un producteur, quand mon premier disque est sorti je voyais ça comme un album de producteur, puis je suis reparti dans la production pour d’autres artistes comme KavinskyCharlotte Gainsbourg et en partant plus large Philippe Katerine, Frank Ocean ou encore carrément des productions pour des films. Donc je me suis pas dit “ouais, il y aura huit ans entre chaque album” mais il y a eu des circonstances qui ont faites que ça a été un peu retardé.

La Vague Parallèle : Quelles types de circonstances ? Tes collaborations avec d’autres artistes ?

SebastiAn : Ouais, exactement. Par exemple, Frank Ocean m’a contacté pour collaborer sur Blond au même moment où je travaillais sur l’album de Charlotte Gainsbourg. Je m’étais dit que j’allais pouvoir bosser tranquillement à Paris mais elle part habiter à New York et Frank Ocean lui vient habiter à Londres. Donc je me retrouve avec un Américain en Europe et une Française aux États-Unis. Il y a une sorte de danse, d’entrelacement de styles et de rencontres parce que contrairement à Charlotte, Frank Ocean est entouré de beaucoup de monde lorsqu’il travaille. Les deux projets étaient opposés à tous les niveaux parce que d’un côté tu as une chanteuse très française, d’interprétation mais c’est pas vraiment une femme à voix, c’est pas vraiment Lara Fabian quoi et de l’autre côté tu as la voix ultime, une des plus belle du RnB d’aujourd’hui.

La Vague Parallèle : Comment se passent ces rencontres en général ?

SebastiAn : Moi, je ne suis pas du tout de l’école “j’envoie un fichier à quelqu’un qui me le renvoie machin”, j’ai besoin de rencontrer les gens, passer du temps avec, c’est la raison pour laquelle on retrouve Mayer Hawthorne sur mon nouveau disque, parce qu’on s’est rencontré il y a dix ans et que c’est toujours un ami. C’est principalement de la rencontre physique. Sevdaliza, elle débarque de Suède et elle me sort qu’elle trouvait ça intéressant de bosser avec quelqu’un qui bosse sur un projet avec Charlotte Gainsbourg. C’est des vraies rencontres, c’est des moments où je vais bouffer avec eux, où je vais passer une journée entière à discuter et ça ça compte énormément dans le processus de création. Du coup, je produis un album sans savoir que j’en fais un. J’enregistre avec des gens que j’ai rencontré mais il n’y a pas vraiment d’idée de disque à ce moment mais au final c’était un bon terreau pour tester plein de choses différentes. Après avoir enregistré pour plein de gens, pour une aucune autre raison hors que ça soit cool, je commence à enregistrer pour moi et je me rends compte qu’il existe une sorte de cohérence entre les différents morceaux. À partir de ce moment là, “technique de l’entonnoir”, je commence à me demander comment terminer ce disque, comment l’équilibrer. Ce n’est pas pour donner une phrase d’humilité un peu nulle mais je ne calcule pas.

La Vague Parallèle : Pour toi, il y a une différence entre produire pour toi ou pour d’autres ?

SebastiAn : Oui, il y a une ligne très claire entre les moments où je produis pour les autres et pour moi. Pour les autres, il s’agit beaucoup plus finalement de s’effacer, ton travail est de faire ressortir ce que la personne aimerait avoir même si elle est en inconsciente. Ça fait un peu psychanalyse. Les catharsis sont dans les disques. Charlotte est venue me voir et elle voulait un son un peu lourdingue, un peu comme ce que je faisais avant sauf que le sujet ne s’y prêtait absolument pas. Donc la violence qu’elle recherchait dans la musique s’est retrouvée dans des textes crus, elle raconte quand même en détail la mort de son père. Elle a eu une éducation où il n’y avait pas vraiment de tabou. C’est assez surprenant parce que le morceau qu’on a fait sur mon album, on l’a fait après et c’est presque ce qu’elle voulait faire au début. Quand je produis pour moi, j’amène des gens dans mon monde. C’est un peu tiré par les cheveux mais quand je bossais sur l’album de Frank Ocean, il a testé un rappeur japonais, KOHH. Bon, il a testé la moitié de la planète je crois, mais il a testé ce gars et en bossant je me dis “Tiens, c’est qui ce mec ? J’aime bien son style.” Et un jour je vais à Tokyo pour une date et je demande s’ils connaissent le gars et sa clique, ils me disent oui, on s’envoie des messages et le lendemain on fait le morceau avec Loota.

La Vague Parallèle : C’est ultra rapide !

SebastiAn : Ouais, ça dépend des morceaux mais la plupart ont été faits très rapidement. Je me fais chier assez vite. Tu as le premier jet qui est intéressant, le développement est chiant pour tous les artistes. Ça explique que ça bouge énormément dans le disque, ça évolue pas mal sinon je me fais chier donc je le développe jusqu’à la lie pour voir jusqu’où on peut aller. Contrairement au titre avec Sparks mais ça c’est eux qui ont demandé. Ils m’ont dit “on veut le même texte pendant tout le truc”. C’est l’avantage de bosser chez moi. Le studio est chez moi mais on a aussi enregistré dans des airbnb avec juste un micro. Après, je ramène tout chez moi et je construis. Pour les Sparks, c’est moi qui ai demandé de les rencontrer parce que je suis un énorme fan depuis que je suis jeune, je trouve leur esthétique démente, leurs textes, leur carrière, tout… Ils sont américains mais ils ont un humour très anglais, ils sont très “serious jokes”, ils rient pas à leur propres blagues. Leur pochette, c’est une pochette assez con sur le fond mais très bien exécutée. J’aime beaucoup ! D’autant plus quand tu vois leur carrière et que les carrières m’intéressent de manière générale. Pas pour moi mais pour les autres. Par exemple, par le biais de Charlotte, j’ai eu la chance de rencontrer “Dieu”, dit Paul McCartney, qui est arrivé en studio à un moment. Quand il est arrivé, c’est comme s’il avait 5 ans. C’est étonnant pour un mec qui a plus de 70 balais, à bloc. Comment est-ce que tu arrives à rester animé là dedans ? Et c’est aussi intéressant parce qu’il y a de moins en moins de carrières aujourd’hui. Je trouve ça beau. Il faut tenir, c’est hyper vertigineux par moment.

La Vague Parallèle : C’est compliqué de travailler avec des “monstres” de la musique comme ça ?

SebastiAn : Non parce qu’ils n’ont plus rien a prouver donc pas d’ego mal placé. Paul McCartney te tire ta chaise quand tu veux t’asseoir. Il est au dessus de tout mais il reste hyper fastueux. C’est pas problématique de bosser avec. Mais je trouve pas ça anormal que les plus jeunes soient plus arrogants, c’est structurel. Ils sont beaucoup moins “secure”, ils ont tendance à en faire des caisses mais c’est parce qu’on est à une époque où un gamin peut avoir trois managers. Ça peut devenir un peu chiant pour bosser. Je suis pas hyper vieux mais je suis à un âge où je peux encore les comprendre mais je peux plus trouver ça cool non plus. Quand t’as trop de barrières, trop d’attitudes, ça fait chier, t’as juste envie de travailler. Ça ralentit le processus de travail. C’est le sujet de la pochette de mon premier disque et j’y réponds avec la deuxième. Trop d’ego, ça finit avec une main sur la gueule. (rires)

La Vague Parallèle : Il y a des jeunes artistes avec qui tu aimerais travailler ?

SebastiAn : Il y en a qui m’intéressent mais le problème c’est que quand tu fais ça, ça fait appel; une sorte de “coucou, je suis là” et c’est comme en drague, ça marche pas. Quand t’écris une chanson d’amour à une meuf, tu l’as jamais ! (rires) Enfin celles qui ont fait bac L, ça peut les toucher. Les nanas se rabaissent moins je trouve, elles écrivent pas “Jean Luc, tu me manques”. Elles vont te montrer à quel point tu les as désastrées mais elles vont pas sortir “reviens, tu me manques”, sur ce point là, les mecs , on est pathétiques. Pour revenir à ta question, c’est plus des secteurs dans la musique qui m’intéressent. L’urbain en particulier, mais le secteur est complètement bouché. Le moindre truc que tu fais est susceptible d’être fait avant que tu le sortes. Donc j’irai peut-être chercher ailleurs dans d’autres styles aujourd’hui. Ou alors avec des rencontres.

La Vague Parallèle : Tu te tournerais plus vers un style plus orchestral comme tu as pu faire avec Threnody, la deuxième partie de Beograd ou encore Devoyka sur ton nouvel album ?

SebastiAn : Ouais, c’est parce qu’il y a eu beaucoup de cordes sur Devoyka, ça veut dire “femme” en serbe. On avait déjà énormément travaillé sur les cordes sur l’album de Charlotte et j’ai rencontré un mec qui s’appelle Owen Pallett qui est le type qui fait les violons dans l’ost de Her de Spike Jonze ou pour Arcade Fire. Il a un profil un peu atypique, on s’est rencontré à New York, je m’attendais un peu caricaturalement à un compositeur classique en costard, il doit avoir à peine 40 ans et il débarque en mini short, boots montantes. En général, dans le classique, quand tu leur chantes ton truc à la bouche pour qu’ils le refassent, le mec te regarde, il va à la machine à café et il te dit “tu reviendras quand tu l’auras écrit sur quatre partitions sinon je le fais pas”. Lui, tu lui fais lalala, il te le reproduit dans la seconde. Il a fait 17 morceaux pour Charlotte en un jour et demi. Voilà. Il faut savoir que les violons, c’est très dur à imiter en synthétique donc on a essayé de trouver une balance entre mes cordes et les siennes. On a tenté d’avoir le plus d’ordis possibles mais que ça se ressente le moins possible.

La Vague Parallèle : Tu as un univers assez lié au cinéma, pourquoi ?

SebastiAn : Je vais te sortir la réponse télé classique “ouais, j’étais très musique de film quand j’étais petit …” (rires) C’est vrai, mais c’est surtout que 99% des gens qui m’entourent sont dans le cinéma comme Quentin Dupieux et Justice, pour parler uniquement de mon label de musique. C’est principalement des gens qui ont eu une formation visuelle à la base ou qui sont des visuels tout court. C’est à dire qu’eux, quand ils conçoivent leur musique, ils ont une image en tête. Moi, j’ai rien ! Ablation ! Pour moi, la musique c’est que de la musique. Je n’ai strictement aucune image quand j’en fais. Ça me va. Moi, c’est des sentiments plutôt. Donc quand je rencontre quelqu’un comme Gaspard Noé qui est autant passionné en image que moi je le suis en musique, je lui dis “tu fais ce que tu veux, c’est ton interprétation”. Je leur donne jamais aucune ligne directrice pour la bonne raison que moi j’aimerais pas qu’on vienne me faire chier pendant que je suis en train de faire un truc. Gaspard est venu chez moi pour écouter mon nouveau disque et il m’a dit “je prends celui là et j’ai envie de faire ça là dessus”. Pour So Me et Todd Tourso, ça s’est passé pareil, je prends vraiment des gens en leur faisant confiance. Ils sont dans l’image comme moi je suis dans musique donc c’est un vrai échange.

La Vague Parallèle : Ça s’est aussi passé comme ça pour tes collabs avec Yves Saint Laurent ?

SebastiAn : YSL, c’est arrivé pendant que je bossais avec Charlotte vu qu’elle est égérie pour eux. On a vu avec Anthony Vaccarello, directeur artistique de YSL, on m’a demandé de faire une musique pour la tester et ça s’est bien passé. Finalement, on en a fait deux, puis trois, puis une quatrième récemment. Ça mènera à un disque à la fin parce que je les conçois de manière très filmique. Je ne connais strictement rien à la mode mais l’exercice en soit de faire un titre en trois jours m’intéressait. Ça va hyper vite, la structure du défilé n’est pas construite trois jours avant. C’est Independence Day, ils viennent c’est le bordel et ils repartent à Milan. Donc là, le fait de ne pas avoir à passer par la case cerveau et que tout est très immédiat, le fait d’entendre un truc qui a été fini cinq minutes avant et qui est diffusé devant les gens, il y a un côté très cool je trouve.

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