Show Me How You Disappear : la thérapie pop-rock salvatrice de IAN SWEET
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
10/03/2021

Show Me How You Disappear : la thérapie pop-rock salvatrice de IAN SWEET

| Photo : Lucy Sandler

Pour son troisième album Show Me How You Disappear, Jilian Medford (aka IAN SWEET) nous délivre d’importantes parts de sa vie, en prenant soin d’en garder pour elle. Une retenue calibrée, reflet d’un travail thérapeutique et salvateur qu’elle retranscrit subtilement à travers sa musique pop alternative influencée par l’air du temps. Du chaotique My Favorite Cloud à l’épiphanie illuminée de I See Everything, IAN SWEET chronique le processus de guérison mentale avec justesse, intelligence et sonorités distordues alternatives. 

La musique adoucit les mœurs. Aussi éculé puisse être le proverbe platonien, il est tout de même juste de souligner l’impact direct de la musique sur notre santé mentale. À ce sujet, le programme scientifique Le Labo des savoirs publiait en 2017 une émission fouillée autour de la musicothérapie. Si l’écouter est donc efficiente, la créer le serait d’autant plus. Une récente étude de Jama Pediatrics révèle d’ailleurs une augmentation significative de la proportion de chansons contenant des références à l’idéation suicidaire, à la dépression et à des métaphores représentant un problème de santé mentale. Si l’étude porte principalement sur le monde du rap, il est pertinent d’avancer que la situation est observable ailleurs.


Adresses utiles : https://www.preventionsuicide.be/fr/les-activités/ligne-de-crise-0800-32-123.htmlhttps://www.infosuicide.org/urgences-aide-ressources/lignes-decoute/


La pop culture de ces dix dernières années n’a pas manqué d’artistes abordant leurs propres troubles de santé mentale, dans une intention cathartique. Il y a eu, assez évidemment, le monument When We All Fall Asleep, Where Do We Go? de Billie Eilish, truffé de références mortifères jusqu’à l’ode suicidaire listen before i go. Mais on relève aussi le tout premier single Lights d’Ellie Goulding, qui derrière son tempo upbeat se faisait l’écrin d’un témoignage glaçant autour des troubles d’anxiété et d’insomnie. Florence Welch (du groupe Florence + the Machine), quant à elle, délivrait sur son dernier album High As Hope le puissant titre Hunger relatif à ses troubles de l’alimentation tandis que Jay-Z brisait sur Smile (issu de son dernier album 4:44) bien des tabous à propos de la masculinité noire et la nécessité pour les hommes de consulter lorsque le besoin s’en fait sentir.

Jilian Medford ajoute donc sa pierre à l’édifice dans cette discographie si nécessaire en nous partageant son combat contre l’anxiété maladive, son parcours vers plus de sérénité et sa conception de la lumière au bout du tunnel. Le récit est poétiquement intitulé Show Me How You Disappear et se compose de dix sublimes morceaux, en discussion les uns avec les autres pour former un tout cohésif remarquable. L’ensemble est le fruit d’un séjour dans un centre de thérapie au sein duquel l’artiste, sans vraiment le vouloir, composera la majeure partie de son troisième album.

 

La crise 

Lorsque Medford écrit certains morceaux de ce nouvel album, elle souffre encore de dépression sévère causée par ses anxiétés grandissantes. On ressent alors sur ces titres une forme pure de vulnérabilité qui, malgré quelques sonorités plus douces ci et là, n’en demeure pas moins inquiétante. Une noirceur s’empare d’eux, que ce soit dans leurs lignes, leur intensité ou leur structure. L’introductif My Favorite Cloud est sans doute celui qui témoigne le plus intensément de ce sentiment de détresse. L’album s’ouvre alors sur des sonorités abruptes et dissonantes qui se mêlent à la voix modulée de Medford qui clame :

 

My psychic told me I’d die
‘Cause I’d forget to breathe
Well, did I forget
Or was I always knowing?

Des lignes qui en disent long sur l’état de santé mentale de Medford à l’époque, et l’urgence pour elle de solliciter de l’aide. Le levé de voile sur sa condition, c’est notamment le sujet de Dumb Driver et Power. Deux morceaux sur lesquels elle décide de faire front à ses démons : assumer sa tendance à se perdre en amour sur le premier, et accepter de se faire aider sur le second – plus compliqué. Les deux titres se rejoignent par les percussions franches de leurs instrus, témoignant de la force indicible qui pousse une personne dans le besoin à consulter. Power en particulier va s’inscrire dans cette fibre électrisante, revigorante, qui crie “I wanna feel the power of knowing nothing” à pleins poumons pour soulager ses peines. Ne rien savoir, ne rien laisser l’atteindre : ça y est, IAN SWEET est prête à aller mieux.

La guérison

Début 2020, elle entre en thérapie, et découvre les différents stratagèmes qui vont l’aider à s’en sortir. De ses sessions en ressortiront des pensées, des maximes instinctives à appliquer, des poésies imagées liées à son vécu. Des brouillons qu’elle répertoriera dans un journal, sans savoir que ce dernier allait composer la base de ce troisième album. Ce qui est intéressant dans le combat de Medford, c’est que sa rupture sentimentale encore toute fraîche semble étroitement liée à ses troubles de santé mentale. Ainsi, c’est en les associant qu’elle les combat le mieux, en un seul ennemi compact plutôt que deux insaisissables. Lorsqu’elle décide d’appeler le projet Show Me How You Disappear, la chanteuse fait en réalité référence à cette personne qui lui a fait du mal et à ce mal-être qui l’habite, conjointement, pour leur dire de foutre le camp.

Sur Sing Till I Cryelle renoue avec les choses simples de la vie, se laisse illuminer par le soleil et ressent l’envie de le partager. C’est ce processus de ré-appréciation de ces petites choses que nos traumatismes nous enlèvent, une certaine innocence retrouvée. “Cette chanson m’incite à guérir et à redécouvrir cette légèreté de l’être. Qu’est-ce qui vous fait craquer ? Qu’est-ce qui vous fait pleurer ? Qu’est-ce qui vous donne de l’amour ?” confiait-elle à Pitchfork. Les riffs percutants de guitare électrique et les cris de SWEET vous procureront sans l’ombre d’un doute toute la nostalgie et la mélancolie heureuse ici infusées.

 

L’une des pierres angulaires de sa thérapie sera l’Emotional Freedom Techniques, abrégée en EFT, et qui fait référence à une pratique psycho-corporelle visant notamment à traiter des troubles d’anxiété en stimulant certains points du corps tout en récitant des mantras réconfortants. Cette pratique prend une étonnante forme musicale dans plusieurs morceaux, qui vont user de cette répétition inlassable pour mieux transmettre un certain message. Un procédé qui nous rappelle le titre I Want To Be Well de Sufjan Stevens qui, lui aussi sujet à des troubles de santé mentale, enfilait la phrase “I’m not fucking around” seize fois (!) d’affilée. En ce sens, le morceau Get Better est le plus précieux de la collection. Véritable manifeste du fil rouge de l’album, son esprit galvanisant s’immisce dans des refrains percutants portés par les “I wanna get better” religieusement répétés par Medford.

Sur le léger Drink The Lake, on retrouve une dimension plus concise (et résolument plus pop) de son univers sur un morceau dédié à son ancienne relation, en lui affirmant qu’elle “l’oubliera en récitant son prénom à l’envers”. Une technique comme une autre, qui prouve en poésie sa résignation face à l’amour. Nul ne sert de s’encombrer avec toutes ces futilités sentimentales. Et on ne peut être plus en accord avec elle. Sur l’éponyme Show Me How You Disappear, elle cristallise ce sentiment de rupture avec intensité et force. Les sonorités expérimentales du morceau semblent élever la voix et les lignes de IAN SWEET qui s’adresse sans pincettes à ses démons pour leur faire passer un message clair : “barrez-vous”.

 

I kiss your fist, let you win
Loved you more with every blow
It’s your turn to lose now

La suite

Dirt et Sword, de leur pop plus allègre, se dressent comme le moment où un corps démembré finit par se reconstituer entièrement, prêt à affronter les troubles qui l’ont tant affaibli. Le second, notre coup de cœur, jouit d’un esprit funky malicieux et est décrit par la chanteuse comme son manifeste Ultimate Fighter. “Il est né du besoin impérieux de mettre fin à ce que je ressentais comme une bataille incessante. Une bataille où j’étais constamment désarmée. J’ai imaginé mon corps comme étant à la fois le bouclier et l’arme pour me défendre contre quelqu’un qui voulait que je me rende.” Le morceau idéal pour se donner de la force, ou plutôt pour retrouver celle que l’on a trop longtemps enfouie en nous. Mention spéciale pour la punchline “My body is a sword, It gets sharper when it gets ignored” qui fait frétiller nos cœurs (et nos corps) à chaque écoute.

Le conclusif I See Everything retranscrit en musique cette sensation de lumière au bout du tunnel. C’est ce moment du film où l’héroïne lance un regard à la caméra avant de s’éloigner tout sourire. Et alors que les crédits défilent, on se refait le scénario à l’envers, on se rappelle les climax et les moments creux, les abandons et les victoires. Il est alors pertinent de se demander si ces démons ont réellement disparu, si l’on peut vraiment parler de happy ending. À cela, Medford ne laisse pas l’ombre d’un doute : “I feel it now, I feel. Got that air in my lungs. I can breathe”. 

Avec Show Me How You Disappear, IAN SWEET prouve qu’il ne suffit parfois que d’une inspiration pour conjurer des années d’apnée : c’est la musique de l’élan, du travail personnel, des batailles contre soi-même pour réparer les fêlures qu’on s’est faites – et que l’on nous a causées. Une musique audacieuse, aux sonorités expérimentales et aux textes métaphoriques, qui vont permettre à l’artiste de prendre du recul, de déverser son histoire sans en délivrer tous les détails – moins par précaution que par intelligence. En s’accordant à ce songwriting plus imagé, IAN SWEET prouve ainsi une certaine maturité et parvient à aborder son combat sans en faire trop. Une pop pansement d’une sincérité frissonnante.


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