Sometimes, Forever : la sorcellerie tristement douce de Soccer Mommy
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Auteur·ice : Chloé Merckx
04/07/2022

Sometimes, Forever : la sorcellerie tristement douce de Soccer Mommy

Soccer Mommy a purgé sa magie créative pour nous dépeindre un paysage à la fois doux et sombre, carburant à l’émotion pure. Sometimes, Forever est le chef-d’oeuvre de Sophie Allison, et il brûle de sa passion mystique.

Soccer Mommy aka Sophie Allison n’avait déjà plus grand chose à nous prouver au niveau de ses talents de composition. À seulement vingt ans, elle nous sortait déjà le magnifique Clean : un album rock coming of age, sincère, insouciant, qui posait les prémices d’un style qu’elle allait parfaire par la suite. Sometimes, Forever est le nouveau bijou qu’elle a forgé de ses doigts. Un diamant brut, passionné et lumineux qui perce dans les ténèbres.

Il y a à la fois une certaine fragilité et une grande maturité dans le style de Soccer Mommy. Sa voix posée doucement contraste avec sa musique intense et expressive. L’écriture de l’album a commencé en 2019. Comme beaucoup d’artistes, elle a été contrainte de faire une pause dans son activité pendant deux ans. Une pause qu’elle ne se serait probablement pas accordée autrement, mais qui lui a permis ce temps d’introspection nécessaire pour faire émerger la créativité qu’elle ressentait. Si elle est aujourd’hui dans une période moins grise, elle sait que ni le bonheur ni la tristesse ne restent pour toujours.

Fusion aussi inattendue que fonctionnelle, Sometimes, Forever a la particularité d’être produite par Daniel Lopatin, soit Oneohtrix Point Never. Le style de production de Daniel Lopatin est très présent dans le mix, tout en laissant l’espace à la composition de Sophie Allison. Elle collectionne beaucoup d’éléments nineties dans sa musique – pas étonnant quand on vient de Nashville. L’influence du punk et du grunge des années 90 a beau être indéniable, rien ne passe pour une pâle copie de quelque chose qui a déjà été fait. Sa musique nous semble inédite, pas du tout réchauffée, et ce, en partie grâce à une production très moderne et le style un peu futuriste de Lopatin qui relèvent le tout. L’album traverse nos esprits, évoque des souvenirs qui n’auraient en réalité jamais eu lieu, à la manière d’un déjà vu. On perçoit un peu de la pop de Cocteau Twins dans les arrangements, de l’intensité de PJ Harvey dans les textes ou même de la rondeur de Portishead dans les ambiances, mais tout ce qui pourrait sonner familier ne l’est, au final, pas vraiment.

 

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Dans Sometimes, Forever, Soccer Mommy transforme un journal intime en un album rock au multiples dimensions. Elle nous laisse jeter un coup d’oeil discret dans les tumultes de son esprit, par sa douce poésie confessionnelle. Le titre fait référence au cycle du bien et du mal. Si la tristesse et le vide passent, ces émotions reviendront, et c’est pareil pour la joie. D’une certaine manière, elle accepte les deux avec sagesse et en retire le meilleur. La façon dont elle évoque ses montagnes russes émotionnelles est rendue magique par l’utilisation d’un son rétro, pour ancrer dans le temps les troubles liés à la virtualité de notre époque.

Certaines chansons dans cet album ressortent vraiment du lot, l’expérimental et la diversité instrumentale lui ont permis d’explorer différents modes musicaux. Par exemple avec Unholy Affection, on est très clairement dans du rock stoner, la chanson est très dark et se situe un peu en dehors du reste. La production de Daniel Lopatin et les éléments soniques qu’il rajoute ont une touche un peu chaotique, mais le talent de la chanteuse rend ce brouillard gracieux et sa voix claire reste imperturbable par la tempête autour d’elle. Cette bipolarité, on la retrouve plusieurs fois dans l’album et elle donne beaucoup de force à son oeuvre. Avec Following Eyes, le contraste est très explicite entre l’intro de la chanson, très sombre, et la suite résonnante qui devient joyeusement mélancolique en une fois. Les chansons sont arrangées presque comme un parcours initiatique qui évolue avec justesse, et dont les transitions sont sensibles et sensées.

Dans son album, le bonheur et la tristesse cohabitent. Feel It All The Time représente un moment de bonheur pur et simple, qui fait abstraction du poids de ses démons. Sur une instru plus folk aux guitares crooneuses, Sophie utilise la métaphore d’un vieux camion qui traverse l’Amérique en bravant les kilomètres. Probablement nostalgique des road trips sur la côte Ouest, elle s’autorise un éloignement de la tristesse, pour célébrer ce sentiment de pouvoir continuer à conduire des kilomètres sur le bitume brûlant, sans faire attention à la rouille, et dans son rétroviseur un nuage de poussière qu’elle fait voler derrière elle.

So I wanna drive out for where the sun shines
Drown out the noise and the way I feel
But even the light is so temporary
And I see the dark at the back of my heels
I feel it all the time

Le vrai chef-d’oeuvre de cet album est probablement l’intense Darkness Forever. Une composition mystique et explosive, inspirée par la mythologie chrétienne du bien et du mal. Une douce danse macabre qui évoque la vision de la chanteuse du feu comme purgatoire. Si tout le monde les imagine destructives, Sophie envisage les flammes comme un rituel purifiant. Sur des guitares cinglantes et une disto lourde, elle a composé avec l’idée d’une personne tourmentée, qui brûlerait sa maison pour en faire sortir le maléfique et se libérer de l’obscurité. Comparable, d’une certaine manière, à la façon dont elle se dégorge de ses propres démons en posant ses paroles sur papier.

Darkness forever
Cold sinking ocean
I want to feel the warm of relief

The devil is chasing
Hard on the tail end
Trying to struggle out of his leash

Sometimes, Forever reflète cette pureté enfantine, brisée par la dureté de l’adolescence, dont on essaye de récupérer les morceaux à l’âge adulte. À la première écoute, on ne perçoit pas directement la tristesse profonde ancrée dans ses textes. L’album est dark, mais ne contient pas la lourdeur de la déprime. La performance et la voix de Soccer Mommy rendent toutes ses chansons poignantes, mais nous épargnent la dureté des sentiments. Si les ténèbres peuvent nous submerger, il y a toujours de la lumière. Cette lumière, Soccer Mommy la fait flotter sur des nuages mélodieux sur fond de coucher de soleil.


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