Sofiane Pamart : “Ma limite, c’est le monde”
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
25/11/2019

Sofiane Pamart : “Ma limite, c’est le monde”

Mélangeant la maestria de Chopin et le charisme de Booba, Sofiane Pamart, l’auto-proclamé french piano king, est bien décidé à imposer son style néo-classique au devant de la scène. Jouant sur son image provocatrice d’enfant terrible du piano français, le virtuose se délie du lot par un contraste captivant entre une solide image de rappeur et son goût pour la finesse de la musique classique. Très actif aux côtés de grandes pointures du monde du rap ces dernières années, il sortait récemment Planet, un premier album aux milles saveurs qui brille par la générosité et la gourmandise de ces voyages auxquels le Lillois nous invite. À l’occasion de la sortie du disque, nous avons échangé quelques mots avec cet artiste exemplaire tant artistiquement qu’humainement parlant.

La Vague Parallèle : Bonjour Sofiane, aujourd’hui sort ton premier album Planet. Comment te sens-tu en ce jour un peu spécial ? 

Sofiane Pamart : Pour moi, le jour de sortie c’est un jour de fête. C’est un jour que j’attendais depuis longtemps, que j’ai préparé. Entre le moment où mes oeuvres sont créées et le moment où elles sortent, il y a toujours un certain laps de temps. Et là, enfin, ces oeuvres ne m’appartiennent plus. Elles appartiennent au public.

La Vague Parallèle : Et tu es à l’aise avec le fait qu’elles ne t’appartiennent plus ? 

Sofiane Pamart : Oui, franchement je suis complètement à l’aise avec ça car c’est leur vocation de base. Je crée de la musique pour qu’elle soit partagée. Certes, au départ, je produis des morceaux par nécessité car je pense que si je ne pouvais pas faire ce que je fais, je vivrais une sorte d’implosion : j’aurais trop de chose à l’intérieur de moi que je n’arriverais pas à sortir. Mais ensuite, leur véritable destinée c’est d’être partagés. J’imagine que mes oeuvres ont deux vies : une première lorsqu’elles sortent de moi et une seconde lorsqu’elles rencontrent le public.

La Vague Parallèle : Tu avais déjà sorti des albums en équipe avec le rappeur belge Scylla. Ici, c’est un album solo. La pression est-elle plus intense qu’en collaboration ? 

Sofiane Pamart : Oui, il y a plus de pression. En collaboration, c’est “voici ce que notre duo donne” alors qu’en solo c’est plutôt “voici ce que je suis“. C’est beaucoup plus de responsabilités d’assumer cela.  Du coup oui, plus de pression sans hésitation.

La Vague Parallèle : Cet album nous permet d’explorer cette histoire d’amour entre toi et ton instrument, le piano. C’est quoi les débuts de cette histoire ? 

Sofiane Pamart : C’est parti d’un petit jouet que j’avais aux alentours de mes 3-4 ans, une espèce de piano électronique. Ce que j’aimais bien faire, c’était reconnaître des musiques de film et les rejouer d’instinct. La première, c’était la musique du film Le Parrainje pense. On s’est rendu compte que j’avais une oreille assez développée, l’oreille absolue comme on dit dans le classique. Pour moi, c’est arrivé assez vite et c’est devenu un automatisme, donc ma mère a décidé de m’inscrire au piano.

La Vague Parallèle : Et le temps a fait les choses, tu intègres le Conservatoire de Lille et tu en ressors médaillé d’or. Après ça, surprise, tu décides de mélanger le classique avec le rap dans un premier groupe appelé Rapsodie. Tu avais conscience du risque d’un choix aussi audacieux ?

Sofiane Pamart : J’ai toujours ressenti ce besoin d’être différent, de prendre des risques, de créer une case qui serait la mienne. En bref, d’exister en créant quelque chose de nouveau. Même si, forcément, je peux m’inspirer de choses qui existent déjà, comme le rap et le classique. Ils existent séparément, certes, mais moins ensemble. Du coup, j’étais très heureux de réaliser que ce mélange inhabituel allait être mon territoire. C’est comme ça que j’ai lancé Rapsodie. Et en développant ce projet, ça m’a donné d’autres ambitions personnelles en parallèle comme celle de devenir le pianiste du rap français. À partir de là, j’ai accompagné beaucoup de rappeurs sur un tas de projets différents. Aujourd’hui, j’ai envie de prendre ma place en tant qu’artiste front et raconter ce que j’ai à raconter en prenant la parole en piano solo.

La Vague Parallèle : Tu parles de ton grand réseau dans le monde du rap (Nekfeu, Médine, Vald, Koba La D, etc). Du coup, on s’attendait à quelques featurings sur cet album, mais ce n’est pas le cas. Comment tu expliques ce choix ? 

Sofiane Pamart : Je mène deux vies en parallèle. Il y a cette vie  pleine de collaborations dont je suis très fier, et puis il y a cette vie solitaire de pianiste soliste. C’est cela que je voulais mettre en avant ici. Le piano c’est un des rares instruments qui ont cette capacité d’exister tout seul. Il a ce côté orchestre en noir et blanc, un aspect majestueux dans son approche de la musique, dans le fait de pouvoir tout englober. Grâce à tout cela, je me sens très épanoui dans le solo.

La Vague Parallèle : Ce mélange entre le rap et le classique, tu le maîtrises. Sur une session live de ton titre Medellìn, tu montres tes grillz avant de te lancer dans une somptueuse mélodie de piano. Comment tu gères cette nuance entre le côté urbain de ton personnage et le côté classique de ta musique ? 

Sofiane Pamart : Moi, j’adore. Je suis vraiment content de proposer  cette nuance. J’aime bien l’idée que certains vont se dire “ce pianiste là, c’est un rappeur“. C’est vrai que moi, en tant que pianiste, j’ai l’attitude d’un rappeur. Tout cela, je l’ai appris du monde du rap, ce sont les rappeurs qui m’ont inspirés à avoir ces postures là. Et selon moi, ça donne une approche de la musique qui est différente. En découvrant cette session, les gens qui se sentent étrangers au monde du piano vont se sentir légitimes d’aimer ce piano là en particulier, justement parce qu’il est joué par quelqu’un qui a l’air, lui aussi, étranger à ce monde. Je suis content de pouvoir créer une passerelle par le biais du style.

La Vague Parallèle : Justement, tu as dit un jour : “De voir quelqu’un qui leur ressemble qui joue du piano, ça leur a donné le sentiment que ça pouvait tout à fait leur appartenir”. Est-ce important pour toi de populariser la musique classique ? 

Sofiane Pamart : Grave ! Moi, mon objectif, c’est de faire de la musique populaire. Ça ne m’intéresse pas de faire de la musique élitiste ou réservée à qui que ce soit. “Populaire”, c’est un des plus beaux mots : ça veut dire que t’arrives à toucher tellement d’âmes. C’est le cas de Vald ou Koba La D, dont les morceaux connaissent une résonance énorme avec toutes les personnes qui les écoutent. La musique elle trouve une seconde vie dans ce partage avec tous ces gens qui ressentent une quelconque émotion en l’écoutant. Moi, je veux que ma musique soit populaire.

La Vague Parallèle : Populaire au point d’espérer un jour retrouver un compositeur pianiste en tête d’affiche d’un festival d’été ? 

Sofiane Pamart : Ah oui, totalement. Moi je veux être un pianiste star, donc tête d’affiche forcément. Ce n’est pas du tout impossible.

La Vague Parallèle : Pour en revenir à Planet, à l’écoute on a vraiment un mot qui nous vient en tête : émotions. Le plus fou c’est qu’il n’y a pas une seule parole sur le disque et pourtant on a l’impression que tu nous dis des choses. Comment as-tu réussi à faire en sorte que tes notes soient des mots ? 

Sofiane Pamart : En réalité, il y a des moments où je n’arrive plus à bien parler. J’ai des bugs de langage parce que je commence à ressentir trop de choses et que je n’y arrive plus. C’est à ces moments là que le bouillonnement émotionnel est tellement fort qu’il n’y a qu’un seul vecteur qui me sauve depuis que je suis tout petit : le piano. Du coup, je pense que ce qui donne cette émotion à l’écoute, c’est le fait que je vais au piano pour dire les choses que je n’ai pas la capacité de partager avec des mots. Ça part toujours de quelque chose d’intense et fulgurant : de l’intensité à l’intérieur et de la fulgurance au moment où ça sort.

La Vague Parallèle : Un album d’émotions mais aussi d’endroits. 11 des 12 titres qui composent Planet portent le nom d’une ville. Comment as-tu réussi à juxtaposer l’atmosphère d’un endroit à la mélodie d’un morceau ? 

Sofiane Pamart : Ça dépend. Avec La Havane, par exemple, je venais de fumer un cigare et la fumée et l’odeur qui s’en dégageaient m’ont donné l’impression d’être à Cuba, alors que je n’y étais jamais encore allé. Je commence donc à imaginer ces scènes là, et je m’influence aussi beaucoup du groupe Buena Vista Social Club. C’est donc après coup que j’ai compris qu’un des morceaux collait à merveille avec ces sensations là et qu’il a pris le nom de La Havane.

La Vague Parallèle : Du coup, tu avais déjà tes compositions et les noms de ville s’y sont appliqués par après ?

Sofiane Pamart : À la base, j’avais déjà décidé du concept de l’album avec ces noms de ville. Mais je ne savais pas à l’avance ce qui allait déclencher ces sensations, ces connexions avec telle ou telle destination. En général, ça s’est fait comme ça. Mais pour Alaska, par exemple, ça s’est fait à l’envers. J’ai été inspiré par le désert de glace pour composer le morceau. Même chose pour Sicilia : je vivais une histoire d’amour très fougueuse avec une sicilienne et je voulais raconter cette histoire au piano. En plus, ce morceau a fait écho à des choses en moi, comme les souvenirs de ce film Le Parrain qui avait eu une certaine importance dans mon enfance. Donc, à chaque fois ce sont des histoires personnelles mais ce n’est pas tellement ça qui est important. L’important c’est que les gens se fassent leur propre histoire avec les morceaux, et le nom des villes c’est plutôt une invitation à des voyages.

La Vague Parallèle : Sur le morceau Séoul, on peut entendre une puissance colossale qu’on associerait presque à de la rage. Pourquoi avoir voulu exprimer cela ? 

Sofiane Pamart : La ville de Séoul, je l’ai choisie pour le côté anime  issu de la culture asiatique et qui me tient à coeur. Je voulais donc intégrer une ville d’Asie et j’avais une émotion que je voulais exprimer, c’était cette rage de vouloir exister en tant qu’artiste. C’est lié à un état d’esprit dans lequel je me trouvais avant de signer les contrats qui me permettent aujourd’hui de vivre de ma musique. En écrivant ce morceau, l’un des premiers de l’album d’ailleurs, je voulais exprimer cette explosion de hargne et de revanche sur la vie, celle qui m’a poussé à gagner mon statut d’artiste. Après coup, j’ai associé ces deux envies, l’Asie et la rage, en choisissant la ville de Séoul et en imaginant cette scène de prise de pouvoir en Corée du Sud. Je trouvais ça cohérent.

La Vague Parallèle : Le dernier titre porte le même nom que l’album, Planet. Alors que sur les onze autres tu te focalisais sur un endroit en particulier, ici tu englobes le monde entier. C’était le plus complexe à produire ?

Sofiane Pamart : Non, pas vraiment. En fait, Planet m’évoque un sentiment d’accomplissement et d’apaisement : je suis apaisé d’avoir exprimé toutes les émotions que j’avais à exprimer avec les onze premiers morceaux. C’est pour cela que le titre est plus évasif. D’ailleurs, mon tout dernier clip est une version longue de Planet, un hors-format de 14 minutes qui englobe toutes les destinations de mes différents voyages. On y retrouve des rushs jamais sortis et des scènes spécifiques tournées spécialement pour cela et, finalement, je pense que ce long visuel symbolise cette idée d’accomplissement liée à ce dernier morceau.

La Vague Parallèle : Un pays qui n’apparaît pas sur la tracklist, c’est le Maroc. Cependant, on le retrouve quand même sur la pochette de l’album avec une photographie prise là bas. C’était important pour toi d’intégrer le Maroc sur Planet d’une façon ou d’une autre ?

Sofiane Pamart : Bien sûr. Mes origines, c’est Berbère du Sud du Maroc. Du coup, c’était un symbole fort de l’intégrer au disque même si je ne l’avais pas encore choisi comme destination. Mais bon, je me le réserve pour plus tard.

La Vague Parallèle : L’album t’a permis de découvrir de nouveaux horizons ? 

Sofiane Pamart : Oui, carrément. C’était aussi une incroyable manière de voyager aux frais des labels. (rires)

La Vague Parallèle : Tu parlais de musiques de film au début de l’interview. Si tu pouvais composer pour le cinéma, ce serait pour quel genre de films ? 

Sofiane Pamart : Je suis un vrai cinéphile, j’adore le cinéma. Ça me plairait tout autant de produire pour un film d’auteur francophone que pour le cinéma international. Je suis aussi fasciné par le cinéma d’animation, d’ailleurs je suis actuellement sur certains projets liés à cela. Je rêverai de pouvoir développer le même genre de relation que Joe Hisaishi a construit avec Hayao Miyazaki. Pendant 20 ans, il a composé la musique des oeuvres de ce grand homme, de Princesse Mononoké à Château dans le ciel. C’est le genre de relation solide qui dure avec un réalisateur et j’aimerai beaucoup pouvoir nouer ce genre de connexion.

La Vague Parallèle : Ton coup de coeur cinématographique ?

Sofiane Pamart : Interstellar.

La Vague Parallèle : Ton coup de coeur musical ?

Sofiane Pamart : J’admire l’ensemble des artistes avec qui je travaille. Sinon, hier on m’a fait écouter quelques morceaux de Kalash, j’étais passé à côté de son dernier album et j’ai vraiment apprécié. J’aime beaucoup Booba, aussi. Gros coup de coeur pour Laylow qui apporte quelque chose d’incroyable au monde du rap. Isha aussi, il est trop chaud !

La Vague Parallèle : Ça fait beaucoup de rap !

Sofiane Pamart : C’est vrai que je t’ai cité que du rap. Et pourtant, j’aime aussi beaucoup écouter des bandes originales de films, j’aime bien tout un tas d’inspirations différentes. Le truc c’est que je saurai moins te les citer parce que je ne retiens pas forcément les titres ou même les artistes. Je fonctionne beaucoup par playlists et j’aime bien les créer en fonction de mes émotions : je compile les morceaux par mood et quand j’en veux un en particulier, je choisis la playlist correspondante et je me laisse aller sans vraiment faire attention à qui ou qu’est ce que j’écoute.

La Vague Parallèle : Si tu devais décrire ta musique en un seul plat, ce serait quoi ? 

Sofiane Pamart : Un seul plat, ce serait hyper réducteur pour un album comme Planet. Mes morceaux, surtout sur ce disque, c’est un ensemble de plein de plats différents. C’est comme si t’avais une carte géante, et sur cette même carte tu peux bouffer asiat’, tu peux bouffer rebeu, tu peux bouffer africain. Ma musique, c’est ça : je t’invite à un voyage culinaire.

La Vague Parallèle : Qu’est ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ? 

Sofiane Pamart : De continuer à avoir cette capacité d’atteindre les objectifs que je me fixe. Je me suis auto-proclamé piano king, donc autant que je le devienne vraiment. Je m’auto-proclame jusqu’à ce que je le devienne, dans Game Of Thrones ils font ça aussi. (rires) Ma limite, c’est le monde. Je ne sais pas si on m’écoute ailleurs, donc je vais m’en tenir à la planète terre : le piano à l’internationale.

La Vague Parallèle : C’est tout ce que l’on te souhaite !  


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