Souvenirs d’été : une journée à La Carrière #4 en tant que néo-carriériste
"
Auteur·ice : Matéo Vigné
16/09/2022

Souvenirs d’été : une journée à La Carrière #4 en tant que néo-carriériste

| Photos : Matéo Vigné pour La Vague Parallèle

Ça y est, c’est la rentrée, l’été est fini, le temps des festivals est derrière nous, mais ça ne veut pas dire qu’on les a oubliés. Un des événements qui nous a marqué·es en cette fin d’été 2022, c’était la version urbaine de La Carrière. Atypique, local et détonnant.

Bon, qui dit été dit festivals et qui dit festivals, en général, dit moment d’évasion, loin d’un centre ville bruyant, au vert, assez dépaysé·es de tout ce qui habituellement nous entoure. Mais parfois pas du tout, ça peut être tout l’inverse. En dehors des sentiers battus et contre toute attente, certaines organisations culturelles font le pari de produire un festival en ville, ce qui n’enlève rien à l’esprit ni à l’envie de découverte et du bon temps passé à danser sans relâche.

Cette année, alors que les gros festoches sont pointés du doigt pour leur impact écologique désastreux ainsi que pour le manque de diversité au sein de leur programmation, certain·es festivaliers·ères prennent la décision d’investir sur un choix plus local, plus petit, avec une proximité plus évidente. Avec La Vague Parallèle, on a testé la quatrième édition de La Carrière, qui cette fois avait opté pour un format citadin et non pas à Bioul, leur « petit écrin de verdure idyllique » que les orgas chérissent tant.

Au programme : deux jours de fête à Molenbeek, plus précisément à LaVallée, ce petit îlot musical déconnecté de tout, entre projet communautaire, expressions artistiques et poumon culturel. La Carrière a fait le bon choix pour le lieu de son festival, une urbanisation forcée mais réussie. Dans le but de vous faire (re)vivre l’expérience au plus près, on s’est rendus le samedi sur place et vous avons documenté, minute par minute, heure après heure, chaque sensation vécue à proximité des artistes, de la foule, des orgas.

Un samedi d’été, à Bruxelles, c’est souvent à double tranchant. Il fait trop chaud mais il fait beau, tout le monde est en vacances à Marseille mais c’est calme, il y a moins de boulot mais on sait qu’on va se prendre une charge de travail à la rentrée… Bref, un bon moment de transition dans l’année entre des débuts poussifs pour certain·es et un sprint final chargé pour d’autres. La fin des restrictions liées au Covid a sûrement réveillé chez beaucoup cette envie de voir tout ce qu’il y a à regarder et d’entendre tout ce qu’il y a à écouter. Ça tombait bien, le line-up de La Carrière #4 s’annonçait riche en découvertes surtout locales. Je (re)connais quelques noms sur le programme placardé au mur, de quoi éveiller ma curiosité et dissiper quelconque attente.

17h – Je discute avec l’un des organisateurs qui me dit que la fréquentation des évènements culturels a changé depuis le confinement. Par rapport à avant, pas mal de gens achètent leur billet à la porte plutôt qu’en prévente. Comme un effet d’incertitude généralisé sur l’ensemble du monde événementiel. Difficile à gérer pour les personnes qui portent ces projets, mais ces dynamiques font partie du « monde d’après », comme on dit.

Ce qui est pas mal en général dans ce genre de rassemblement, c’est d’analyser la population locale. Je trouve qu’on se perd souvent dans les esthétiques faussement alternatives dans tel ou tel événement, où au final chacun essaye de mettre en avant une singularité qui finit par ressembler à celle de tout le monde. Ici c’est différent. Il y a des mèches, des casquettes, des chapeaux de cowboy, des mulets, des t-shirts Public Enemy, des cheveux verts, des gosses (un peu turbulent·es), etc. À boire et à manger, dans le bon sens du terme. De la personne lambda venue découvrir au fan des premières éditions, de la bénévole au speaker délirant entre Jean-Claude Van Damme et Frédéric Beigbeder, en mieux, ne faisant pas d’économies sur les références légères, les pseudo séances d’hypnose collective et les blagues rigolotes. J’ai à peine le temps de prendre mes marques, me payer une bière, que le premier artiste commence à s’installer.

17:30 – Le temps de dégainer mon appareil photo, de noter l’heure, Slamino commence son set. Un concert ambiance rythmique, samples et boucles très perso. C’est de l’électro avec une pointe bien venue d’acoustique. Super pour commencer cette journée, et au final, si on ferme les yeux, on s’imagine de la verdure tout autour, la campagne, les plantes, le calme. À la fin de son set, il range son propre matos, comme si j’étais en train d’assister à un showcase d’un pote, invité par une pote, entouré de ses proches.

 

18:12 – Comme l’impression d’être dimanche, en famille, c’est toujours dans une ambiance bon enfant les petits festivals, ce mood doux, respectueux, entraînant. C’est quelque chose qu’on oublie assez vite quand on est habitué·es aux ogres du consumérisme dans l’industrie. C’est comme aller voir le match de foot d’une équipe locale, tu t’attends pas forcément à quelque chose de grandiose, mais tu passes un moment unique. [Je comprendrai plus tard que ce « quelque chose de grandiose » allait avoir lieu, même dans un petit festival, NDLR.]

18:42 – Le premier concert était cool. On sent le chouette type derrière Slamino. Un gars qui like et qui reposte ta story moins de 20 minutes après son concert, c’est quelqu’un de bien. Ou en tout cas sa présence sur les réseaux sociaux est accessible. On était dehors, là, on passe dedans pour voir Stakattak. Ça fait déjà 10 minutes que ça a commencé. Je tombe face à un groupe punk, super t-shirt « Pedigree ». Le chanteur endosse parfaitement ce rôle à mi-chemin entre le flamand pro et le punk déjanté, un mix détonnant. 

À presque chaque chanson, les membres changent d’instrument et les rôles s’inversent. Le batteur devient guitariste, le chanteur devient batteur, la guitariste devient chanteuse. Ou c’est l’inverse, peut-être ? Bref, en tout cas l’énergie qui se dégage de ce groupe est envoutante. Le public joue le jeu et laisse le beau mulet du lead se balader dans la foule sans pression, sans entraves, en toute liberté. Une flûte mal jouée, un gars qui finit torse nu suintant comme un boxeur des anciens temps avec son pantalon sous forme de caleçon long… Il y a à manger et à boire dans cette performance. Dans cette longue danse punk, je finis par me retrouver sur le chemin du chanteur qui improvise une partie de cache-cache dans la foule avec moi, tout en chantant.

 

19:35 – Je suis allé pisser.

19:37 – Ce qui est super intéressant dans cette configuration, c’est cette alternance entre de la musique punk, électronique et tous les mélanges sans queue ni tête qui, bizarrement, passent très bien. On ressent dans la curation une envie de faire découvrir, mêlée à la programmation de valeurs sûres. 

C’est le cas de la prochaine artiste qui passe, Lazza Gio, en pull Tokio Hotel, aux cheveux rouges et à l’allure d’une guerrière du mic’. Son aisance sur scène, son style 2000, ses yeux rieurs, tout ça me donne envie de faire un tour sur Vinted pour voler son style. Sinon niveau musique, on est entre un classique rap boom bap et des inspirations dignes d’un ovni du genre. Je ne me mouille pas en disant ça, ou peut être un petit peu, mais on retrouve comme une certaine patte XXXTentation mais de BXL.

20:34 – C’est bien beau de boire sans relâche, mais le ventre vide c’est un peu difficile. Sur place, je me fais un magnifique sandwich italian lover, fromage fondu avec une sauce basilic, accompagné de frites-mayo-truffe. Le petit food truck disponible juste entre les deux scènes, une aubaine. En plus, entre le sourire des restaurateurs·rices et la qualité de la bouffe, difficile de ne pas s’y arrêter. Mmh tant pis pour le début du prochain concert, ça vaut le coup de se faire attendre quand on tombe devant ce genre de casse-croûte. 

20:40 – Ce qui est cute, c’est que chaque artiste reste pour la fin du festival, écoute le reste de la prog en mangeant tantôt des nachos, tantôt des burgers végé, si vous voulez des scoops sur le régime de chacun n’hésitez pas à me demander.

20:41 – La salle est pleine, j’ai du mal à me frayer un chemin parmi le public qui, à vue d’œil, s’ensauvage et déploie ses plus beaux pas de danse. L’appareil photo aide pas mal pour se faufiler dans une foule toujours plus grandissante. Devant mon objectif : Monolithe Noir, une sorte de never ending vibe entre noirceur rythmique et petites sonorités électroniques, progressives dans le rythme, remplies d’énergie dans l’utilisation des différents instruments, psychédélique dans l’envie, concret dans la réalisation. D’ailleurs, en parlant de psychédélisme, c’est lors de ce concert que j’aperçois le premier gars en plein voyage cosmique dans le public. Vous savez, ce genre de mec qui danse en faisant plein de mouvements aléatoires avec les bras, les yeux fermés, comme bloqué dans une matrice, ou une loop, ou les deux… Enfin. Autre chose de cocasse, j’ai réalisé que j’ai passé mon temps à observer les performances en face de BX1, de l’autre côté de la scène. Ça va être sympa de voir ma gueule sur les 3/4 de leurs plans pour leur sujet.

 

21:11 – Je regarde autour de moi, dans la foule, puis en l’air. Je me rends compte que j’ai toujours eu une sorte de fascination pour les boules disco. Ce truc qui de prime abord peut rappeler un décor très kitsch, entre le vintage et le ringard qui, une fois en action, crée une ambiance onirique, envoûtante, comme une Dream Machine perchée tout en haut du dance floor…

21:29 – Je connaissais quelques noms dans la programmation, vite fait croisés dans d’autres festivals ou encore vus de loin sur des line-up dans tel ou tel événement sur Facebook ; pour l’instant, toutes ces semi-découvertes envoient du lourd. Mais cette fois, je me pose tout devant, juste avant le début du prochain concert. Petite confidence : c’est celui que j’attends depuis le début des festivités.

21:30 – Monte sur scène Brorlab, mon groupe préféré de la prog. C’est un trio d’Anvers, de prime abord très sage, mais qui, sur scène, défonce tout. Dans le style Cocaïne Piss, le groupe jumpe de chanson en chanson en un clin d’œil. Chaque son faisant moins d’une minute, leur concert relève de la performance, en quelque sorte. Rapide. Efficace. Je les avais vu·es au festival Fifty Lab, malheureusement réservé quasi-exclusivement aux professionnel·les. Cependant, force est de constater que ça fait le taff, vu que depuis les jeunes anversois·es tournent pas mal. Je retrouve des morceaux de leur album s/t (qui dure 8 min 39) et notamment ma préférée Football is for Soccers (54 secondes).

22:25 – Difficile de faire redescendre la pression musicale après ces quelques minutes d’extase, du coup faut vite trouver autre chose à se mettre sous la dent. Je me fais quelques potes et je me prends une grosse claque électro punk noise dans la gueule. Dame Area, un duo full perçu et hurlements sans limite. Le duo composé de Silvia Konstance Constan et Víktor Lux Crux rappelle un peu des groupes comme Pelada, qui n’a pas peur de scander son chant militant punk en espagnol, en italien ou en d’autres langues que je n’arrivais pas forcément à comprendre. Gros (gros gros gros gros) coup de cœur pour cet acte qui a fait trembler les murs de LaVallée. Elle tape sur un morceau de tôle de voiture, il accompagne ça de façon électronique. Elle chante dans le public, il dirige le reste depuis la scène. Une osmose sombre et déchirante, dans le bon sens du terme bien sûr.

 

22:42 – Je me retrouve à danser à côté des membres de Brorlab. Et oui, quand on est artiste on reste aussi voir les autres.

22:57 – « Ahora es el momento, no hay futuro », une phrase répétée par Silvia, un “no-future” version 2022, hymne à l’hédonisme et au manque de perspectives rassurantes pour la suite de notre société. Pas des plus optimistes mais, quand le réalisme est frappant en musique, il y a une sorte de normalité qui « rassure », dans les mots, la sonorité, le tempo et le rythme.

23:08 – Seul moment de pogo, mais quel pogo ! Ça faisait un petit moment que je me demandais s’il allait avoir lieu, ce mythique moment où l’on relâche toute la pression. Qu’elle soit liée au stress, la fatigue, l’excitation, l’envie, la peur, la haine, l’amour, cette pression qu’on dégage en bousculant tout sur son passage est mythique et légendaire. On la retrouve dans le rock, dans la drill, dans la drum and bass, un geste qui unit dans un environnement qui se cloisonne par genres en général. Degré de transpi : 80%.

Je suis sûrement passé à côté de plein de choses pendant ce festival, mais vu la claque que je me suis prise, ça valait le coup. C’est un gage de qualité, je dirais, d’avoir l’impression de ne pas avoir tout fait et pour autant s’être amusé comme un fanboy. On souhaite une longue vie à La Carrière, que ce soit sur leurs terres ou délocalisé·es dans cette jungle urbaine qu’on appelle Bruxelles.

 

@ET-DC@eyJkeW5hbWljIjp0cnVlLCJjb250ZW50IjoiY3VzdG9tX21ldGFfY2hvaXNpcl9sYV9jb3VsZXVyX2RlX3NvdWxpZ25lbWVudCIsInNldHRpbmdzIjp7ImJlZm9yZSI6IiIsImFmdGVyIjoiIiwiZW5hYmxlX2h0bWwiOiJvZmYifX0=@