| Photo : Olli Appleyard
En l’espace de 5 mois, ils ont frappé comme la foudre et fulminé la scène post-hardcore. À coup de messages cryptés et de cassettes VHS, le groupe marche dans les pas des plus grands pour réécrire une histoire emo façon génération Z. Après un EP intitulé Prologue, Rouge Carpet Disaster n’est que le premier tome de la saga improbable de 4 Anglais qui ont décidé d’écrire leur évangile. Voici l’histoire de Static Dress.
Ce nom ne vous évoque probablement rien, mais nous on les garde à l’œil depuis un petit temps. À peine 100 000 auditeurs et 13,4K sur Instagram, le groupe qui joue aujourd’hui aux côtés de Bring Me The Horizon et Bullet For My Valentine sort finalement de l’ombre après avoir élaboré le plan de leur succès dans une réalité parallèle, upside down de la scène metal anglaise.
La VHS
Nous commençons cette histoire avec l’arrivée d’une mystérieuse cassette VHS, dans la boite aux lettres d’heureux•ses élu•es qui avaient eu la présence d’esprit de s’inscrire à la mailing list. Sur la boite, un QR code, une inscription : “Always look closer”, et ce qui semble être un message en morse, traduit par : “ROUGE NOOS GNIMOC”. Rouge coming soon. En référence à l’album en cours de préparation.
Le QR code quant à lui menait vers un Drop Box, contenant une image avec un texte flou.
He arrived with her
And left alone
I suspect a call soon
L’envoi de cette cassette fut suivi de peu par une suite d’emails contenant des images intitulées “In our final moments”, des lettres dans le désordre, et un code binaire que la communauté Reddit a décodé.
See the things no man should ever see
See you soon
Mais ceci n’est qu’un petit échantillon de la créativité dont ils font preuve pour promouvoir leur musique. Leur EP Prologue, sorti en 2021, constituait déjà une bande originale pour un comic book, vendu sur le site en très peu d’exemplaires. Si vous achetiez une clé USB à leur stand de merch, les chances étaient nombreuses que vous découvriez des éléments à déchiffrer. Si vous capturiez le code binaire qui flashait à la fin d’un livestream, vous obteniez une autre miette de pain qui vous rassasiait jusqu’au prochain indice.
En l’espace de quelques mois, le groupe fantôme a attiré sa communauté dans le terrier du lapin blanc. Le pari est réussi : transformer une audience passive en une communauté avide d’une prophétie, racontée au terme de ce Cluedo géant, à la sortie du projet musical. Génie marketing ou jeu douteux ? On vous laisse juger. En tout cas, le groupe a réussi à ramener le storytelling, à une époque où la musique se joue en shuffle.
Genèse d’un album
Leur premier album, Rouge Carpet Disaster, est une sorte d’ode au post-hardcore et une renaissance de la musique emo des années 2008. On sentait dans les interviews qu’ils n’étaient pas très fiers de Prologue, leur premier EP. Ou du moins, que la sortie avait été un peu rushée contre leur gré. Cet EP contenait beaucoup d’interludes, de morceaux instrumentaux et au final très peu de chansons. Avec Rouge Carpet Disaster, ils ont réussi à fournir un projet plus abouti, plus mélodieux aussi. Avec les deux singles such.a.shame et Fleahouse, on sentait déjà qu’ils allaient un peu diminuer le côté heavy et les screams. Puis leur album a confirmé cette transition vers quelque chose de plus harmonieux.
Cet album est une sorte d’immersion théâtrale dans une atmosphère un peu glauque. La musique nous plonge dans une histoire toxique dont on ne cerne pas tout. Notre oreille est captivée par ces instruments lourds et la présence d’Olli Appleyard dans les vocals.
On ne va pas se le cacher, la musique est très fortement inspirée du groupe Underoath, groupe américain qui a popularisé le mouvement post-hardcore dans les années 2000. Ils ont eux-mêmes dit dans une interview qu’ils trouvent parfois l’exercice de se détacher de leurs influences difficile. Dans certains screams d’Olli Appleyard, comme dans sweet., on croirait par moments entendre le frontman de Underoath.
Malgré des influences indéniables dans leur son, leur style reste rafraîchissant, car il est fait par une génération plus jeune que celle qui jouait du emo dans les années 2000. Tout en restant dans des styles déjà explorés par beaucoup avant eux, on ressent une autre écriture et une autre manière de conceptualiser la musique. Il y a des sons très heavy et expérimentaux comme Unexplainabletitlesleavingyouwonderingwhy (Welcome In), avec très peu de mélodie et beaucoup de violence, puis il y a Marisol, jouée à l’acoustique qui amène une autre ambiance plus douce, sans être joyeuse pour autant.
Les performances musicales de ce groupe sont particulièrement saisissantes, agencées dans une production vachement pro pour un groupe entièrement auto-produit. Certains sons sont même assez jouissifs en termes de drop comme Courtney, just relax.
That was not a phase mom
Quand on regarde Selfish Machine de Pierce The Veil ou With Ears To See And Eyes To Ear de Sleeping With Sirens, ces albums screamo des années 2010 racontaient eux aussi l’histoire de personnages. Même dans des sons plus acoustiques comme Marisol, ils répliquent tellement bien le genre que c’est à se demander si ils ne le font pas un peu exprès. Quand on regarde d’autres vidéos d’eux comme des covers sur YouTube, on voit très bien que le groupe pourrait explorer d’autres genres, Olli maitrise les screams super gutturaux plus deathcore et les autres ont très clairement les capacités musicales pour le faire.
Le style emo qu’ils ont adopté résulte vraiment d’un choix de ramener ce style au goût du jour et de la nostalgie qu’ils ont de l’époque des CDs et des posters d’Andy Biersack qu’on dégrafait des magazines. Dans les années 2000, ce style musical super émotionnel générait beaucoup d’engouement auprès des fans, des gens parfois fragiles qui s’accrochaient à leurs albums favoris comme si la musique leur appartenait. Toute cette culture, c’est ça qu’ils cherchent à recréer, probablement parce que eux aussi avaient l’impression que Bulletproof Love parlait d’eux.
Ce qui les rends uniques
Dans Static Dress, tout est DIY. Olli Appleyard et le batteur Sam Kay sont des amis d’enfance, qui ont débuté leur carrière en tant que photographes sur le bitume des skatepark de Bingley, leur ville natale. De la musique aux visuels, ils créent tout de A à Z. Son métier de photographe a d’abord permis à Olli de se faire un nom dans le milieu, en réalisant notamment des vidéos pour le groupe Wargasm UK. Puis de pouvoir mettre sur pied son projet avec les meilleures ressources possibles. Personne d’autre qu’eux n’est impliqué dans le projet, c’est comme ça qu’ils finissent par enregistrer leurs clips dans leur propre garage sur une vielle cassette VHS familiale.
De cette manière, ils préservent leur indépendance et les pleins pouvoirs sur leur petit bébé, qui représente une sorte de portfolio de leurs nombreux talents.
Ce qui les rend unique, ce n’est pas tellement la musique en elle-même, mais plutôt le comeback très bien maitrisé d’un son qui n’a pas encore fait son grand retour sur la scène actuelle. Quelque part, ils font plus d’efforts qu’une grande partie de la scène metal actuelle, qui sort beaucoup d’album réchauffés sans réelle innovation. Eux font le pari de ramener un style, de créer un concept autour et de donner du contenu en plus à l’auditeur•ice, qui peut décider de se plonger dans un récit.
À chaque nouvelle sortie, ils essayent de faire quelque chose d’inédit. Ils utilisent des techniques que jusqu’à présent l’on n’avait vu que chez les Soundcloud rapper, pour créer de la hype autour d’eux. Ces objets qu’ils vendent en coup de vent pour leur promo, ils sont intemporels et vont forcément prendre de la valeur avec le temps. Aujourd’hui les sorties se font en masse et l’euphorie autour des albums s’est un peu perdue. Les Static Dress sont nostalgiques d’une certaine époque et d’une certaine manière, ils essayent que la nouvelle génération soit de nouveau impliquée dans la sortie de projets musicaux.
Prochain chapitre
Ce qui est amusant avec Static Dress, c’est cette atmosphère spéculative qui plane au dessus de leurs moindres mouvements. À chaque sortie, on se demande comment ils vont s’y prendre pour nous étonner. Pour eux, le succès c’est avoir un impact, rester dans les mémoires même si on n’est plus là, et ils vont probablement y arriver. Leurs débuts ont fait tellement de bruit qu’ils dépasseront vite les plus grands. C’est le moment de faire attention, inscrivez-vous à leur newsletter et qui sait, vous serez peut-être le ou la prochain•e à recevoir une VHS.
Ma playlist est aussi bipolaire que moi. J’aime le metal, le sang et les boyaux, tant que ça reste vegan.