Superior State : l’anti-nostalgie de Rendez-Vous
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Auteur·ice : Charles Gallet
01/11/2018

Superior State : l’anti-nostalgie de Rendez-Vous

Une attente. Voilà ce que provoquait chez nous l’arrivée du premier album des parisiens Rendez-Vous. Cette envie était provoquée par deux premiers EP aussi sombres qu’exaltants, mais aussi par des prestations lives absolument dantesques, notamment lors d’un after-work au Grand Mix et un concert à 18h pour lequel on n’était vraiment pas prêt. Nous voilà donc face à Superior State, ses 10 chansons et sa réputation de sauveur du rock. Alors, ce Rendez-Vous est-il réussi ? Verdict.

Le plus important c’est pas la chute, c’est atterrissage“. À la vision de la pochette de Superior State, c’est cette phrase de La Haine qui nous revient en tête. Une certaine idée de la société se dégage de cette vision d’un trader à quelque centimètres de faire une bouillie sur le trottoir d’une ville lambda, dans l’indifférence générale des gens qui l’entourent et qui continuent leur vie, trop obnubilés par eux-mêmes pour constater la décadence qui les entoure. Cette pochette représente à elle seule l’esthétique de Rendez-Vous depuis leur début : marquer, alpaguer par le son mais aussi par l’image. L’atterrissage, la fin inéluctable, que ce soit de l’humain, de la société et de la musique en général, voila ce qui obsède le désormais quintette parisien. Mais qu’y a-t-il à la fin ? Il y a sans doute Superior State, dix joyaux éclatants qui font du premier album de Rendez Vous l’un des plus beaux de l’année.

En quoi cet album de Rendez-Vous est-il une réussite, nous demanderez vous ? C’est pourtant simple : à l’heure où beaucoup de groupes se noient dans une contemplation quasi-mortifère de ce qui a été fait par le passé, copiant sans cesse les mêmes formules sans chercher à y apporter une once de nouveauté, sans y apporter sa propre patte, Rendez-Vous opte pour ce qu’on pourrait appeler l’anti-nostalgie. À l’image de ses cousins anglais que sont Slaves et Idles, le groupe français s’inspire du passé pour le ramener dans le présent. Il n’utilise pas les codes pour leur rendre hommage mais pour les remodeler à sa propre sauce et offrir une œuvre à la fois neuve, cohérente et marquante, là où d’autres offriraient un album qui s’oublierait aussi facilement qu’il s’écoute. Ce n’est pas le cas de Superior State.

Dès Double Zero, le groupe nous happe, la tension est presque palpable, et notre respiration comme nos battements de cœur déraillent. Cette tension, ce presque malaise ne nous lâchera que très peu au fil des dix titres qui composent Superior State. Une basse obsédante, une voix vindicative, un synthé dissonant : on est clairement sur les terres du post punk et de la coldwave. Et pourtant, viennent s’y greffer des éléments vocaux et des intonations musicales proches du métal industriel. Dès ce premier titre, Rendez Vous pose les bases de ce qui fera la première  grande force de son album : ne rien se refuser, toujours expérimenter et surprendre à chaque coup. Paralyzed continue ce chemin avec cette basse qui nous vrille la tête, cette batterie martiale et cette voix toujours habitée qui nous rappellera forcément Ian Curtis.

Sentimental Animal est sans doute l’une des plus belles réussite de l’album. Sombre, toujours portée par un saxophone déglinguée, la chanson possède aussi des paroles et un rythme parfait pour être repris en coeur et allumer n’importe quelle salle de concert. Elle vient aussi valider la seconde sensation qui nous habite à l’écoute de l’album, la seconde très grande réussite de celui-ci : une sensation de bloc. On est ici face à une sensation de démocratie instrumentale : chaque instrument se fond dans la masse du morceau, et même si des solos de guitares apparaissent (assez rarement cela dit), même si la basse guide le rythme des chansons, elles ne surnagent pas par rapport aux autres. Last Stop baisse le rythme, nous offrant l’occasion de reprendre notre souffle. Mais c’est pour mieux nous assommer avec l’incroyable Superior State, qui convoque autant les grands frères Frustration que Prodigy, de par ses incursions électroniques bienvenues.

Middle Class frappe par sa voix plus chantée et prouve une nouvelle fois cette capacité du groupe à surprendre, flirtant ici clairement vers la pop tout en gardant cette noirceur et cette tension qui leur est propre. À l’écoute des différentes chansons, on image sans peine le travail titanesque qu’a dû représenter la conception de l’album, que ce soit dans la production, toujours élégante et classieuse mais gardant un grain qui rend le tout sale, le choix des chansons (il parait qu’ils en ont composé soixante pour en garder dix) mais aussi l’ordre de celles-ci. Car vient frapper à nos oreilles Lakes, autre morceau de bravoure dont le rythme soutenu ne ferait pas tâche sur une piste de danse pour un grand moment de défoulement. Exuviae tape fort musicalement, nous emportant vers un ultime pogo et son refrain qui fera gueuler les foules.

Et puis… et puis la fin ? Non, pas vraiment : il y a Order Of Baël, courte chanson (la seule de l’album qui fait moins de 3 minutes) qui convoque autant la new wave que la musique électronique et qui tranche des neufs autres chansons par son côté lumineux, presque joyeux, qui vient clôturer un album jusqu’ici aussi noir que la nuit. Car si Rendez Vous se noie souvent dans la pénombre, il sait qu’à la fin, le jour viendra pointer le bout de son nez. Le jour comme un renouveau, une sensation de tout possible.

Alors non, Rendez-Vous ne se positionne pas en sauveur du rock, même si une partie de la presse va vouloir les mettre sur ce trône car c’est le genre de termes qui fait vendre… Le rock n’a pas besoin de sauveur, il a juste besoin de bons albums, qui prouvent une nouvelle fois sa vitalité. De bons albums taillés aussi bien pour les caves, les boîtes de nuits et les stades. Superior State est de cette veine-là, un album dense, puissant, qui ne cherche jamais à rendre hommage au passé mais plutôt à l’utiliser pour créer le futur. Un Rendez-Vous réussi, en somme.

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