Sur Holy Waters, Puma Blue valse avec la mort pour profiter de la vie
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Auteur·ice : Hugo Payen
25/09/2023

Sur Holy Waters, Puma Blue valse avec la mort pour profiter de la vie

| Photos : Hugo Payen pour La Vague Parallèle

À l’occasion de la sortie de son nouvel album, Puma Blue nous (ré)ouvre les portes de son univers hypersensible. Une fois encore, la poésie de Jacob Allen vient nous sauver, ou du moins, nous faire espérer. Holy Waters parle de la mort et de l’amour qui peut parfois l’accompagner. Il nous réchauffe le cœur autant qu’il nous le déchire. Plongeons dans la mélancolie tant crépusculaire que romantique de Puma Blue.

Cette poésie, on la retrouve en quelques secondes lorsque l’on rencontre Jacob quelques heures avant son passage entre les murs du Botanique. Les derniers rayons du soleil envahissent les lieux. On en profite pour en savoir plus sur ce nouvel album, cette singulière mélancolie. Pour accompagner cet article, on vous conseille chaleureusement de vous lancer ce bel album qu’est Holy Waters dans vos oreilles. Ça tombe bien : on vous met le lien.

Découvert en 2017 au travers d’un premier EP prometteur où cohabitent un savant mélange de textures lo-fi et de sonorités jazzy sur une voix velouteuse, Puma Blue séduit. De manière presque naturelle et obligatoire dira-t-on. Entre une poésie dégoulinant de sensualité et des solos de saxophone survolant cette atmosphère feutrée, comment ne pas.

Souvent associé à la singularité et au panache de Jeff Buckley, l’artiste compositeur et producteur britannique débarqué de Southeast London trouve discrètement sa place au sein de l’inépuisable scène musicale londonienne. Une plume d’écorché vif et un style de nature à faire chavirer chaque âme qui l’écoute, difficile de ne pas succomber.

“Mon père écoutait énormément de swing un peu old school à la Glenn Miller ou du Frank Sinatra. J’ai toujours été charmé par certains éléments du jazz sans jamais réellement trouver celui qui me correspondait vraiment. À mes seize ans, j’ai découvert Miles Davis et Bill Evans. Là on peut dire que ça m’a impacté niveau mood. Puis je dois avouer que grandir dans une ville comme Londres où la scène jazz est en perpétuelle effervescence a pas mal aidé. C’est à ce moment-là que j’ai eu envie de faire un petit mélange de tous ces styles singuliers que j’aimais à l’époque. 

Entre quelques EP à succès et un premier album délicatement sensible lui apportant la lumière qu’il mérite, Puma Blue enchaîne les gros morceaux. De (She’s) Just a Phase, Moon Undah Water, Want Me à Only Trying 2 Tell U ou Opiate, le répertoire de Jacob lui réussit et lui ressemble assez bien.

 

Du bruit et des amis

Après nous avoir dépeint les méandres de ses insomnies à répétition sur son précédent In Praise of Shadows, c’est à travers la complexité de la mort que Puma Blue nous revient avec Holy Waters. Explorant la distance entre le deuil et l’exaltation, Jacob se retrouve face à ces étranges ressemblances que peuvent pourtant habiller la solitude et la communion.

Orné d’un subtil mélange entre la douce caresse de ces sonorités velouteuses et les cris de désespoir de l’artiste, Holy Waters retrace avec intimité et sincérité ses dernières années douloureuses. Des cris de désespoir qui, au fil de l’écriture de l’album, se transforment en de saisissantes lueurs d’espoir. Puma Blue décide de regarder la mort dans les yeux dans un seul but : mieux l’embrasser.

“La musique est potentiellement le meilleur moyen de transposer nos émotions, ce qui est douloureux autant que ce qui est beau et excitant. Il y a ce côté très alchimique qui existe. Ce qui est merveilleux avec le songwriting, c’est qu’une émotion difficile peut rapidement se transformer en quelque chose que tu vas finir par aimer. Plus tu écris à propos de quelque chose, plus tu distingues le positif que tu peux en tirer.

Une particularité poignante de l’album se retrouve alors dans sa dichotomie constante. Malgré un fil rouge abordant la mort de manière très frontale, jamais un projet de l’artiste n’aura été aussi complet, travaillé, intense, mais surtout empli d’arrangements et de couches. Autant de place donnée au bruit et à la musique pour mieux percevoir la mort, peut-être.

“En abordant ce thème qu’est la mort, je voulais que cet album soit une célébration de la vie, y mettre un peu de couleurs, de mouvements. La mort est une finalité qu’on ne peut réellement éviter, elle viendra de toute façon. Alors autant faire de notre mieux pour profiter de chaque moment, de tout donner à chaque instant. La relation que j’ai avec la mort a changé, c’est sûr. Je sens sa présence tous les jours, mais je suppose que j’apprends à vivre avec pour mieux profiter de la vie. 

Qui plus est, alors qu’il nous chante « I will find myself alone again / and all my fears” sur Hounds, au rythme rapide et à l’atmosphère tourmentée, cet album est le résultat d’un énorme travail de cohésion et d’amitié. Finie l’écriture en solo dans une petite chambre à la lumière tamisée pour Puma Blue, cette fois-ci, il voit les choses en grand. Et surtout en groupe.

Avec Harvey Grant au saxophone et au piano, Cameron Dawson à la basse, Ellis Dupuy aux percussions et Luke Bower à la guitare, le son ressort plus riche, plus complet, plus vivant. Une production voulue et nécessaire pour Jacob, qui s’entoure ainsi de ses musiciens et amis de longue date. Malgré une solitude omniprésente, Holy Waters se fonde ironiquement sur ces liens d’amitié très forts.

“Je me suis longtemps senti enfermé, voire coincé, par rapport à ma musique. Il y a pas mal de morceaux que j’ai écrit pour cet album avec lesquels j’avais du mal. Je ne m’imaginais pas les jouer en live. J’ai vite réalisé que pour pouvoir donner le meilleur sur scène, il nous fallait composer et produire tous ensemble. Comme on aime le faire sur scène en fin de compte. Cet album est vite devenu un objet commun avec lequel on voulait juste jouer à notre manière, faire du bruit et s’amuser comme des enfants. Enregistrer cet album en groupe a été la plus belle chose pour moi. 

Un ouragan de complicité venu délicatement embellir les cicatrices d’anxiété et la tristesse qu’ont laissées les deuils à répétitions vécus par Jacob. Holy Waters est bien loin d’être une nième observation morbide sur la mort, rassurez-vous. Plus que ça, il pourrait d’autant plus s’apparenter à une ode envers la beauté du cycle permanent de mort mais surtout, de vie. Et si finalement, la tristesse ne faisait sens que lorsqu’elle est teintée d’espoir ?

“La dernière phrase de l’album résonne assez bien avec cette idée. Quand j’écris « Don’t let the dark take you whole », je me rappelle que cette lueur d’espoir est toujours là, et qu’elle ne peut pas disparaitre. Il ne peut pas y avoir d’obscurité sans lumière, et inversement. On a toujours besoin d’un peu d’espoir, sinon à quoi bon être ici dès le départ. Autant vivre pleinement et célébrer cette vie.

 

Accepter la mort pour exploiter la vie

Une plume hantée par la perte, venue libérer le Britannique de ses maux et de ses questionnements laissés sans réponse. Aussi des textes aussi tristes que majestueux, Allen nous invite dans son intimité et aborde avec subtilité la perte de sa mère sur Too Much, Too Much, celle de sa grand-mère sur Epitaph ou celle de son amie d’enfance sur Mirage.

“Le deuil est quelque chose d’assez complexe. Il ne disparait jamais réellement mais il te fait évoluer d’une certaine manière. Il te fait comprendre la douleur. Un morceau comme Epitaph par exemple a été à la fois compliqué et excitant à écrire. Plus je réessayais d’enregistrer l’un des passages, plus je me retrouvais en pleurs. Après pas mal de temps et d’essais, j’ai réussi. Ce que je veux dire par là c’est que, loin d’être de la torture, enregistrer ce morceau m’a aidé à comprendre cette peine justement, et à pouvoir vivre avec sans que ce soit quelque chose de lourd ou de sombre. La musique me permet de vivre ces expériences cathartiques et j’en suis tellement reconnaissant. 

Dans cet océan de tristesse, une vague de lumière et d’espoir s’échoue finalement sur nos cœurs encore fragilisés par ce qu’ils viennent d’écouter pendant près de cinquante minutes. En effet, Holy Waters raconte la manière dont Jacob Allen a su transformer ces moments de deuils à répétition en triomphes personnels.

Un peu de fête, de couleurs et beaucoup de lumière : tant d’émotions salvatrices que destructrices dont Puma Blue a su se libérer sur son Holy Waters. Un succès, voire un véritable chef-d’œuvre, qu’on dévore sans même le réaliser. Orné de ses onze morceaux éclatants, ce nouvel album marque considérablement un tournant dans la carrière de l’artiste britannique.

En guise de clap de fin, Puma Blue nous rappelle que la mort elle-même, véritable point de départ de l’album, est cette fois-ci accompagnée de beauté. Avec Holy Waters, Puma Blue s’emplit de cette douleur pour mieux la comprendre et l’appréhender. Une douleur qui finalement, se voit remplacée par la sérénité et l’amour. Encore et toujours.

 

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