Le rap, malgré sa suprématie indéniable sur l’industrie musicale occidentale, suscite encore souvent des réactions houleuses chez les boomers les plus tenaces. Au mieux, ce n’est pas de la musique, au pire, la discipline est responsable de tous les maux de la Terre… Dans tous les cas, les rappeur·euses ont généralement bien du mal à être considérés comme des gens fréquentables. Mais puisque chaque règle a besoin de l’exception qui la confirme, il arrive de temps à autre qu’un·e artiste arrive à se hisser au-delà des préjugés pour gagner les faveurs des plus réfractaires sans forcément perdre l’ensemble de sa street cred. Qu’on se le dise, peu sont celleux qui collent mieux à cette description que Loyle Carner.
Depuis son entrée dans le game en 2017, le MC londonien a réussi à s’assurer le soutien d’un large public fait aussi bien de puristes que de néophytes. En d’autres termes, Loyle Carner fait globalement assez peu de vagues. Il n’est pas assez noir pour faire peur aux Blancs, ni assez blanc pour être taxé d’appropriation culturelle. Il n’est ni iencli, ni thug ; ni trop mainstream, ni trop pointu… Bref, il est le cul parfaitement installé entre deux chaises, ce qui lui octroie une légitimité unanime plutôt confortable. Bien évidemment, toute pièce a son revers, car le fait d’inspirer la sympathie partout où il passe peut avoir la fâcheuse tendance à le rendre inoffensif. Et franchement, mise à part l’écurie des jeunes talents Disney Channel, on se demande bien quel·le artiste considérerait ce terme comme un compliment…
https://www.youtube.com/watch?v=bBTCGxF7gEE
Bien sûr, au fil des années, le rappeur londonien a su prendre une place très spéciale dans nos cœurs grâce à de nombreuses qualités, à commencer par le sentiment de sincérité qui émane de sa musique. Un trait de caractère encore trop rare au sein d’une culture hip-hop qui préfère souvent encenser le capitalisme sauvage et la masculinité toxique. Néanmoins, pour éviter de tomber à jamais dans la catégorie des “gentil·les”, Loyle Carner décide de montrer un peu les crocs sur ce nouvel opus. Il n’est d’ailleurs pas anodin qu’il ait choisi le titre Hate comme premier teaser de l’album et qu’il l’ait ensuite placé en ouverture afin de bien enfoncer le clou. Et si on peut se demander si il n’en fait pas un peu trop, force est de constater que cette stratégie fait mouche instantanément. En effet, dès la phrase d’accroche, on se retrouve happé·es par la performance de notre hôte, appuyée par une batterie frénétique qui ne s’efface que pour permettre à la boucle de piano d’apporter la touche de mélodie qui complète le tableau avec brio.
Ce sentiment d’être aspiré·e dans l’introspection tumultueuse du Britannique persiste d’ailleurs pendant toute la première moitié du disque. Chaque titre atteint sa cible avec une précision remarquable et démontre à quel point leur auteur a su consolider ses acquis tout en s’accordant plus d’audace dans son écriture. Ce n’est qu’une fois ayant atteint Homerton qu’arrive la première vraie respiration de hugo. Faisant référence au moment où il est devenu parent, le titre marque un tournant dans l’album, tout comme cette expérience a dû marquer un tournant dans sa vie. Soudain, la férocité des premiers morceaux s’estompe, comme si Carner s’effaçait à nouveau pour mieux endosser son rôle de parent. Finalement, cette “reprise de contrôle” s’étendra jusqu’à l’aboutissement du disque. Et même si cela donne lieu à de très beaux moments de recueillement, on ne peut pas s’empêcher de rester un peu sur notre faim. Il faut dire qu’on commençait à y prendre goût à ce nouveau Loyle Carner qui n’a pas sa langue dans sa poche…
Mais que voulez-vous, on ne devient pas Killer Mike du jour au lendemain. D’ailleurs, est-ce si grave que ça ? On ne cesse de répéter dans ces colonnes tout le réconfort que nous apporte son flow apaisant. S’en plaindre ferait de nous de sacré·es hypocrites. D’autant que, si les derniers titres de hugo s’avèrent moins théâtraux dans la forme, cela ne les empêche pas de briller sur le fond grâce à des textes forts, comme sur l’excellent Blood On My Nikes ou le touchant Polyfilla.
Alors c’est vrai, on ne peut pas s’empêcher de se dire qu’il manque un petit quelque chose pour que ce hugo devienne le chef-d’œuvre que l’on espérait. Peut-être un dernier sursaut de rage créatrice avant de tirer sa révérence ? Peut-être aussi doit-on cette légère frustration à un plan de communication qui s’est concentré sur un aspect trop restreint de l’album ? Peu importe finalement, hugo reste un excellent projet, qui permet à son auteur de développer avec brio l’éventail de son répertoire sans jamais se perdre en chemin. Et c’est déjà beaucoup…
Biberonné au rock de Pink Floyd et Led Zeppelin puis reconverti au hip-hop, j’aime ma musique comme j’aime mon café : dès le réveil et sans édulcorant !