Sur Ultrasound, Palace choisit l’amour comme premier remède
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Auteur·ice : Hugo Payen
11/04/2024

Sur Ultrasound, Palace choisit l’amour comme premier remède

| Photos : Keerthana Kunnath

Deux ans après la sortie de leur acclamé Shoals – et donc de notre première rencontre avec le groupe, Palace signe un retour plus que remarquable. Décrite comme l’aventure la plus touchante de leurs dix années de carrière, Ultrasound danse avec nos émotions les plus brutes et nous ouvre les portes d’un monde en quête de guérison. Loin de cette terrasse gantoise ensoleillée ayant accueilli notre dernière discussion, Léo Wyndham et Rupert Turner ont répondu à nos questions. 

Il y a de ces albums plus personnels et poignants que d’autres, plus percutants aussi. Des albums où l’idée même d’évasion s’évapore au profit d’expériences de vie oscillant entre dévastation et reconstruction. Pour nous rappeler la brutalité que la réalité peut parfois revêtir peut-être. Une brutalité qui cependant, nous rappelle le caractère précieux de chaque chose qui nous entoure, chaque personne, chaque geste, chaque mot.

À travers Ultrasound, c’est cette brutalité que Palace explore une heure durant. Une brutalité dépeinte à la fois par une poésie bouleversante, leurs sonorités lumineuses inimitables mais surtout, par cette lueur d’espoir omniprésente venue revêtir le dernier niveau de beauté dont regorge le nouvel album du groupe londonien.

À la manière d’un journal intime, Palace nous raconte ce que la vie leur a réservé cette dernière année. Une année de lutte constante entre perte et acceptation, désespoir et délivrance.

Débutant avec éclat par leur remarqué When Everything Was Lost – venu mettre des mots sur le cataclysme d’une vie, Ultrasound s’aventure dans les différentes étapes du deuil et célèbre le courage et la force enfouis en chacune des personnes devant passer à travers une telle épreuve.

De ces morceaux qui ornent l’album, on ne pourrait en résumer les effets et la puissance en quelques lignes seulement. Pourtant, difficile de ne pas mettre le doigt sur quelques-uns de ses joyaux. On pense alors à des morceaux comme Inside My Chest ; Love Is A Precious Thing, véritable cœur de l’album ; Make You Proud ; sans oublier Son et sa poésie époustouflante.

Un album qui vient alors se clore sur Goodnight, Farewell, dernière étape d’une acceptation émouvante débutée près d’une heure plus tôt. Finalement, tous ces moments de vie, le groupe vous en parlera mieux que nous. Rencontre.

La Vague Parallèle : Vous avez une manière – consciente ou non, de créer qu’on adore et qu’on admire : vous sortez souvent un EP entre chaque album. Vous saviez, après la sortie de votre Part I : All We’ve Ever Wanted, qu’un album comme Ultrasound allait suivre aussi rapidement ?

Ru : Je pense que c’est ce qui nous a replongé dans l’écriture en tant que telle. On n’avait pas de réelle idée d’album, tout s’est créé de manière plus organique. Plus les sessions d’enregistrement se sont enchaînées, plus on a compris ce qu’on avait entre les mains.

Léo : On reste sur un laps de temps assez rapide oui ! L’écriture des morceaux s’est fait de manière très naturelle mais on ne savait pas encore trop si on voulait plutôt partir sur ce format d’EP ou d’album. C’est un questionnement qui est venu dans un second temps. Sur le moment, on voulait qu’une seule chose : aller mettre tous ces textes en musique au studio aux côtés d’Adam Jaffrey. On a voulu expérimenter et voir jusqu’où on pouvait aller. On a construit tout l’album morceau après morceau, sans se poser trop de questions. Un processus un peu inhabituel pour nous finalement ! Et après quelques sessions, on a compris qu’on avait de quoi faire un album, comme disait Rue. Sur Ultrasound, on retrouve en réalité ce côté un peu journal intime. Cet album représente la vie de Palace durant cette dernière année, toutes ces expériences de vie différentes. On est sur une temporalité très directe, alors que sur nos précédents albums, on abordait des thèmes et des moments de vie qui se situaient dans un temps beaucoup plus long.

LVP : Il y a deux ans, votre album Shoals voyait le jour. Vous nous expliquiez alors que d’un côté, l’album parlait de la peur de l’amour mais de l’autre, parlait aussi de l’amour de la peur. Sur Ultrasound finalement, c’est un peu l’inverse. Il nous rappelle à quel point l’amour est quelque chose de précieux et délicat.

Léo : Complètement. L’album explore toutes ces émotions qui gravitent autour de cet amour, montre à quel point il peut être fragile. Et donc précieux. Quand tu traverses une expérience de vie bouleversante aux côtés de quelqu’un que tu aimes profondément, c’est l’amour qui sera le premier remède. Et cet amour, il en ressortira encore plus beau, encore plus fort qu’avant. C’est d’ailleurs assez fou quand on y réfléchit parce que c’est dans ces moments les plus tristes et les plus durs de ta vie que tu ressens l’amour de manière aussi intense. Plus qu’un album qui aborde la perte et tout ce qui en découle émotionnellement parlant, on a voulu faire d’Ultrasound, un hymne à l’amour.  Il n’y a qu’à travers cet amour qu’un peu de lumière peut voir le jour.

LVP : Une raison pour laquelle le brillant Love Is A Precious Thing se retrouve en plein cœur de l’album je suppose ?

Léo : On y a jamais réellement réfléchi en réalité, mais je dirais que oui. Cette phrase, « Love is a precious thing » déborde dans chacun des morceaux de l’album finalement. Avec l’amour vient la peine, c’est un fait. Ces choses parfois dramatiques qu’on traverse en tant que couple forgent cet amour en question.

LVP : Alors que Shoals a été enregistré de manière un peu plus particulière que d’habitude où vous vous envoyiez des vocaux et travailliez de manière reculée – confinements obligent, vous êtes partis sur un processus d’enregistrement des plus organiques pour Ultrasound. Comment c’est la vie de studio aux côtés d’Adam Jeffrey ?

Ru : C’était vraiment chouette de retrouver Adam. Ça nous a replongés dans l’effervescence du premier album. Il a très bien compris ce qu’est Palace, ce qu’on voulait sur cet album et comment tirer le meilleur de chaque session. On voulait retravailler avec lui car il a la même imagerie que nous en tête. On savait qu’il allait pouvoir transposer ce qu’on avait en tête. On adore sa manière de travailler, il apporte tellement d’espace à la créativité et en même temps sait pertinemment où on doit aller. Comme tu l’as abordé, c’est quelque chose de beaucoup plus organique et naturel. On en avait besoin.

Léo : Ce qu’on adore avec Adam c’est qu’il est quasiment la cinquième tête pensante du groupe. Il comprend ce que représente Palace et le cœur du projet depuis ses débuts. Il nous a raconté que pendant le mixage de l’album, c’était impossible pour lui de ne pas pleurer sur certains morceaux sur lesquels il travaillait comme Goodnight, Farewell. Travailler avec une personne qui ressent autant ta musique, c’est merveilleux.

LVP : Je suppose que l’alchimie du groupe s’est également vue évoluer durant cet enregistrement ?

Léo : D’habitude quand on arrive au studio, on est déjà bien préparés. Cette fois-ci, on est vraiment arrivés en se disant qu’on verrait bien ce qui allait s’y passer. Je me souviens, je m’obligeais chaque matin à m’assoir derrière le piano, juste pour composer quelque chose. Comme un rituel pour me faire entrer dans la session du jour. L’enregistrement de l’album est né de pas mal d’improvisations très organiques encore une fois. Parce que c’est vraiment le mot juste. Chaque jour, on passait notre temps à faire de la musique. Faire du bruit, bon comme mauvais. On ressentait très fort cette énergie du moment présent. Les émotions quotidiennes de chacun débordaient dans la musique qu’on allait produire le jour-même. C’est comme ça que sont nés les morceaux finalement.

LVP : C’est à travers ce nouveau processus créatif que de nouvelles envies d’expérimentations sonores ont vu le jour ? Je prends en exemple des morceaux comme Say The Words ou Love Is A Precious Thing, où l’on vous découvre sous de nouvelles sonorités plus pêchues.

Léo : C’est en expérimentant tout notre jeu de synthétiseur et en diguant dans tout ce que peuvent nous offrir les boîtes à rythme que ces morceaux ont pris ces couleurs ! En tant que groupe, l’idée d’expérimenter et de ne jamais se répéter est tout le temps présente dans nos têtes. D’autant plus quand tu as plusieurs albums derrière toi. On pousse nos limites sur chaque album, tout en y découvrant de nouvelles. C’est ça aussi qui rend la chose magnifique. On veut que le son qui représente Palace évolue avec nous, sinon on ne ferait que des albums comme So Long Forever (rires). Je pense qu’avec le temps, on a réussi à mettre de côté la peur que peuvent entraîner ces expérimentations. On est toujours à la recherche de nouveaux territoires musicaux à explorer et on adore ça.

LVP : Je reviens encore une fois deux ans en arrière. Vous nous expliquiez que pour vous, écrire et composer de la musique était votre safe place, où vous pouviez être vulnérables sans vous soucier du reste. De manière très cathartique finalement. Ce processus d’enregistrement en est un peu la quintessence finalement.

Léo : Clairement. Écrire comme ça représente toujours la meilleure manière d’appréhender nos émotions et toutes ces choses qu’on traverse au quotidien. Et je pense que c’est le cas pour pas mal de monde qui comme nous, n’arrive pas forcément à exprimer aussi facilement leurs émotions, leurs traumas à voix haute. Faire de la musique représente un peu un tunnel au bout duquel tu arrives dans cet endroit où tout fait sens, où toutes tes pensées prennent vie. C’est un processus un peu primal en réalité. Tu te retrouves à dire des choses auxquelles tu n’avais pas pensé, à jouer avec ta voix qui finira par sortir une émotion à laquelle tu ne t’attendais pas. Je sais qu’à titre personnel, c’est à travers les mots que j’utilise et à travers ma voix justement que je vais ressentir le plus de choses. C’est un processus qui apporte tellement de sens. Et si ça n’en apporte pas sur le moment, la finalité des morceaux arrive toujours à en délivrer, même si tu penses le contraire. Quelque chose qui, sur cet album, est encore plus important pour nous.

LVP : Tu écris d’ailleurs sur Son, deuxième morceau de l’album, ces mots : « Strange the way the silence grows ». Aussi forts que gorgés de sens, ils résonnent encore plus quand on écoute tout l’espace que vous avez voulu donner à la musique en elle-même sur l’album, à ces moments de bruits comme vous en parliez plus tôt.

Ru : C’est quelque chose qu’on a toujours recherché avec Palace, cet espace à la musique. Après, c’est clair qu’on a voulu pousser la chose encore plus loin sur Ultrasound. Pour être honnête avec toi, ce sont mes paroles préférées de l’album. C’est peut-être le silence qui nous a conduit à donner cet espace et à laisser la musique vivre autant dans l’album en fin de compte.

Léo : Ce qu’on aime avec cette idée d’espace, c’est que les personnes qui nous écoutent y déposent leurs propres émotions. D’une certaine manière, les gens prennent part à la musique et s’y connectent encore mieux étant donné qu’ils y voient le reflet de leurs émotions.

LVP : C’est d’ailleurs la première fois qu’on a un morceau, Cocoon, qui est purement instrumental sur un album de Palace.

Léo : Et c’est quelque chose qu’on adore. Cocoon est vraiment un moyen pour les personnes qui nous écoutent de digérer la première partie de l’album, de se reconnecter mais surtout d’y ajouter leurs propres histoires. C’est quelque chose qui peut faire peur en soi, être vulnérable avec soi-même mais qui je pense, est une expérience formidable. Tu te laisses emporter par la musique vers cette idée de contemplation de tes émotions. C’est le meilleur exemple de l’importance qu’on veut donner à cet espace musical dont tu parlais.

LVP : La pochette de vos albums a toujours été une peinture de Wilm Danby venu mettre en image son ressenti de la musique. Pour Ultrasound, vous avez décidé de partir – avec Wilm toujours, sur quelque chose d’un peu plus spécial et unique. Comme l’album en lui-même finalement. D’habitude, vous lui faites écouter l’album et lui laissez carte blanche. Comment la création de celle-ci s’est déroulée ?

Léo : Notre manière de travailler est restée la même en réalité, on lui a fait écouter l’album et c’est lui qui a eu cette idée très intéressante de partir sur une photo. Je pense qu’il voulait faire quelque chose d’un peu différent sur Ultrasound et au fond, nous aussi. Ce dont on était sûrs, c’est qu’on voulait que Wilm s’en occupe. La question de quel format utiliser par contre, beaucoup moins. Wilm a donc eu l’idée de partir d’une photo et de construire quelque chose autour. On a donc cette photo de Keerthana Kunnath qu’on adore, venue mettre en valeur l’œuvre que Wilm a construit pour l’occasion. C’était vraiment une expérience tout aussi incroyable que la création de l’album en lui-même. Ce jour-là, on se réveille à 4h du matin, on conduit jusqu’à la côte de Devon où l’on escalade les rochers avec tout le matos sur le dos (rires). On installe la sculpture au bord de l’eau. La marée monte et le soleil se lève. Bizarrement, le moment nous donnait une impression de rituel, de célébration de l’album. C’était la conclusion de quelque chose d’énorme pour le coup.

LVP : Quand on voit les images de ce moment-là sur vos réseaux sociaux, on ressent très fort le côté spirituel de la chose comme tu dis. Comme de la dernière étape de la réalisation d’un album aussi personnel et fort qu’est Ultrasound finalement ? 

Léo : C’est vraiment comme ça qu’on l’a ressenti ! Le moment est symbolique car on s’apprête à sortir Bleach, on est là à 5h du matin à faire ce shoot, l’album est terminé. C’était d’une certaine manière, un moyen de passer à l’étape d’après en tant que groupe mais aussi en tant que personne.

LVP : Quelques semaines avant la sortie de l’album, vous avez réalisé un live stream de votre concert Eart Hackney de Londres, où vous avez joué l’album dans son entièreté. À travers nos écrans, on s’est pris une vague d’émotions. Comment c’était sur place ?

Léo : Le concert était incroyable. On n’avait pas joué live depuis un sacré bout de temps et le fait de pouvoir faire l’album du début à la fin était l’une des meilleures expériences qu’on a eu la chance de faire. Il y a avait une réelle magie dans la salle. On avait peur du son car le mixage du son pour le streaming ne rendait pas ce que ça rendait dans la pièce mais au final c’est pas ce qui comptait le plus dans l’expérience. On n’avait jamais fait ça avant !

LVP : Est-ce qu’on aura la chance d’avoir un tel orchestre philharmonique sur la scène de l’Ancienne Belgique le 30 octobre prochain ?

Léo : Dis-moi si je me trompe Ru, mais ça m’étonnerait. C’est clairement un rêve, je vais pas te le cacher. Mais ça nous semble un peu compliqué pour ce genre de tournée malheureusement. Le fait de jouer aux côtés d’un orchestre comme celui-là rend l’ensemble encore plus magique. Il ne faut jamais dire jamais par contre !


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