Sylvie Kreusch conjugue élégance et beauté absolues sur Montbray
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Auteur·ice : Joséphine Petit
30/11/2021

Sylvie Kreusch conjugue élégance et beauté absolues sur Montbray

Mieux vaut tard que jamais, surtout quand il s’agit d’un tel bijou, auquel Montbray, trois cents habitants, petite ville de Normandie, prête son nom avec fougue. Alors qu’il succède à un EP déjà brillant en 2019, le premier album de Sylvie Kreusch dépasse toutes nos attentes. Repoussant les barrières des expérimentations vocales et instrumentales qu’on aurait pu lui prêter, l’artiste fait preuve d’une délicatesse sublime portée par son timbre unique couplé à un réel talent d’écriture. À l’écoute du disque, on se laisse ainsi porter sur une mer tantôt calme, parfois tumultueuse, au courant qui n’a de cesse d’aller et venir, ainsi qu’aux vagues à l’intensité émotionnelle toujours fulgurante.

Soyons honnêtes dès le départ, Montbray est un disque qui parle d’amour, qui retourne le sentiment sous toutes ses coutures et fait briller toutes ses facettes sans exception. Ainsi le précise Sylvie Kreusch : “that girl so full of love was me”. On lui accorde alors la légitimité du thème, et magistrale devient son interprétation durant les quarante-cinq minutes qui composent ce long format. Des cordes comme leitmotiv romantique filé le long de l’album, à l’accent des années folles de All of Me, ou encore aux touches de français de “Notre-Dame-de-Paris” et clins d’œil au célèbre Love Me Tender d’Elvis Presley dans Falling High, l’artiste nous balade délicatement dans une bulle sentimentale que l’on ne souhaite voir imploser pour rien au monde. Ponctuant parfois ses textes de références plus contemporaines, Girls se voit non seulement agrémenté de chœurs féminins à la puissance inouïe, mais également paré de vers féministes que l’on accueille à bras ouverts.

© Ferry Van Der Nat

Et si la voix de Sylvie Kreusch ne sonne pas non plus étrangère, c’est qu’elle a également incarné les chœurs de Warhaus, projet solitaire de Marteen Devoldere, échappé par intermittence de Balthazar. Dès lors, le jeu de ping-pong auquel se prête le duo magnétique, l’un répondant à l’autre en musique, devient irrésistible. Il suffit de se replonger dans Sand, le dernier disque de Balthazar, pour relever la divine coda de Leaving Antwerp s’adressant à “Sylvie girl”, ou de fredonner You Won’t Come Around, où Marteen souffle “you wrote my love was wild”, douce citation du trésor mélodique qu’est le titre Wild Love de Sylvie. C’est ainsi que nombre de morceaux composant Montbray prennent sens et vie à la fois, nous laissant naviguer d’humeurs plus douces avec Who Will Fall (Here Into My Arms) à d’autres plus orageuses dans Let It All Burn.

Au-delà des textes, c’est aussi par la voix que Sylvie Kreusch nous emporte, faisant preuve d’un phrasé incroyable et d’un timbre reconnaissable entre mille, qu’elle place toujours parfaitement sur le fil. Le parlé-chanté emprunté par l’artiste sur Haunting Melody, rappelant au souvenir de la prodigieuse reprise de Lovesick performée avec Warhaus quelques années auparavant, termine ainsi de façonner le charme des harmonies vocales de l’album. Et si la douceur ne s’efface jamais dans sa voix, elle se pare de temps à autre de couleurs et textures séduisantes, allant de la foudre sur Let It All Burn au désespoir sur Ending Up Alone, titre à la boucle de fin envoûtante. Dans un chant toujours plus aérien, Sylvie Kreusch donne alors l’impression de nous chuchoter ses textes à l’oreille, ce qui est loin de nous déplaire. Un admirable constat s’impose d’autre part, que ce soit à la découverte de Hear This Choir et ses chœurs renversants, de l’utilisation ingénieuse des voix comme instruments sur Shangri-La, ou encore des chœurs égalant la douceur de cordes sur Walk Walk : sa voix se suffit désormais à elle-même.

 

Ce qui n’empêche en rien ce disque de témoigner d’une instrumentation délicieuse, à travers un schéma de composition cultivant régulièrement une recette de titres en deux parties (Ending Up Alone), très souvent illustrée de montées en puissance dues à une superposition de couches mélodiques extatiques. C’est ainsi que Falling High ouvre somptueusement l’album, oscillant élégamment entre tendresse, retenue et grandiose, tout comme Who Will Fall (Here Into My Arms) le conclut magistralement, dans une coda à la beauté incontestable. La qualité minutieuse des arrangements est par ailleurs remarquable, de la brume cotonneuse enveloppant Wild Love révélant la finesse de la voix, à ceux sublimant Walk Walk, véritable trésor de douceur de l’album. L’ingéniosité de la composition jouant parfois sur du figuralisme se fait toujours plus intéressante, lorsqu’on entendrait presque les champs de Normandie où le disque a vu le jour dans les guitares de Girls. Dès lors, l’intelligence des titres se révèle dans le sentiment qu’ils provoquent : une attirance irrésistible qui happe, transporte et élève. Même un Interlude instrumental justifie alors toute sa place, dans une fuite somptueuse emportant tout sur son passage.

Avec Montbray, Sylvie Kreusch magnifie ainsi l’esthétique qu’on lui connaissait, pour livrer un album à la beauté et l’élégance inégalables. Difficile de ne pas espérer que le temps file à toute vitesse jusqu’au 23 février prochain, date à laquelle elle se produira à la Boule Noire à Paris. Il suffira de jeter un œil à ses dernières prestations live au chic incroyable pour en faire une raison supplémentaire de courir découvrir son magnétisme sur scène.

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