Tamino nous gratifie de sa poésie luminescente sur Sahar
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Auteur·ice : Caroline Bertolini
28/09/2022

Tamino nous gratifie de sa poésie luminescente sur Sahar

| Photo : Jeton Bakalli

Comme vous le savez, la critique musicale se teinte de beaucoup de subjectivité. Nous ne faisons pas exception à la règle, surtout lorsqu’il s’agit de Tamino. Néanmoins, nous avons tenté de décortiquer le nouvel album de l’artiste qui nous a beaucoup marqué ces dernières années, avec le plus d’objectivité possible, comme si on l’écoutait pour la première fois – ou presque. 

Si la voix de Tamino-Amir Moharam Fouad a toujours su traverser les plus dures carapaces, c’est d’abord dans un tourment esseulé qu’est né son projet. On se rappelle d’un artiste dont le nom se fait peu entendre dans la sphère musicale, porté par le tremplin De Nieuwe Lichting avec son single Habibi. Malgré les prémisses du projet timides, de par la nature humble et introvertie de l’artiste, un grand potentiel s’est toujours émané de lui. Nous l’avons suivi au travers de tous ses périples ; ses premiers clips, ses premières sessions live, ses premières interviews, toujours avec un charisme peu assumé et une esthétique assurée.

La sortie de Amir propulse Tamino sur les devants de la scène soft rock/ pop et les liens avec la royauté de la mélancolie sont directement avancés ; Leonard Cohen, Jeff Buckley, etc. Cet album dessine une vraie volonté de rendre le projet encore plus transcendant, aux moyens notamment d’une collaboration avec l’orchestre Nagham Zikrayat, hommage à son grand père et ses racines. Le petit artiste indépendant que nous suivons depuis ses débuts a vu rejoindre beaucoup de personnes dans son rayonnement, notamment Colin Greenwood de Radiohead qui a fini par rejoindre l’aventure live puis studio.

Désormais, il sera un prince de la poésie de niveau international. On ne peut s’empêcher d’avoir un sentiment de tristesse de ne pouvoir garder sa musique pour nous seul·es. Son public qui se résumait à des âmes perdues en quête d’un poignard de sentiments, s’est agrandi à toute personne qui pourrait apprécier sa justesse, ses mots, ses influences. Tamino a beaucoup voyagé, mais il en revient toujours à Anvers, notamment pour la création de ce nouvel album, Sahar.

 

C’était donc avec grand plaisir et curiosité que nous écoutions les premières notes du single The First Disciple. Il marque une grande avancée pour le musicien qui s’est concentré sur l’apprentissage de l’oud, instrument arabe connu pour être difficile à manier. C’est d’ailleurs aux côtés d’un musicien syrien issu de l’orchestre Nagham Zikrayat que Tamino s’est adonné à la tâche. Le morceau constituait un énorme soulagement : le futur sera beau, clair-obscur et mélancolique. Le retour vers l’intimité des débuts, malgré la fame grandissante.

S’il y a un aspect plus ou moins objectif qui n’est que peu mis en avant dans les papiers, c’est bien son écriture. Cette façon d’agencer les mots en dit plus que 1000 interviews. Alors, on vous l’avoue, nous n’avons pas eu la chance de partager quelques mots avec l’artiste sur sa vision particulière du monde et de la musique. Mais quelque part, c’est mieux comme ça. Comme il le dit souvent, il aime laisser ses mots à l’interprétation du public. C’est là aussi que réside son génie (les mots sont forts, mais justes) ; il manie les analogies comme s’il en avait inventé l’existence.

Dans The First Disciple, il utilise l’image du Messie. De prime abord, on associerait le morceau à une personnalité politique ou religieuse, mais en creusant, il fait écho à un·e ami·e, un·e amant·e qui se nourrirait de notre amour comme d’un pouvoir malsain. De notre côté, on a choisi de l’associer à l’amour charnel, et on ne s’en est toujours pas remis·e. Cet album prend comme mission de continuer ce travail d’écriture qu’on a retrouvé dans le narratif Indigo Night, ou dans le mythologique Persephone qui faisait le parallèle avec la légende de Narcisse, ou encore le doux Verses dans lequel l’artiste se transformait en “song placed on the lips of a woman”.

Dans ce dernier opus, on retiendra The Longing et l’oud qui nous rappelle fort des productions de Leonard Cohen qui s’en servait pour des chansons délicatement minimalistes pour en dégager le sens. Comme le décrit si bien le titre, il nous parle du “désir”,  de l’urgence de toucher du bout des lèvres un amour infiniment proche mais inaccessible.

The lips you haven’t met
They kiss you in your dreams
The longing never bared
Aches to be revealed

Hear me, follow this calling
I know you see me
Try to believe me
Hid away your longing will only grow
And you’ll only grow colder

On remarque aussi un retour à l’acoustique qui s’est intensifié dans ce projet, notamment grâce à l’oud. Plus intense et énergique dans The Flame, la production s’adoucit de temps en temps sous le son de la voix de l’artiste. On y retrouve aussi des ballades au piano, aussi sombres que les tréfonds de la Terre, comme You Don’t Own Me, qui réveillerait les morts de sa frustration presque-colère. Enfin, si cet homme est capable d’un tel sentiment, tant il transpire la bonté.

 

Elément surprenant de ce projet : A Drop of Blood. Plus oriental dans la voix, envoûtant, intense – semblable à une prophétie chantée, ou un chant de marins maudits. Aucune structure n’y est réellement présente, il suffit de suivre les vibes vocales sinueuses de Tamino qui nous emmènent doucement vers les moments de climax aux moyens d’instruments à cordes s’intensifiant à chaque montée de note. C’est un peu le joueur de pipeau qui décide de notre chemin dans son univers.

On mentionnera également le featuring avec notre autre star nationale, Angèle, qui ne constitue peut-être pas la meilleure chanson de l’album mais qui a le mérite de montrer l’artiste sur un registre qu’on ne lui connaissait pas et qui, oserait-on dire, nous plaît plus que tout ce qu’on a déjà pu entendre. C’est aussi un beau contraste avec la voix de Tamino avec sa tonalité tantôt basse, tantôt en falsetto, que d’avoir la douceur d’une voix emplie de souffle à ses côtés. On retrouvera d’ailleurs ce lyrisme plusieurs fois, notamment à la fin de cet opus, avec le magnifique My Dearest Friend And Enemy.

Tous les éléments sont présents pour faire de Tamino un artiste qui restera gravé dans la mémoire de ce pays. L’essence de sa personnalité transparaît jusqu’à son esthétique. Elle forme le tout cohérent qu’est sa musique à mi-chemin entre folk exutoire et doux rock indé. Tamino parle aux hypersensibles et aux disciples de la mélancolie tel qu’il l’a toujours fait, et ça nous touche particulièrement. Bien loin de la tristesse qu’on pourrait lui associer, il nous entoure de douceur et beauté. C’est d’ailleurs tout le sens du mot Sahar qui nous parait teinté d’espoir et de lumière, nom signifiant “juste avant l’aube“. Avec plus ou moins d’objectivité, le résultat est le même : le monde est pendu à ses mots et on attend le live avec impatience pour en ressentir toutes les nuances.

 


Tags: amir | Sahar | Tamino