| Photos : Diego Mitrugno pour La Vague Parallèle
Artiste incontournable de la pop belge, Tessa Dixson présentait il y a deux mois son nouvel EP Unspoken. Digne successeur de Genesis, son précédent album pour lequel nous avions pu échanger avec l’artiste, Unspoken n’en reste pas moins un projet d’émancipation et de rupture avec le passé. Autrice-compositrice-interprète, Tessa Dixson décide de s’y dévoiler littérairement, tout en précisant ses intentions artistiques. A l’occasion de la sortie du clip de Bad Thoughts, deuxième visuel de l’EP, on a rencontré Tessa Dixson pour parler d’Unspoken.
La Vague Parallèle : Salut Tessa ! Tout d’abord, félicitations pour cet EP. Unspoken est un projet qui semble, dès la première écoute, très personnel. Comment tu vis l’avant et l’après de sa sortie ?
Tessa Dixson : Comme je suis en indé maintenant, l’avant/après est moins contrasté. Le jour de la sortie, c’est le même ressenti qu’une journée d’anniversaire : tu sais que c’est un jour spécial, mais en même temps il ne se passe pas grand chose. Les promos sont étalées, tout n’est pas calé sur une journée. Sortir un projet en indé, c’est très différent : tu n’as pas une répercussion immédiate sur un jour, c’est un travail dans la longueur. Evidemment, tu dois te battre davantage pour vendre ton projet, ça fait partie du jeu. Je me disais au début qu’il fallait que j’aie un·e manager et, finalement, je l’ai fait moi-même. La listening party c’était super intimiste, pas de grande production, mais ça convenait au projet. J’ai sûrement fait des erreurs et j’aurais pu mieux faire certaines choses niveau management, mais ça fait partie de l’apprentissage. Ce n’est pas juste produire un projet, mais aussi l’accompagner. En tout cas, je suis juste fière et contente qu’il soit disponible.
| Photo : Diego Mitrugno pour La Vague Parallèle
LVP : Tu étais précédemment signée sous un label, mais tu es à présent artiste indépendante. Est-ce qu’il y a un lien entre ce choix et le fait que tu abordes la musique autrement, que tu t’autorises à parler de manière plus intime et honnête sur ce projet ?
TD : J’ai la chance de pouvoir décider à présent. J’ai l’impression d’avoir repris le contrôle de choses qui m’appartiennent. C’est normal d’avoir un label, d’avoir un manager et une équipe autour de soi, mais je pense que c’est une liberté de pouvoir affirmer la direction de son projet. Et ça se ressent au niveau musical.
LVP : Unspoken, c’est un EP où tu choisis d’aborder ta fragilité et ta vulnérabilité. Quel était ton rapport à la musique avant cet EP et quel est le déclic qui fait que tu as un rapport plus personnel et intimiste avec la musique à présent ?
TD : Ma musique a pas mal évolué. Elle était plus sombre au début. C’était une période plus compliquée et ça se reflétait dans mes compositions. Mon travail a toujours été honnête, mais avec Genesis, j’ai surtout testé différents trucs au niveau des productions, des textes, etc. C’était un peu comme une phase de recherche. Avec le temps, je me dis que le principal c’est d’être authentique avec les personnes qui t’écoutent, sans forcément mettre de distance entre un·e artiste et un public. Pour Unspoken, projet qui est né juste après le Covid, je me suis dirigée vers une proposition plus personnelle et sensible.
LVP : A l’écoute de l’EP, ce qui frappe, c’est la recherche d’un son expérimental et les distorsions électroniques de la voix pour accompagner une expérience assez authentique. Une combinaison que l’on peut retrouver dans les projets d’artistes telles que Okay Kaya, Charlie XCX ou encore Caroline Polachek. Quelles ont été tes influences pour cet EP ?
TD : Il y en a eu pas mal. Durant le processus de création d’Unspoken, j’ai écouté du Björk ou du Kate Bush où l’expérimentation est ultra présente. Tu en as nommé d’autres. Il y a eu aussi Oklou. Et puis quelqu’un qui m’a fait sortir de la pop quand j’avais 16/17 ans, c’est Spooky Black. C’est un artiste qui vient de Baltimore et qui a commencé à faire de la musique dans sa chambre. Ses textes sont hyper intéressants, il parle de trucs morbides mais avec de belles mélodies. Dans l’EP, j’aborde également certains sujets plus durs comme la mort dans la chanson Unspoken. Mais le but c’est de transformer ces sujets en poésie. Rendre la beauté de quelque chose de sombre, c’est le rôle de la musique et de l’écriture.
| Photo : Diego Mitrugno pour La Vague Parallèle
LVP : Et au niveau de la production, quelle a été la direction artistique ?
TD : La production est assez minimaliste, ce n’est pas un EP où les prods sont chargées. C’est plutôt un accompagnement du texte, ça laisse de la place à la mélodie et au sens de la chanson. Et puis la production a été évidemment influencée par les trois producteurs avec qui j’ai collaboré. Il y a d’abord Charles Tellier qui fait partie du groupe Planet 99 et qui a bossé entre autres avec Banoffee et Charlie XCX. Sa touche, c’est surtout cet esprit plus alt-pop et électro. Il y a aussi Jonas Steurs, qui aime sortir des sons génériques pour expérimenter (Unspoken). Enfin, pour la dernière chanson, j’ai travaillé avec Pepijn Leenders. Ça a été super naturel et rapide. Il a écrit une mélodie au piano, je suis rentrée chez moi, j’ai écrit les paroles, c’était bouclé. Chacun d’eux a amené sa patte perso sans que le projet ne perde en cohérence.
LVP : Ça fait du bien d’avoir une artiste qui propose ce genre de musique dans le paysage musical belge. C’est normalement plus ciblé sur les territoires anglophones, mais c’est nécessaire de diversifier le paysage musical en Belgique.
TD : Oui, c’est cool. Mais c’est aussi très frustrant parce que on ne me comprend pas toujours. (rires) On se demande parfois si le projet est adapté au territoire. En Belgique, il faut que l’industrie musicale prenne plus de risques, parce qu’on ne donne pas leur chance à des projets plus expérimentaux et aux artistes émergent·es. Il faut leur faire une place avant qu’iels ne partent à l’étranger pour montrer leur projet à des territoires plus ouverts aux sons qui sortent des codes.
LVP : Tu as également commencé à présenter ton projet live. Comment se sont passés les premiers concerts ?
TD : Il y a eu la Botanique, Breda et ensuite Liège qui a été une très belle surprise. Le public bruxellois est davantage sensible à mon projet. En le présentant à Liège, j’avais plus d’appréhension. C’était ma première fois en Wallonie. Mais les gens étaient à fond, c’était hyper révélateur de voir que le projet live a sa place en Wallonie, qui est un territoire plus compliqué pour des projets émergents anglophones.
LVP : Tu sembles penser ton projet non seulement musicalement mais aussi visuellement. Comment ça s’organise, associes-tu systématiquement des images aux chansons ?
TD : Ça dépend. Par exemple, la vidéo de Creep, je l’ai imaginée directement en écrivant la chanson. Je parle parfois d’éléments de rêve que je retranscris en chanson et ça a été un peu l’idée du clip. De toute façon, je pense qu’aujourd’hui c’est nécessaire de défendre visuellement son projet.
LVP : D’ailleurs, tu as sorti un deuxième extrait vidéo de l’EP : Bad Thoughts. C’est une chanson qui aborde le thème de l’infidélité et la toxicité d’une relation basée sur le mensonge. Quelles ont été les inspirations pour ce clip réalisé par Gleb Bondarenko ? Et comment ça s’est passé ?
TD : Je voulais vraiment avoir une référence mythologique pour ce clip et je suis tombée sur le mythe de Médée – qui tue son mari infidèle. J’avais pas mal des références visuelles de réalisateurs comme David Lynch, Lars Von Trier et Andreï Tarkovski. Puis j’ai surtout découvert le film Medea de Lars Von Trier, qui est devenue l’inspiration principale tant au niveau de l’histoire que de l’esthétique du clip, tout en glissant quelques références au mythe original de Médée. Le tournage s’est super bien passé, c’était trop bien malgré le bain matinal à l’aurore. (rires)
LVP : Pour finir, quels sont tes plans pour l’été ?
TD : Je serai en festival à Gent et à Rock Olmen ! Je pars en vacances évidemment. J’aimerais réécrire et expérimenter des nouvelles choses musicalement après l’été, rencontrer des nouvelles personnes avec qui bosser, des nouveaux·elles producteur·rices. Prendre le temps pour faire ces recherches, c’est important !
Adepte des lectures aléatoires qui accompagnent mes mood swings, entre Feist, Michel Berger et Solange.