Tête brûlée : consécration lumineuse et premiers pas de géante pour Iliona
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
21/01/2022

Tête brûlée : consécration lumineuse et premiers pas de géante pour Iliona

| Photo : Manuel Obadia-Wills

Si elle voyageait dans le temps sur son premier disque Tristesse, Iliona prouve qu’elle le contrôle sur Tête Brûlée. Un second élan fort et pluriel, qui jongle avec les codes de la musique rétro et moderne et qui réaffirme son statut de nouvelle incontournable en scène francophone. Si l’attention à son égard ne cesse de monter, la Bruxelloise se montre à la hauteur et entame la phase suivante de son parcours : la scène, dont celle du Botanique qui l’a accueillie pour son tout premier show – à guichets fermés, de surcroît. Récit d’un phénomène beau et sincère. 

Entre un titre d’électro cinématographique et de pétillantes secousses sauce yéyé, ce nouvel opus reste aussi éclectique et convaincant que le premier. En ne s’éloignant jamais bien loin de la fibre DIY propre à son univers, l’autodidacte touche-à-tout fait se côtoyer des sonorités rondes et léchées à des effets délicieusement fuzzy ancrés dans l’air du temps. D’une track à l’autre, on découvre des facettes distinctes de la chanteuse. Comme une envie d’affirmer le côté pluriel et complexe de sa musique, qu’il serait illusoire de vouloir définir en un seul genre délimité.

Fini la tristesse

Tranchant avec le doux spleen de son précédent projet, l’artiste dévoile ici une profusion de chaleur et d’allégresse, saupoudrée de sentiments amoureux et d’après-midis au soleil. Les mélodies uptempo donnent alors le ton d’une collection de morceaux aussi efficaces que solaires : du personnel Garçon manqué au bondissant micha. Si l’envoûtant une autre vie du premier opus induisait déjà une facette moins froide de son univers, elle semble ici avoir ouvert les vannes, pour notre plus grand plaisir. La voilà peut-être, cette “autre vie” : des rythmes chaloupants et des textes remplis d’une douceur réconfortante. Un tournant qui prouve qu’Iliona est autant douée pour chanter la mélancolie que la légèreté.

Avec Cent fois, elle offre tout de même à nos cœurs masochistes une pépite au haut potentiel lacrymal. De quoi nous ramener aux émotions suscitées par les ballades de sa discographie passée. À la seule différence qu’elle joue ici la carte de la pleine sobriété : quelques notes de piano seulement, bouclées à l’infini, et sur lesquelles se posent quelques lignes contemplatives et des fredonnements délicats. Bouleversant.

Le morceau wherever you hide, the party finds you vient offrir un temps de respiration au mini-album. Si on avait été subjugué·es par la force de Marguerite sur Tristesse, on espérait secrètement qu’elle dégaine ici sa casquette production pour nous repartager l’une de ses précieuses confections électro-instrumentales. C’est largement accompli avec plus de trois minutes d’errances évasives, au fil des nappes électroniques à l’aura galactique et de voix brouillées glissées à travers un cornet de téléphone. Une parenthèse cinématographique d’une intensité folle.

L’art de la nostalgie

Son premier EP avait déjà fait pleuvoir les comparaisons aux monuments de la chanson française, de Hardy à Barbara. Mais personne n’était vraiment prêt·e pour ce qui allait suivre : une plongée généreuse dans la culture vintage, rétro et maximaliste de la musique yéyé. Un genre pétulant et dansant popularisé dans les sixties par des figures comme Claude François ou France Gall, et que la chanteuse s’approprie avec intelligence.

| Photo : Manuel Obadia-Wills

C’est parce qu’elle se prête pleinement au jeu de la nostalgie qu’Iliona évite le côté ringard et assure l’exercice de façon convaincante, en témoigne l’efficacité de Si tu m’aimes demain (lead single idéal pour le projet) et Cocoon, brillant pour son travail sur les cordes et les percussions. Avec Ta Vedette, elle ose le croisement rétro-futuriste de mélodies vintage crémeuses et de gimmicks synth électronisés façon Vidéoclub. Un morceau audacieux mais à l’exécution moins convaincante, qui s’efface facilement face aux huit autres.

Sur quelque chose de, ce sont les cris de guitare électrique de chez Goldman qu’elle convoque pour accentuer l’effet dramatique de ce final éblouissant. Un titre qui laisse davantage de place aux instruments qu’au texte, pour traduire des sentiments aussi communs qu’explosifs.

Première scène, premier succès

La sortie de ce second EP marque également le début des concerts pour Iliona. Drôle d’histoire que celle d’une artiste qui gagne une communauté sans même lui avoir fait écouter sa musique en live. Et pourtant, c’était salle comble le 19 janvier dernier dans l’Orangerie du Botanique. Un rendez-vous immanquable qui aura marqué les premiers pas de géante d’une artiste pour qui son “audience” ne s’était alors jusque là mesurée qu’à l’aide de données d’écoute et de followers sur les réseaux.

Visuel et savamment construit, le show de la chanteuse traduit autant sa maturité artistique que sa vision précise. Entre détails symboliques (de la lampe à lave à la peluche géante de son clip pour une autre vie) et projections d’archives vidéos personnelles, un esprit de comme chez soi s’invite sur scène. En témoigne notamment l’apparition de la chanteuse Ana Diaz, avec qui Iliona a commencé la musique en tant que productrice, venue chanter l’une de ses dernières sorties entre deux titres de son amie.

| Photo : Jade Michel

Alors certes, le stress était également de la partie – rien de plus normal. Mais c’était sans compter sur la bienveillance du public, plus impliqué que jamais dans l’événement majeur que vivait la chanteuse ce soir là. Lorsqu’elle perd momentanément pied sur son emblématique Moins Joli, la foule s’élance alors à l’unisson pour l’épauler, offrant un instant de communion frissonnant et mémorable. Au moment de clôturer son show avec quelque chose de, les yeux bordés de larmes, on décèle presque une manière de nous prendre par la main, un sourire aux lèvres, pour nous tirer vers la suite. Avec la promesse qu’elle s’annonce plus belle encore.