| Photos : Lucinde Wahlen
Près de six ans après la sortie de son acclamé Silent Days, c’est sur les notes de Everybody Knows, gorgé de sens et d’émotions, que The Bony King of Nowhere nous est revenu en ce début d’année. Un retour remarqué pour l’auteur-compositeur belge venu nous redonner un peu d’espoir face à certains essentiels oubliés de nos sociétés en perpétuel tumulte. Rencontre.
Alors que l’auteur-compositeur vient de faire chavirer une Ancienne Belgique remplie d’aficionados venus en masse en ce vendredi 8 mars, on a voulu en savoir plus sur la genèse de ce nouvel album aussi alarmant qu’optimiste. Pour vous donner un peu de contexte : The Bony King of Nowhere fait partie des premier·ères artistes à nous ouvrir les portes de la folk en Belgique. Entre autres choses.
Loin de se placer en précurseur du genre – insiste-t-il d’emblée, c’est influencé par les univers rafraîchissants et authentiques d’artistes phares de l’époque comme Justin Vernon (Bon Iver) que Bram Vanparys se lance dans l’aventure acoustique. Et heureusement. Avec aujourd’hui six albums au compteur, tous aussi sensibles et singuliers les uns que les autres, The Bony King of Nowhere a indéniablement marqué la (petite mais puissante) scène folk belge. Et continue de le faire encore aujourd’hui.
Fort de ses onze titres éblouissants, Everybody Knows revête tout ce que The Bony King of Nowhere nous propose depuis près de seize ans maintenant. Des mots puissants sur des arrangements travaillés dans les moindres détails, difficile de ne pas succomber.
En constante exploration musicale, l’auteur-compositeur gantois ne cesse de se renouveler. Sans renier pour autant son amour pour l’honnêteté que nous apporte la folk, The Bony King of Nowhere marque les esprits à chacune de ses sorties. Avec Everybody Knows, c’est à travers les maux de nos sociétés modernes que nous emmène Bram pour ce nouveau chapitre. Entre cri de résistance et lueur d’espoir, plongeons ensemble au cœur d’un album qui nous veut du bien.
Bram : Sur mes premiers albums, je me suis surtout concentré sur la sobriété du son en lui-même, sa pureté. J’ai toujours su que je voulais créer quelque chose de plus gros, plus épais en sons justement. Ce qu’on a fait sur Silent Days d’ailleurs. Je dirais qu’avant Silent Days, mon travail regorgeait pas mal d’influences américaines comme Bob Dylan, Neil Young. Après, j’étais tout aussi attiré par la sophistication du son comme pouvait le faire Radiohead. J’ai toujours eu envie de jouer avec tous ces arrangements différents. Au fond de moi, j’ai toujours eu l’impression que Silent Days représentait la fin d’un chapitre. Celui influencé par la folk américaine, je dirais. Avec ce nouvel album, l’idée était donc de s’en éloigner. Je voulais revenir à mes racines musicales européennes comme PJ Harvey, Talk Talk ou Blur.
LVP : Tu cherches d’ailleurs à ne jamais te répéter. Il ressemble à quoi ton processus de création ?
Bram : Le processus créatif était clairement pas facile avec cet album parce que ma manière habituelle de fonctionner est la suivante : dès que je sors un album, impossible de l’écouter après quelques années. C’est d’ailleurs par là que commence l’écriture du suivant. Avec Silent Days, ce n’est pas arrivé. Je suis tellement fier de cet album. On a beaucoup travaillé, j’y ai mis tout ce que j’avais en moi. Mon processus de création était cassé (rires). J’ai dû trouver une approche différente. Ça m’a pris pas mal de temps.
LVP : Six ans se sont écoulés depuis ton dernier album. Quand est-ce que tu as compris que tu avais de quoi faire un nouvel album ?
Bram : J’ai commencé l’enregistrement et l’écriture au même moment. Je me suis d’abord acheté un piano, alors que je n’en avais jamais fait. Je suis retourné un peu à la guitare sans jamais réellement être satisfait de ce que j’avais. Je suis parti en studio avec quelques musiciens. On avait trois mois pour enregistrer trois morceaux. J’avais pas d’autre choix que de ressortir de là avec ces trois morceaux. Et ça a fonctionné. Le fait d’écrire ces morceaux m’a inconsciemment poussé à en écrire davantage.
LVP : Plus tu explores, plus tu crées ?
Bram : Écrire des morceaux ressemble pas mal au travail d’un chercheur d’or. Tu passes du temps à gratter, à explorer pour au bout d’un certain temps, tomber sur la pépite. Celle qui te donnera un peu d’espoir et te montrera le chemin pour trouver le reste. L’écriture d’un album ne tient souvent qu’à l’écriture du premier morceau en réalité.
LVP : Tu as toujours su que tu avais envie de sortir quelque chose après Silent Days ?
Bram : En réalité, après avoir sorti Silent Days, c’est la première fois où je me suis dit que j’allais arrêter. Il sonnait en moi comme un dernier album. J’en étais tellement fier, ça faisait sens. Je suppose qu’on ne peut jamais réellement décrocher (rires).
LVP : En 2009, quand tu sors ton premier album, la scène folk en Belgique était bien loin d’être ce qu’elle est aujourd’hui. Avec un œil porté sur la scène anglo-saxonne de l’époque, il se passe quoi dans ta tête au moment de sortir l’album ?
Bram : J’étais assez excité en sortant Alas My Love justement parce que c’était quelque chose d’assez nouveau en Belgique à l’époque. On entendait surtout du rock, des groupes de rock. C’était pas facile de sortir un album pareil ! On n’avait aucune idée de comment il allait être reçu. Par la suite, on a senti ce mouvement très acoustique s’installer aussi chez nous. Au même moment, t’as des groupes comme Bon Iver ou Fleet Foxes qui débarquent de l’autre côté. C’est une belle époque pour la folk ! On sentait l’engouement général autour de ces sonorités très acoustiques.
LVP : C’était quoi ta première rencontre avec la monde de la folk ?
Bram : La première fois que je suis tombé sous le charme de la folk, je dirais que c’était aux alentours de 2004, quand ce nouveau petit mouvement à l’intérieur même du genre faisait son apparition avec des artistes comme Devendra Banhart et ses sonorités si pures. J’ai découvert Bob Dylan à 23 ans, ce qui est super tard quand on y pense pour un auteur-compositeur (rires).
LVP : Onze ans après ton premier album justement, Silent Days voit le jour. Tu es poussé sous le feu des projecteurs et tu gagnes d’ailleurs un Music Industry Award. Créer un nouvel album après ça, je suppose que c’est quelque chose d’à la fois super excitant et super effrayant ?
Bram : Le succès de Silent Days, je l’ai pas ressenti pour être honnête. Peut-être que je l’évitais ? Je ne sais pas trop. J’étais en tournée le soir de la remise des Music Industry Awards. Ce qui au final, n’était pas pour me déplaire. Je ne suis pas des plus confortables dans ce genre de soirées (rires). Je n’ai pas vraiment l’impression d’être si légitime que ça d’être aux côtés de tous ces artistes. La seule pression que j’ai eu, elle venait de moi-même. Quand tu te lances dans un nouvel album, il y a toujours ce petit truc qui te dit que le nouveau doit être aussi bon que le précédent. Pour moi, faire quelque chose d’aussi bon signifie faire quelque chose de différent. C’est challengeant d’une certaine manière, de repartir de zéro comme ça.
LVP : Ce nouvel album Everybody Knows explore la toxicité lente de l’humain et ses conséquences sur notre société, que tu appelles d’ailleurs la société « la plus solitaire ». Sur le morceau Almost Invisible, tu écris : « change ways and they will push you right into the swamp fading into someone you know you are not ». Comment on en est arrivé là selon toi ?
Bram : L’ironie dans tout ça, c’est qu’au fond on est tous·tes au courant de cette toxicité qui nous entoure. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai voulu appeler l’album Everybody Knows. Je ne sais pas trop comment on en est arrivé·es là, mais je pense que la perte – ou du moins la décroissance, des communautés au sens premier du terme peut être un élément de réponse. On est indéniablement plus fort·es en tant que groupe. Et je pense qu’on a perdu cette idée. On est peut-être trop autocentré·es. C’est important de se développer en tant qu’individus, de trouver sa voix, de trouver ce qu’on aime. Mais au fil du temps, on a fini par nous renfermer sur nous-même. Tu peux être sûr que si tu demandes à quelqu’un sur son lit de mort quels étaient ses meilleurs souvenirs, il te répondra les moments qu’il a passé entouré de ses proches. Sûrement pas sa dernière virée en SUV, sa smart tv ou sa grande maison.
LVP : Tu soulignes aussi le rôle néfaste des réseaux sociaux dans nos quotidiens. L’album commence d’ailleurs sur ces mots « picture yourself the best way you can / put it online / and live up to it ». C’est un peu un cercle vicieux pour le coup ?
Bram : On s’est perdu·es à travers les réseaux sociaux, ou en tous cas une partie de nous. Sur Are You Still Alive, j’aborde ce besoin qu’ont certaines personnes de baser leurs vies sur l’image qu’ils ou elles reflètent sur les réseaux sociaux. On cherche en permanence à montrer qu’on fait les plus beaux voyages, qu’on passe les plus beaux moments à travers quelques photos. Malheureusement, c’est pas ça la vie. Parfois la vie ça craint, ça te met une claque. Et c’est important de le dire aussi, parce que c’est ça aussi la vie. En voulant trop partager, on finit par ne plus partager les choses qui ont réellement un sens.
LVP : Pourtant tu gardes espoir face à tous ces thèmes que tu abordes dans l’album. Que tu conclus d’ailleurs avec Slow Down, qui est un peu un cri de résistance face à tout ça.
Bram : Je perds espoir quand je vois l’influence sur notre monde qu’ont les personnes au pouvoir, les « leaders » comme on les appelle, les grands patrons. Ça me fend le cœur. Puis quand je vois tout ce que des personnes normales comme toi ou moi pouvons faire à notre échelle, sortir dans la rue pour crier et se faire entendre, ça me remplit d’espoir. Ça changera un jour. Ça doit changer. Mais pour ça on a besoin de garder espoir, d’oser crier, d’oser dénoncer.
LVP : Si tu devais décrire l’album en un mot, tu choisirais lequel ?
Bram : Je dirais ce passage : “are you not who you really want to be” ? Ce n’est pas une question d’être content avec ce qu’on est ou de vouloir changer qui on est. C’est pas aussi facile que ça. C’est pouvoir se regarder dans la glace et accepter qui on est.
- 21 Novembre : De Roma, Anvers
- 23 Novembre : Belvédère, Namur
- 29 Novembre : Cactus, Bruges
- 05 Décembre : Depot, Leuven
- 12 Décembre : Wintercircus, Gand
Toujours au premier rang d’un concert par amour mais surtout parce que je suis le plus petit. Je fais de la mélancolie mon principal outil.