The Growlers : “Pour être bon dans son art et pour que ça marche, il faut savoir être patient”
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Auteur·ice : Océane Briand
03/09/2019

The Growlers : “Pour être bon dans son art et pour que ça marche, il faut savoir être patient”

La voix éraillée et le charisme à part entière de Brooks Nielsen, leader du groupe, ne sont sûrement pas les principales raisons de leur réussite. Après s’être entouré de Julian Casablancas pour la sortie de leur album City Club en 2016, créé leur propre label Beach Goth Records en 2015 et lancé en 2011, le Beach Goth Festival, un festival au triomphe colossal, The Growlers ne cesse de gagner en polyvalence mais surtout, en efficacité. Plusieurs concerts sold out, des têtes d’affiches dans les plus grands festivals du monde, menant à une reconnaissance et une admiration sans pareil. Par chance, c’est à l’occasion de la 29e édition de La Route Du Rock que nous avons pu discuter de leur relation avec le succès mais aussi de la nécessité de se couper de la réalité afin de se concentrer sur son art et rester créatif. 

La Vague Parallèle : Le groupe a récemment sorti deux morceaux (Natural Affair, Foghorn Town) qui n’ont plus la touche surf rock des débuts. Pourquoi avoir décidé de vous détacher de votre signature d’origine ?

The Growlers : On n’a jamais vraiment pris de décision par rapport à ça, on n’en a jamais parlé en fait. Ce changement est inexplicable, c’est un truc qui sort de toi comme ça et ça ne se choisit pas. D’ailleurs, je ne sais même pas ce qui me préoccupait le plus lorsque j’ai composé et enregistré ces morceaux. Et puis, on ne peut pas parler d’une quelconque influence extérieure car je n’ai pas écouté de musique pendant cette période. Tu sais, aujourd’hui je suis plutôt occupé, j’ai une famille, des enfants à gérer, c’est ce qui m’importe le plus.

LVP : Au fil des années, vous vous êtes vu prêter le genre “beach goth“, un genre musical auquel le groupe avait l’habitude d’être fidèle sur ses premiers albums. Mais avec le temps, vos désirs et vos fins ont évolué. À quel genre peut-on associer The Growlers aujourd’hui ? C’est bien plus que du surf-blues mélancolique désormais, non ?

The Growlers : Je ne sais pas vraiment à quel genre musical je pourrais rattacher ma musique et ça m’importe peu à vrai dire. C’est pas un truc qu’on me demande de préciser en général, excepté pour les journalistes. Je me force un peu à rentrer dans une case mais pour moi ça n’a pas de sens de s’approprier un genre. L’idée de beach goth était une blague à l’origine et pendant un temps c’était un peu devenu le surnom du groupe. Quand on nous demande notre genre musical, on voit un peu ça comme une question piège mais le fait que le genre beach goth ait été approprié comme un genre unique est assez flatteur et même si c’est hyper cool, je trouve que ça n’a pas de sens.

LVP : L’album City Club a été produit par Julian Casablancas mais pour votre dernier opus, Casual Acquaintances, vous êtes revenu à l’autoproduction. Pourquoi ?

The Growlers : Notre dernier album n’est qu’un regroupement de démos et c’est ce qui diffère de City Club. À chaque fois qu’on prépare un nouvel album, on a toujours un ensemble de 50-60 morceaux et donc là c’était la première fois qu’on se disait “sortons juste ces démos et voyons ce que les gens en pensent” et l’idée peut paraître un peu confuse mais au bout du compte, je ne pense pas que les gens se soucient encore de la façon dont ça a été enregistré. Je sais pas, on avait déjà travaillé sur pas mal de démos qui sonnaient bien donc on s’est dit qu’on n’avait pas besoin d’un producteur, qu’il fallait juste qu’on les sorte pour voir ce que ça donne. Julian était le premier producteur avec qui on travaillait.

LVP : Aujourd’hui vous avez votre propre label “Beach Goth Records“. Est-ce que tu peux me raconter en quelques mots sa genèse ?

The Growlers : Le besoin, tout simplement. Ça fait un petit moment que le groupe existe maintenant, les gens ne vont plus se bousculer pour venir frapper à notre porte et nous signer, ça ne nous intéresse pas de toute façon. Ça faisait sens de créer notre label, j’avais l’idée en tête depuis tellement longtemps et pour être honnête, je ne pensais pas que ça allait marcher. Mais lorsqu’on s’associe de temps en temps à des labels, on se rend bien compte que c’est juste une histoire d’argent, ils ont un lot d’artistes, ils espèrent que l’un d’eux fera fonctionner la machine, que l’un d’eux fera de bons morceaux. C’est un concept assez ennuyeux que d’appartenir à un label et puis avoir de telles responsabilités, c’est un risque à se prendre la tête trop souvent avec les gens qui travaillent avec toi. On se débrouille très bien nous-mêmes et je ne sais pas quels sont nos plans pour l’avenir, j’aimerais bien qu’on signe quelques artistes mais ça ne s’annonce pas comme une partie de plaisir. Souvent on ne pense qu’à l’argent et moi ça ne m’intéresse pas, c’est quoi l’argent d’abord ? Je ne veux pas devenir ce genre de mec obnubilé par ça (rires), je veux rester fidèle à ma créativité et y accorder toute mon attention. Je veux rester un artiste et pas devenir un businessman et pour ça, je vais devoir faire très attention.

LVP : The Growlers a énormément gagné en visibilité au fil des années, ce qui veut dire plus de fans et une popularité sans fin mais qui à force peut s’avérer pesante. À ce stade, quelle est votre relation avec le succès ? Est-ce que c’est quelque chose qui vous rebutait au départ ?

The Growlers : Oui, totalement ! Aussi, s’il y a bien une chose dont je suis certain, c’est que pour être bon dans son art et pour que ça marche, il faut savoir être patient car ça prend beaucoup de temps et tu dois travailler dur pour y arriver. Je savais que le succès n’arriverait pas du jour au lendemain et j’étais plutôt à l’aise avec cette idée. On avait de bons emplois, qu’on a quittés pour créer le groupe, on voulait accéder à la popularité et il faut dire qu’on a fait un sacré bon boulot, on s’en est bien sorti. Je me rappelle des débuts où on commençait à faire des dates importantes, où on avait tout gratuitement, la nourriture et tout ça, ça nous faisait plaisir. J’ai vraiment apprécié cette lutte acharnée même si aujourd’hui, tout n’est pas parfait. On s’est fait attaquer en justice il y a quelques années et on a dû relancer la machine mais ça va. C’est surtout grâce à notre entourage qu’on s’est autant démené, c’était dur pour nous comme pour eux de manquer autant de moyens, nos petites amies ou nos épouses se sont privées pour nous et juste pour elles, on veut ce succès, rien que pour leur payer en retour tout ce qu’elles nous ont offert.

LVP : Selon toi, quelle serait la recette idéale pour un succès sans fin ?

The Growlers : Je ne saurais pas vraiment te dire. Je ne suis pas le genre de gars facilement impressionné, que ce soit par ce qu’on fait ou ce que les autres font pour obtenir ce genre de reconnaissance. C’est un truc qui marche en continu et qu’on espère éternel, il faut juste essayer de se renouveler en permanence même si c’est un combat constant. Je ne sais pas trop comment me positionner par rapport à ça et de manière générale, ce n’est pas mon genre de donner mon avis.

LVP : J’ai fouillé un peu l’internet et tu as dit dans une interview que l’inspiration venait davantage quand ton quotidien était sombre. Que penses-tu du processus inverse ? Est-ce qu’il serait envisageable pour toi de trouver matière à écrire dans des instants de vie heureux ?

The Growlers : Je ne sais pas trop, j’ai l’habitude de m’enfermer pour me couper de tout et de boire un peu trop (rires). Mais les pensées sombres viennent instantanément et c’est comme ça que je compose. Après je peux m’inspirer de mon quotidien, qui est plutôt agréable, il faut le reconnaître. Je suis tout d’abord leader du groupe, je suis père et je suis constamment entouré de gens. Je m’appuie beaucoup sur mon imagination et je suis du genre à facilement cracher le morceau, c’est un avantage. Et c’est marrant, mais je n’ai vraiment pas besoin de lire les journaux, je n’ai pas de réseaux sociaux, je suis vraiment coupé du monde réel et c’est toujours un choc quand j’y reviens.

LVP : Ce n’est pas trop difficile d’être autant déconnecté de la réalité quotidienne ?

The Growlers : Si, un peu. Je crois que j’essaie inconsciemment de me protéger et je trouve ça malsain d’être toujours sur son téléphone à regarder des photos de femmes à moitié nues, de passer son temps à regarder des memes. Parfois je me sens mal d’être autant retiré du monde et des infos mais ça me va. Je préfère me concentrer sur ce qui a de l’importance dans ma vie, c’est-à-dire ma famille, mes amis et faire de la musique.

LVP : Et justement, en parlant de ces facettes désagréables de la vie, vous avez souvent composé des morceaux où le thème était assez sombre mais les dernières sorties semblent être un peu plus optimistes. Comment peux-tu nous expliquer ce changement ?

The Growlers : Je pense que quand tu auras écouté le prochain album tu changeras vite d’avis car tu y entendras beaucoup de vieux gars énervés pour un rien (rires). Je ne sais pas tellement comment je pourrais l’expliquer car comme je l’ai dit, on a fait près de soixante morceaux pour cet album et même après avoir fait un tri, on se retrouve forcément avec une bonne moitié plutôt gaie et l’autre non. On avait vraiment envie de donner une chance à chaque chanson et les pousser jusqu’au studio même si beaucoup ont fini à la poubelle.

LVP : Même si votre prochain album est encore en gestation, peux-tu nous donner quelques indices sur ce à quoi on peut s’attendre ?

The Growlers : Tout ce que je peux dire c’est qu’on a eu recours au même foutu procédé que pour les précédents albums. Passer du temps chacun de son côté, loin de tout le monde, essayer d’être créatif le plus possible, se revoir, échanger, créer et travailler dur et ce, du mieux qu’on peut. Pour tout te dire, cet album semble plutôt frais dans l’idée et ça ressemble beaucoup au début des Growlers.

Bonus : un portrait de Brooks Nielsen, leader du groupe, réalisé par Alphonse Terrier

 

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