The Jungle, le manifeste farouche de Plants And Animals
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Auteur·ice : Joseph Lanfranchi
23/10/2020

The Jungle, le manifeste farouche de Plants And Animals

Fier (adjectif) : qui a de l’audace, de la fougue (pour les animaux : farouche, sauvage). Du latin ferus “sauvage, cruel” et de l’indo-européen ghwer évoquant l’état sauvage.

Au commencement il y eut la folk onirique de Parc Avenue, promenade psychédélique dans les bois en clair-obscur et poésie de l’aube. Deux ans après, le groove ensorcelant et les mélodies saturées de vie de La La Land. Suivirent les guitares électriques sous tension de The End of That, leurs riffs acérés et efficaces ; tremplins pour la voix vibrante, nue et écorchée de Warren. Waltzed in from the Rumbling sonna le retour des expérimentations sonores et de nouvelles balades ; tendres partitions d’un crépuscule annonciateur d’une nuit enchantée. Les thèmes et la façon de les aborder évoluent avec les membres du groupe. Éternel semble être le charme des mélodies, l’élégance des pensées et l’intelligence des réflexions. Enfin s’ouvre The Jungle et Plants and Animals éclatent d’une fougue nouvelle, ivres d’une naïveté sage et soûls de beauté.

L’ouverture éponyme expose les nouvelles couleurs musicales qui éclaireront les huit chansons de l’album. Cocktail sonore travaillé et peaufiné sur base de sons électroniques où s’élancent nonchalamment les classiques basse, batterie et guitare. Les Montréalais se surprennent à lorgner du côté d’un funk rétro avec des vocalises ensoleillées et répétées. Love That Boy est un rock classique et chaloupé sur lequel la voix de Warren fait des merveilles. L’orchestration est classique pour cette complainte familiale pleine d’espérance.

À l’écoute de House On Fire, celui qui n’a pas envie de brûler sa maison et de sortir danser avec frénésie en cercle autour de l’immense feu de joie, un sourire extatique et sans doute un peu fou aux lèvres, n’a plus qu’à pleurer la sécheresse de son âme et la fadeur de son cœur. L’énergie pyromane du groupe exulte, renforcée par les boucles de basses perpétuelles, les turbulences du clavier et les incantations infernales scandées à l’infini. Lancé à toute allure sur la pente abrupte, plus question de quitter la course ni de faire volte-face. La fureur explose dès les premières seconde de Sacrifice et son branlebas de combat rythmique. Au milieu de la cohue, alors que la cadence lève le pied et fait place à une courte accalmie, Warren assassine en quelques mots féroces : “I gave you the best years of my life” mais peu importe son sacrifice “sacrifice it doesn’t matter” et se condamne en même temps “so I am – left alone”.

 

Les arpèges acoustiques de Get My Mind marquent le commencement d’une nouvelle ère. Comme si après avoir brûlé son foyer, tout sacrifié en vain (dont les meilleurs années de sa vie), il finissait par se détacher de tout ce qu’il lui reste. Des choses personnelles lui appartenant, aussi bien que de son être lui-même. Puisque rien n’importe sauf de pouvoir entendre ta voix une dernière fois. Le Queens, parenthèse québécoise pleine de vague à l’âme, coup d’œil rapide vers le passé et une soirée insouciante à jamais disparus. Instants vécus aux sons des notes de guitare tenues et ensorcelantes. À l’aube, la voix douce et forte d’Adèle Trottier-Rivard bruisse dans les avenues désertes, berce nos émotions et ferme nos paupières. Elles garderont avec notre sourire le mystère des délices éphémères de la nuit. En secret, “baby don’t you laugh – cause hearts get broke like that”.

La douceur et la candeur des paroles d’In Your Eyes continuent d’éclaircir l’horizon de ce jour nouveau en compagnie de Plants and Animals. Apaisé, le jeu velouté d’une guitare distendue et indolente s’autorise quelques notes de solo entre les suites d’arpèges. Le repos ne dure pas. Sur une mer au calme roulis, les feux d’artifices de Bold éclatent en vagues fabuleuses d’intensité et de beauté. Apothéose et feux d’artifices sonores. En un instant les flots recouvrent tout et, affolé par les roulements de la batterie, la quête d’oxygène devient la seule et unique préoccupation. La détresse et la furie, l’agitation des instruments et des musiciens qui abandonnent toute idée de coordination et s’embrasent tous ensemble, dans un cri trouble, bouleversant, fantastique et vertigineux.

 

Parfois les chansons se découpent en diverses parties aux rythmes et sonorités distinctes. À plusieurs reprises et rappelant la structure de leurs compositions précédentes, le calme alterne avec la tempête et les éléments vont et viennent au rythme des invocations du groupe. Le long des pistes brûlantes, Warren module à souhait et à la perfection son timbre. Ses cabrioles vocales lui permettent de parcourir d’un bout à l’autre de The Jungle, de vibrato en trémolo et des murmures éthérés aux cris cathartiques, son spectre vocal sans tomber dans l’excès ni le ridicule. Sans emphase, les membres de Plants And Animals explorent et se cherchent dans les paroles et les nouvelles sonorités afin qu’elles soient en accord avec eux. The Jungle est un album impressionnant de cohérence et de vie, salvateur car vrai et franc. 

Le son des huit pistes est singulier, envoûtant et global. Il renforce la puissance de submersion des morceaux et donne encore plus de pouvoir aux chansons lorsqu’elle sont écoutées d’une seule traite. Véritable capsule magique, pilule aphrodisiaque et psychotique, où ruine, auto-sabotage et délivrance se mêlent les uns aux autres, s’affrontent et nous entraînent dans une mêlée ardente dont on ne peut sortir indemne, si l’on en sort. Car c’est l’une des idées sous-jacentes et récurrentes de l’album, l’impossibilité d’esquiver le combat. Il est illusoire de vouloir y échapper, il faut accepter la lutte et danser avec les émotions, jouir des sentiments et toujours rester farouche. En musique, accepter le gris des doutes devient plus facile. Et sa triste banalité devient acceptable lorsque Plants and Animals le barbouille de poésie.


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