James Gray est un réalisateur globalement peu prolifique : ses réalisations sont souvent espacées de quelques années (6 longs métrages en une vingtaine d’années, on est loin du rendement d’un Spielberg). Mais il compense généralement la quantité par une qualité et une exigence certaines. Le réalisateur des excellents Little Odessa, The Yards, La Nuit nous appartient et Two Lovers aime prendre son temps.
Il nous revient ici avec un biopic sur l’histoire vraie de Percival Fawcett, un explorateur britannique du début du XXe siècle, qui se lancera à la conquête cartographique de l’Amazonie occidentale. Et dont la vie inspirera plus tard la création du personnage d’Indiana Jones.
Dès les premières minutes du film, Gray nous rappelle qu’il est passé virtuose dans l’art des cadrages et de la lumière : le film s’ouvre sur une impressionnante chasse au cerf dans les collines verdoyantes de l’Irlande, filmée à hauteur d’homme. Comme toujours chez ce réalisateur, le film est esthétiquement proche de la perfection : ses cadrages, sa photo et ses lumières sont magnifiques. Mention spéciale aux scènes tournées dans la jungle : on ressent à la fois toute la fascination et le danger que peut représenter cet enfer vert, dont la beauté n’a d’égale que les périls.
Le réalisateur-scénariste (là aussi, comme souvent, il a la double casquette) traite de ses sujets de prédilection habituels : la soif d’ascension sociale d’un parvenu, la famille, à la fois prison et idéal complexe à bâtir, et les tourments intérieurs du héros. Car le personnage de Fawcett (brillamment interprété par un Charlie Hunnam, inspiré et charismatique) est torturé, tiraillé entre sa soif d’aventure et de promotion sociale d’un côté, et sa volonté d’être un père et mari aimant de l’autre. Ici, le héros, fasciné par le monde inexploré qu’il découvre, se rend compte que les sauvages indiens qu’on lui a décrits sont peut-être plus civilisés qu’il n’y parait. Il se lance alors à la recherche d’une cité mythique, la cité de Z, censément cachée dans les profondeurs de la jungle, défiant les carcans que la société victorienne finissante tente de lui imposer.
Le film nous place à une époque où des parties entières du globe restaient encore à découvrir. On ne peut qu’éprouver une pointe d’envie pour ses explorateurs de l’inconnu, là où nous devons aujourd’hui faire face à un monde aux contours nets et définis. C’est cette soif d’aventure, cette quête de l’inconnu et de la découverte pour notre planète que nous transmet le film, à une époque où l’exploration et la découverte nous invitent plutôt à regarder vers les étoiles. Quête de l’inconnu, encore et toujours…
Au niveau du reste du casting, Charlie Hunnam est très bien entouré : comme souvent, Robert Pattinson (et oui, il y a une vie après Twilight) fait le job dans un second rôle d’aide de camp un peu bourru, Tom Holland (déjà remarqué dans le très émouvant The impossible, et futur nouveau Spiderman) confirme sa capacité à livrer de l’émotion et du jeu dans le rôle du fils délaissé prêt à tout pour briller aux yeux de son père. Mais la palme revient surement à la splendide Sienna Miller, qui est bouleversante dans le rôle de l’épouse à la fois abandonnée, aimante et combative. Elle hérite d’ailleurs du plus beau plan du film, le dernier, qui laisse à la fois une impression de grandeur et de terrible solitude.
Si on voulait être tatillon, tout au plus se bornerait-on à constater que si Gray est très doué pour filmer l’intime et la psychologie à hauteur d’hommes, il semble quelque peu perdu lorsqu’il s’agit de filmer des scènes de batailles à une échelle plus large (les quelques scènes dans les tranchées de la première guerre mondiale manquent un peu de souffle et de tension). Mais ce serait vraiment là faire la fine bouche. Gray nous livre à nouveau un film marquant, et on le suit bien volontiers dans cet enfer vert aux allures de paradis perdu. Pourquoi se priver ?