| Photo : Chloé Merckx
Cela va faire six ans que The Murder Capital s’impose comme une voix percutante du post-punk. Depuis leur premier album When I Have Fears, sorti en 2019, le quintet dublinois se distingue par un son aussi brute qu’intensément émotionnel, naviguant entre mélancolie et rage contenue.
Le groupe rompt aujourd’hui avec ses explorations plus atmosphériques de Gigi’s Recovery (2023) et nous présente un troisième album, Blindness. Marqué par un climat de tensions et d’incertitudes pendant l’enregistrement, l’album capture une certaine angoisse dont ressort le sentiment d’urgence. Blindness oscille entre le chaos et la structure, le frénétique et l’introspection.
À l’occasion de cette sortie, nous avons eu la chance d’échanger quelques mots avec James McGovern, chanteur, et Cathal Roper, guitariste, sur leur temps passé en studio à Los Angeles et les différents thèmes qui traversent leurs paroles.
La Vague Parallèle : Bonjour, comment allez vous ?
The Murder Capital : Bien.
LVP : Comment vous sentez-vous quelques instants avant la release de ce nouvel album ?
James McGovern : En ce moment, il y a une sorte d’énergie qui se crée autour de ce nouvel album. C’est comme pour un concert, tu ne veux pas en dévoiler trop, trop tôt. Donc on profite de la sortie des singles, mais avant de pouvoir les jouer en live, tu n’as pas vraiment de point de référence donc je ne sais pas trop.
Cathal Roper : La semaine de release va être intense par contre, ça va être chouette.
James : Ce qui est difficile, c’est de ne pas savoir ce que les gens pensent sincèrement : je ne sais pas ce que les fans pensent, je n’ai aucune idée de ce que tout le monde pense, plus personne n’écrit des vraies chroniques.
LVP : Cela fait six ans que le projet existe, qu’est-ce que cet album représente pour vous à ce stade de votre carrière ?
James : Je pense que c’est une conversation continue depuis les deux albums précédents. C’est un peu comme un troisième enfant plus intelligent ou quelque chose comme ça. C’est probablement le travail le plus assuré qu’on ait sorti.
Cathal : On est libérés de la peur des deux premiers. Pour un premier album, tu paniques à l’idée de bien faire les choses parce que tu as peur que cela ne fonctionne pas. Pour le deuxième, c’était pareil : on n’avait pas non plus envie d’être définis par ce premier album donc on a essayé de faire quelque chose de différent. Pour ce troisième album, je pense qu’on a laissé les choses venir à nous et John (Congleton) a été super en ajoutant aux chansons juste ce dont elles avaient besoin.
LVP : C’est la deuxième fois que vous travaillez avec John Congleton à la production, comment s’est passée cette deuxième collaboration ?
James : Bien, pour le dire de façon édulcorée.
LVP : C’est-à-dire ?
James : C’était un peu fou, c’est un gars assez étrange, vraiment étrange. Mais il est gentil aussi, tu sais? C’est un peu comme quand tu voyages dans une nouvelle ville et que tu essayes les pâtisseries locales et tu te dis “je pense que c’est bon ?” Et le fait d’être à LA, évidemment c’est difficile d’en parler maintenant avec ces horribles incendies, mais d’être là-bas, c’est un peu entre l’enfer et le paradis.
LVP : L’album a été composé dans plusieurs lieux différents, est-ce que les différentes atmosphères ont joué un rôle dans le résultat final ?
James : Oui d’une certaine façon, mais pas consciemment.
Cathal : Je pense qu’on ne peut pas nier que l’endroit d’où tu viens ou d’où tu écris a une influence. Après pour Berlin par exemple, je ne sais pas ce que cette ville a apporté au son si ce n’est qu’il faisait vraiment froid. Et au final, les chansons finales sont fort différentes de nos démos berlinoises.
James : J’ai une opinion un peu différente. Parfois, dans le groupe on dit que tel voyage était bon ou au contraire nul pour notre écriture, mais sans Berlin par exemple, on n’aurait pas eu ce qu’on a aujourd’hui. Chaque voyage est une étape vers le produit fini. Par exemple, le voyage à Dublin nous a semblé être très productif, mais il ne l’aurait pas été autant si nous ne venions pas de faire une tournée. Je crois vraiment qu’il y a différentes phases artistiques.
LVP : L’album débute avec Moonshot, comment avez-vous procédé pour créer ce son à la fois dissonant et organisé ?
Cathal : Ça a été fait extrêmement rapidement. C’était notre dernier jour au studio et nous n’avions que quelques heures pour enregistrer les parties de chacun. Je pense que la coordination ressort de ce que chacun voulait pour cette chanson et que John a mixé par la suite. Mais nous n’avons pas encore eu l’occasion de jouer cette chanson ensemble.
LVP : Et pourquoi avez-vous choisi de la mettre en premier sur l’album ?
James : Elle défonce la porte. C’est une chouette évolution par rapport à la façon dont la chanson a commencé, quelque chose que j’avais écrit et qui, au départ ressemblait peut-être plus à une approche à la Elliott Smith à la guitare acoustique. Puis ça s’est transformé en cet espèce de mur de son un peu fou et chaotique. J’ai l’impression que le moteur de cet album pour nous, c’était de créer quelque chose d’énergique, d’intense et de rythmé. Je pense que ça devait s’ouvrir sur quelque chose comme ça.
LVP : Il y a beaucoup de chaos dans cet album, est-ce que ce chaos est inspiré de vos angoisses personnelles ou est ce qu’il est une réflexion du monde ?
James : C’est juste de l’anxiété. Je pense aussi que c’est une sorte de folie intérieure, comme des synapses déconnectées. Qu’on a toustes, tu vois ? On est tous tesun peu en train de tâtonner. Et en même temps, on peut aussi être comme un éléphant dans un magasin de porcelaine dans ce monde parfois. Il y a tellement de choses différentes auxquelles on est confronté, donc… On peut dire que c’est en grande partie un reflet de l’intérieur, mais je ne sais pas exactement à quel point.
LVP : On ressent aussi une certaine urgence, comme un stress.
James : Pour Moonshot, c’est assez fort lié au processus d’enregistrement : il ne nous restait que quelques heures pour enregistrer et il y avait d’un côté de la pièce une énergie de personnes qui essayaient vraiment de mener ce projet à bien, et puis, à l’inverse, il y avait aussi l’énergie de celleux qui ne voulaient pas le faire, qui n’étaient pas là pour ça et qui, en gros, étaient forcés de le faire. On leur disait non seulement que c’était possible, mais qu’iels allaient le faire, et que peu importe ce qui en sortirait, il fallait juste tout laisser aller. Donc, il y avait beaucoup d’agressivité et d’imprévisibilité dans le processus d’enregistrement de ce morceau.
LVP : Mais ce stress, il reste tout le long de l’album et les chansons calmes ne sont pas sereines pour autant.
Cathal : Parfois, j’ai envie de penser qu’il y a des éléments chaotiques dans une approche contextuelle comme dans Trailing A Wing ou Love of Country. Et parfois, dans des morceaux plus lourds comme Moonshot ou Born Into The Fight, il y a une sorte de voix maniaque et ça fait partie de l’expérience un peu surréaliste du sentiment que tu es entrain de traverser, que ce soit ton identité, le patriotisme, ta foi ou autre. Toutes ces choses flottent dans l’air et parfois seulement elles se manifestent vraiment, ou bien elles restent simplement une partie de cette expérience qu’est la vie au quotidien. Je pense que c’est assez étrange de se focaliser sur quelque chose qui normalement devrait juste exister d’une certaine manière et peut-être que c’est ça qu’on essaye de traverser avec nos morceaux.
LVP : Et ces thèmes comme la foi, le patriotisme, est-ce que c’était un challenge pour vous de les aborder ?
James : Le défi était plutôt d’écrire sur nos introspections. Tout ce qui se passe à l’intérieur de ma tête, c’est le plus difficile à décoder. Je ne me sens pas vulnérable quand j’écris à propos du patriotisme ou quand je pointe du doigt les idées nationalistes. Ce qui me fait sentir vulnérable, c’est la façon dont j’interagis avec ça, comment je me positionne, parler de mes échecs, de mes amitiés : c’est vraiment ça le plus compliqué.
LVP : Dead Of A Giant et Love Of Country sont deux chansons directement liées à l’Irlande, est-ce que votre identité irlandaise a eu un rôle décisif dans le façonnement de votre son ?
James : C’est un peu comme des arbres que tu vois derrière la fenêtre, ils existent comme une partie de l’écosystème. Et notre l’identité irlandaise fait partie de notre écosystème, de notre expérience vécue, de notre manière de nous exprimer, de raconter des histoires, de notre langage. Et c’est pareil pour toutes les cultures, je pense. D’une manière ou d’une autre, on est profondément influencé·es par notre éducation, par l’environnement dans lequel on a grandi, dans quelle piscine on a été jeté·e en premier. Mais je pense que c’est la première fois que ça devient un élément central dans notre musique.
LVP : Votre dernier single The Fall est sorti il y a peu, est-ce que vous pouvez m’en dire un peu plus ?
James : Ce n’était pas un processus facile en réalité. Je pense que c’était l’un de ces morceaux qui s’est assemblé assez rapidement, mais ensuite, l’arrangement s’est révélé assez difficile. J’avais des réserves concernant l’approche lyrique, sur ce que j’essayais de dire et comment je le disais, même si l’essence y était. J’ai écrit ces paroles, après un concert à Cologne je crois.
Cathal : On voulait que ce soit honnête et qu’il y ait cette énergie assez froide. On voulait aussi pouvoir apporter cette même vibe pendant un show.
James : Il y a aussi un truc assez apocalyptique et je pense que c’est comme ça qu’elle doit être. D’une certaine manière, on lui a rendu justice mais après coup je remarque quand même quelques modifications qu’on aurait pu faire.
LVP : L’effet sur la guitare est vraiment super sur ce morceau.
Cathal : J’ai simplement utilisé un pitch.
James : Un ami à moi a dit que ça a soulagé une démangeaison dans son cerveau dont il ne savait même pas qu’il avait besoin de se débarrasser. (rires)
LVP : Quand vous composez, comment savez-vous qu’une chanson est terminée et qu’il n’y a plus rien à ajouter ?
James : Quand il n’y a plus d’argent pour l’enregistrement. (rires)
Cathal : Il faut juste prendre une décision et faire confiance à ses tripes.
LVP : Vous allez donc jouer ces chansons live pour la première fois ?
James : On avait fait quelques tests en live avant d’enregistrer l’album pour voir un peu ce que ça allait donner mais maintenant que j’y repense, certaines de ces chansons étaient encore très éloignées du résultat final. Par exemple Can’t Pretend To Know était dans un état lamentable, je ne sais pas à quoi on pensait. Mais en effet, ce sera une première pour certaines chansons comme Moonshot et Trailing A Wing et on doit encore un peu décider de ce qu’on va en faire.
LVP : Qu’espérez-vous que le public ressente en concert ?
James : Je ne sais pas parce que cela va un peu dans tous les sens… Par exemple, j’ai écouté The Fall aujourd’hui et je me suis senti revigoré. J’espère juste que cela apporte un peu d’énergie dans leurs vies.
LVP : C’est quoi la prochaine étape pour vous ?
James : On est déjà sur le quatrième album.
LVP : Oh vraiment ? Et comment ça se passe ?
Cathal : Très bien.
LVP : Est-ce que ce sera fort différent de celui-ci ?
Cathal : Qui sait ?
James : Je pense qu’il y aura une certaine continuité dans la conversation qu’on a solidifié en nous. J’ai l’impression qu’on a pu un peu descendre du train pour profiter de la vue quelques temps, donc peut-être qu’on peut prendre quelques photos avant la suite.
LVP : Merci pour cette interview, est-ce qu’il y a quelque chose que vous voulez rajouter ?
James : Free Palestine.
The Murder Capital sera en concert le 13 mai 2025 à Bruxelles (Ancienne Belgique) et le 17 mai 2025 à Paris (Le Trianon)
Ma playlist est aussi bipolaire que moi. J’aime le metal, le sang et les boyaux, tant que ça reste vegan.