| Photos : Clara Rouget pour La Vague Parallèle
Un an après la parution de l’un des plus beaux disques de ces dernières années, To Be a Cloud reste encore et toujours la bande son de notre quotidien. Il fait partie de ceux qui adoucissent les maux, ravivent les sourires et ralentissent le temps. À l’occasion de leur tournée européenne, le duo californien The Saxophones a fait un arrêt au POPUP! à l’automne dernier, l’occasion pour nous d’échanger avec elleux sur ce chef d’œuvre indétrônable.
La Vague Parallèle : On se rencontre juste avant votre concert au POPUP! à Paris. Comment vous vous sentez aujourd’hui ?
Alexi : Très bien ! C’est notre cinquième concert, on arrive de Bruxelles aujourd’hui. On fait une tournée européenne de onze dates et c’est la meilleure tournée que nous ayons faite jusqu’à présent. C’est super fun, on a eu un show sold-out à Hambourg, et celui-ci est également complet !
Alison : On a même vendu tous nos vinyles dès le premier soir !
LVP : C’est la première fois qu’on se rencontre en interview pour La Vague Parallèle. Est-ce que vous pouvez présenter The Saxophones pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas encore le groupe ?
Alexi : Bien sûr ! The Saxophones, c’est moi, Alexi, à la flûte, à la guitare, au saxophone et au chant, et puis Alison. Tu veux te présenter ?
Alison : Alison, je joue de la batterie et je fais les chœurs. Je suis sa femme et je le soutiens encore et toujours.
Alexi : Et nous avons Richard !
Richard : Oui, je suis Richard ! (rires) Je joue de la basse en live et beaucoup de claviers.
LVP : Vous êtes un groupe mais aussi un couple et vous avez fondé une famille. Est-ce parfois difficile de tout gérer ensemble ? (rires)
Alison : C’est vrai !
Alexi : On était très stressé·es avant de partir en tournée parce que ça dure seize jours. Les grands-parents s’occupent des enfants, ce qui est génial, car ils ont quatre et cinq ans. C’est difficile de partir si longtemps. C’est la plus longue période où nous sommes parti·es loin d’eux.
Alison : Je suis psychologue à temps plein, et c’est assez difficile de trouver le temps de faire de la musique après une journée complète de consultations. Mais une fois qu’on y est, c’est vraiment fun.
Alexi : Quand on préparait la tournée, on se demandait : “Mais pourquoi on fait ça ?” (rires) et maintenant qu’on y est, on y prend vraiment du plaisir !
LVP : Votre troisième album intitulé To Be a Cloud est sorti l’été dernier. Avec un peu de recul, comment avez-vous vécu cette sortie ?
Alexi : On l’a bien vécue !
Alison : Ça s’est surtout confirmé par tout ce qui se passe depuis notre arrivée en Europe. L’accueil a été très chaleureux. Les gens sont très enthousiastes après les concerts et nous disent des choses adorables, donc je pense que ça a aidé, parce que tout ça semble parfois très éloigné de notre quotidien.
Alexi : On a plus de fans ici, en Europe, qu’aux États-Unis. Parfois, on sort de la musique et on ne sait même pas combien de personnes l’apprécient jusqu’à ce qu’on arrive ici et qu’on ait un vrai retour. C’est un peu étrange.
LVP : Le titre de cet album a été inspiré par un livre écrit par un moine bouddhiste, Thich Nhat Hanh. Il illustre le fait que rien ne vit éternellement sous la même forme. J’ai l’impression que le concept du temps est omniprésent dans vos chansons.
Alexi : C’est spécifiquement à propos du manque de temps (rires). J’aime ce livre, sa perspective sur la nature en constante évolution du monde. Beaucoup de nos chansons parlent d’accepter le changement inévitable de tout et du sentiment de vouloir retenir les choses et les empêcher de changer.
LVP : De la même manière, To Be a Cloud donne l’impression de ralentir le temps ou de prendre le temps d’apprécier la vie et le monde qui nous entoure. Est-ce un sentiment que vous vivez au quotidien et que vous essayez de transmettre dans vos morceaux ?
Alexi : Je ne ressens pas souvent ce sentiment de ralentir, mais c’est agréable à entendre. J’aime faire de la musique apaisante.
Alison : C’est drôle qu’il dise ça, parce que son rythme cardiaque au repos est toujours autour de 50 bpm, alors que le mien est toujours autour de 110. Je vis de manière plutôt rapide et lui beaucoup plus lentement. Je n’y avais pas pensé avant, mais c’est comme si son écriture, la façon dont il joue de la musique, écrit la musique et les paroles essayait vraiment de ne pas laisser le rythme rapide de la vie prendre le dessus.
LVP : Aussi, les vidéos réalisées pour The Mist, Boy Crazy et Desert Flower ont toutes été filmées avec des caméras analogiques, il y a beaucoup de réverbe dans vos chansons et vos visuels sont souvent flous. Tout cela donne un sentiment d’intemporalité. Est-ce que vous vous sentez connecté·es à notre époque ou vous auriez aimé vivre à une autre ?
Alexi : Je ne sais pas si j’aurais aimé vivre à une autre époque, mais j’aime beaucoup la musique d’autres époques. J’aime la musique dont on ne peut pas vraiment dire quand elle a été faite. J’essaie donc d’incorporer des éléments différents pour rendre la mienne un peu plus intemporelle.
Alison : Tu te souviens quand on te taquinait l’autre jour ? Sur le fait que tu prends parti contre la nouvelle musique, comme s’il y avait une supériorité inhérente à la musique d’avant. Je ne suis pas d’accord avec lui, mais il le pense vraiment !
Alexi : Si j’avais vécu dans le passé, je ferais simplement la même chose que tout le monde, je ne serais pas spécial ! (rires) J’aime être ici et maintenant, mais tout de même essayer d’apporter des éléments du passé.
LVP : Votre premier album a été écrit sur un bateau pendant un hiver pluvieux et ce troisième dans la maison familiale à Inverness Bay en Californie. Pensez-vous que les lieux inspirent l’écriture ?
Alexi : La plupart du temps, j’écris la musique dans mon garage, là où la voiture est garée, ce n’est pas très inspirant (rires), mais je trouve l’inspiration en allant dans la nature.
Alison : Il y a eu différentes phases dans l’écriture, notamment celle où nous vivions chez mes parents pendant la pandémie. L’atmosphère influence beaucoup l’ambiance, pas seulement musicalement, mais c’est un endroit tellement beau et très petit, environ 400 personnes y vivent, donc c’est calme et paisible.
Alexi : Tous les clips ont été tournés là-bas aussi.
Alison : Et la pochette photographiée également !
LVP : Vous avez également tendance à voyager pour enregistrer. Cette fois-ci vous êtes allé·es à Washington dans une église catholique. Est-ce que changer de lieu est important dans ce processus ?
Alexi : J’écris toutes les chansons à la maison, mais quand on doit enregistrer, c’est très agréable de le faire dans un endroit différent pendant deux semaines et de se concentrer uniquement sur ça, sans aucune distraction.
Alison : On a pensé à économiser de l’argent en le faisant plus localement, on pourrait alors rentrer dîner avec nos enfants sans avoir à payer pour le logement. Mais l’idée de créer quelque chose de vraiment bien, tout en maîtrisant à la fois les tâches du quotidien, les corvées et la parentalité, ça nous semblait compliqué. Donc, on a donc dépensé un peu plus d’argent pour partir. Mais c’est aussi là où vivent Richard et Cameron Speach qui produit les albums.
LVP : Alexi, tu as dit un jour : “Toutes mes chansons commencent par une entrée de journal de pleine conscience”. Pourrais-tu nous en dire plus sur le flux de conscience ?
Alexi : Dans mon journal, je commence à écrire sans trop réfléchir à ce que je vais noter, puis après avoir écrit, je relis et souligne certaines choses. Ensuite, je commence à construire une chanson à partir de cela. Je commence presque toujours par les paroles.
LVP : D’ailleurs, presque toutes les chansons de To Be a Cloud portent le nom de leur première ligne.
Alexi : Vraiment ? Je me demandais, parce que je dis tout le temps en concert : “Cette chanson s’appelle The Mist” , et puis je commence par : ”The mist…” (rires) C’est un schéma ! Ça vaudrait le coup d’y réfléchir.
LVP : C’est peut-être lié à ce flux de conscience.
Alexi : Oui, parce que la première pensée est la plus importante. C’est étrange, bonne observation !
| Photo : Clara Rouget pour La Vague Parallèle
LVP : Les paroles viennent donc en premier dans tes chansons. Dirais-tu que la musique sert les paroles ?
Alexi : Oui, pour ma propre musique. Je pense que les mots sont la partie la plus importante.
LVP : Beaucoup de titres de l’album parlent de la vie quotidienne ou du rapport au temps. La beauté semble résider dans l’universalité et la simplicité de ces thèmes.
Alexi : Oui, j’aime trouver des idées simples mais les exprimer d’une manière qui les rend nouvelles aux yeux des autres. Je suis très attiré par les thèmes simples de la vie quotidienne.
LVP : Tu as commencé la musique en jouant du saxophone, mais quand as-tu commencé à te sentir devenir chanteur ?
Alexi : J’avais 21 ans, c’était à la fin de l’université, j’ai commencé à apprendre à jouer de la guitare. J’ai toujours aimé les paroles et la qualité émotionnelle des chansons. C’est plus intéressant pour moi que la structure d’un morceau ou les instruments. Mais je ne pense pas qu’à l’époque, j’avais réalisé que c’était ce qui m’intéressait. J’ai donc étudié la musique, mais j’aurais tout aussi bien pu étudier l’anglais ou quelque chose comme ça. Je voyais la musique comme un langage, et c’était en fait la partie qui m’intéressait le plus. Avec la guitare, je pouvais me concentrer sur l’écriture des paroles, sur ce sentiment simple et direct.
LVP : Avais-tu déjà cette voix et cette manière de chanter lorsque tu as commencé ?
Alexi : Pas vraiment, j’étais un chanteur très timide. Mon père chante avec une voix très forte, comme un acteur de théâtre. Je n’ai jamais vraiment essayé de faire ça et je n’avais pas autant de capacités naturelles. Je n’ai donc pas vraiment tenté avant mes 21 ans et mon style de chant était assez différent, je pense.
LVP : On trouve de plus en plus des influences un peu crooner dans ta voix.
Alexi : Oui, ces derniers temps, j’ai donné de plus en plus là-dedans, c’est vrai. D’une certaine manière, je reviens peut-être vers ce genre de choses, un style presque classique comme celui de mon père, parce qu’avant j’étais trop timide à l’idée d’embrasser vraiment ma voix. Sur cet album, j’ai chanté dans un registre beaucoup plus grave sur certaines chansons et c’était amusant d’expérimenter avec la voix.
LVP : Tu as dit que tu t’étais éloigné de ton premier instrument, le saxophone, à tel point que tu avais nommé le groupe de manière ironique. Mais cet album donne l’impression d’avoir plus de saxophone qu’avant, comme si tu y revenais.
Alexi : Oui, on explique sur scène que c’est la première tournée où je joue du saxophone. Mais Alison me demande de le faire depuis dix ans. Quand j’ai commencé le groupe, je voulais que ce soit à propos des paroles. Donc, l’écriture était mon principal objectif et je pensais que le saxophone serait comme une distraction.
Alison : Pas l’instrument en lui-même, mais tu pensais que ça détournerait de ce que tu essayais de dire avec le groupe.
Alexi : Oui, ce n’était pas le but. La musique est au service des paroles. Mais maintenant, je trouve un bon équilibre où je peux utiliser le saxophone au service des chansons et c’est plutôt fun finalement.
Alison : On est tombé·es amoureux·se dans un camp de musique pour musicien·nes de jazz où il jouait du saxophone. Mes yeux s’écarquillaient quand je l’entendais jouer. Puis, il a commencé à jouer de moins en moins et a dit : “Je vais monter ce groupe, tu devrais en faire partie, mais il n’y aura plus de saxophone”. Je regrettais un peu, je pensais que ça sonnerait si bien avec et c’est le cas aujourd’hui. Je pense que ça apporte un autre élément qui fait partie intégrante de son parcours musical. Son histoire musicale est enracinée dans tout ça. C’est une bonne chose que ça soit de retour.
LVP : Vous allez jouer en live dans quelques heures. Faire des concerts, c’est un aspect de faire de la musique qui vous parle particulièrement ?
Alexi : Pour cette tournée, oui, c’est vraiment fun quand les gens viennent voir nos concerts ! Je suis plus déçu si le public n’est pas au rendez-vous, parce que c’est beaucoup de préparation et c’est parfois décourageant. Mais cette tournée est géniale et nous sommes très heureux·se de jouer ici.
Alison : Je suis vraiment nerveuse avant un concert, mais ensuite, une fois sur scène et surtout après, je me sens tellement bien. C’est pour ça que je continue de le faire. Ça aurait été beaucoup plus simple, une fois que j’ai eu des enfants, de dire : “Désolée, je vais trouver quelqu’un·e d’autre pour faire ça avec toi”. Mais je ne voulais pas laisser tomber parce qu’à chaque fois qu’on joue en live, je ressens ce sentiment incroyable de connexion avec le groupe. C’est une grande aventure pour nous trois. J’aime aussi enregistrer, c’est super, mais le live a quelque chose d’excitant, même si je suis tellement anxieuse avant. C’est beaucoup plus.
LVP : Ça se transmet par le public aussi.
Alison : Oui, et iels ont été super durant cette tournée. Les gens sont adorables.
LVP : Est-ce que vous ressentez des différences entre les publics d’un pays à l’autre ? Vous avez besoin de vous adapter ?
Alexi : En Europe, les gens sont beaucoup plus silencieux·ses et plus respectueux·ses qu’aux États-Unis. Là-bas, beaucoup de gens parlent pendant les concerts. Quand on joue dans un endroit avec un bar, les gens sont très bruyant·es.
Alison : C’est aussi intéressant de remarquer les changements démographiques d’un pays à l’autre : plus de jeunes à un endroit, plus de personnes âgées dans un autre. Ce qui nous a tous·tes étonné·es, c’est qu’aux États-Unis, on n’a pas l’impression que beaucoup de gens de plus de cinquante ans écoutent des groupes indépendants comme le nôtre. Alors qu’en Europe, il y a tellement de gens dans de nombreux pays différents qui continuent d’apprécier de nouvelles musiques en vieillissant. Aux États-Unis, on a l’impression que les gens se disent : “J’écoute Stevie Wonder et c’est tout”.
LVP : Justement, une étude a montré qu’après 27 ans, on a tendance à arrêter de découvrir de nouveaux groupes.
Alison : Alors l’Europe ne prouve pas cela, mais les États-Unis oui ! (rires)
LVP : Une dernière question, pouvez-vous penser à un artiste ou une chanson que vous écoutiez en boucle en écrivant To Be a Cloud ?
Alexi : J’écoutais beaucoup Jazz Police de Leonard Cohen dans l’album I’m Your Man. C’est une chanson étrange et merveilleuse. Elle a eu une influence plus directe sur ma musique que les autres albums de Cohen.
En perpétuelle recherche d’épaules solides sur lesquelles me hisser pour apercevoir la scène, je passe mes concerts à faire les chœurs depuis la foule.