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Dans cette époque décidément bien incertaine, qu’on se rassure : certains repères restent immuables. C’est bien sûr le cas de la Fête de l’Humanité, l’un de nos événements préférés, qui reviendra les 15, 16 et 17 septembre prochains pour une 89ème édition. Pour l’occasion, on a rencontré Thibaut Weiss, le directeur de la Fête, pour lui poser toutes nos questions sur l’organisation de cet événement hors du commun, sur sa dimension politique et sa programmation pléthorique.
La Vague Parallèle : Hello Thibaut ! On se retrouve à quelques semaines de la nouvelle édition de la Fête de l’Humanité. Comment avancent les préparatifs ?
Thibaut Weiss : On est sur le pont, ça avance bien. On a pris pas mal de retard avec la situation politique qui nous a beaucoup impacté·es sur des mois qui sont charnière dans l’organisation de la Fête. Il faut donc qu’on cravache pour rattraper le retard. Mais en tout cas, ça s’annonce bien !
LVP : La Fête de l’Humanité, c’est l’une des plus grandes fêtes populaires d’Europe, qui a rassemblé près de 430 000 personnes l’année dernière. Est-ce que tu peux nous parler des coulisses de la préparation d’un tel événement ?
TW : On a une organisation complexe, mais ce qu’il faut saisir, c’est que la Fête de l’Humanité, c’est avant tout la fête du journal L’Humanité. Au sein du journal, il y a un service de cinq personnes qui est exclusivement dédié à l’organisation de l’événement, mais toute l’équipe du journal est mobilisée à l’année sur la conception, la valorisation, la réflexion, la promotion de la Fête. La rédaction, elle, va avoir à charge de construire la programmation des espaces de débats et de travailler sur plusieurs publications autour de la Fête. Il y a des périodes plus ou moins intenses pour chacune de ces parties prenantes, mais elles sont toutes mobilisées à l’année sur ces différentes missions et ça représente environ une centaine de salarié·es. On se renforce généralement six mois avant la tenue de l’événement : il y a d’autres équipier·ères qui nous rejoignent de manière temporaire jusqu’au montage de la Fête.
Il y a beaucoup de prestataires qui nous accompagnent sur des sujets techniques et logistiques, ça représente environ 3000 personnes. Et puis, il y a également toutes les organisations partenaires : partis politiques, associations, syndicats… Tous·tes les acteurs·ices de la Fête nous aident sur un sujet, en tenant un stand, en gérant une scène… Toutes ces organisations ramènent leurs propres bénévoles et les gèrent elles-mêmes, ça représente environ 15 000 personnes. Donc si tu additionnes tout ça, ce ne sont pas non plus les Jeux Olympiques mais ça représente effectivement un certain nombre de personnes mobilisées !
LVP : Avec le recul, quel bilan est-ce que vous aviez tiré de l’édition 2023 de l’événement ?
TW : C’était la deuxième édition sur ce nouveau site du Plessis-Pâté et elle a été très positive sur beaucoup d’aspects. La première année, on avait beaucoup d’interrogations sur la faisabilité technique de notre événement, sur l’accessibilité du site… Il fallait tout réinventer, tout réimplanter, ça avait été un gros défi technique et au-delà de ça, on avait peur de perdre l’atmosphère de la Fête de l’Humanité en changeant de site. Mais dès la première année, on a vu que malgré tout ça, l’âme politique, militante, solidaire, conviviale de la Fête avait perduré et qu’on avait bel et bien retrouvé cette ambiance si particulière. Malgré ça, il fallait tout de même corriger certaines choses techniquement.
L’année dernière, on a donc revu toute notre implantation, une partie de notre plan de transports, une partie de la gestion des parkings, pour apporter des améliorations à ces aspects techniques. Ça s’est beaucoup ressenti sur le terrain et tous les retours qu’on a eus allaient en ce sens. On a aussi constaté une augmentation de la fréquentation de 10% par rapport à l’année précédente, ce qui est un vrai point positif. On a réussi, encore une fois, à faire la programmation la plus large, variée, éclectique possible. C’est un gage de réussite pour nous, parce que c’est vraiment un défi de pouvoir parler à autant de gens, à autant de personnes différentes. C’est ce qui nous permet d’aller chercher beaucoup de publics différents pour ensuite leur faire découvrir d’autres choses. Enfin, sur le plan politique, l’année dernière, on a une nouvelle fois réussi à rassembler tous les partis de gauche sur la Fête de l’Humanité, ce qui n’est pas une mince affaire. Et même au-delà des partis, les syndicats et les organisations associatives ont répondu présentes – et elles sont de plus en plus nombreuses à vouloir nous rejoindre.
On sent vraiment que la Fête est en train de s’ancrer sur son nouveau site et sur son nouveau territoire. La greffe a bien pris et je pense qu’elle va continuer à bien prendre sur les prochaines années.
LVP : Malgré le défi technique que représente l’organisation d’un tel événement, vous avez à cœur de le rendre le plus inclusif possible, notamment en ce qui concerne l’accueil des personnes en situation de handicap. Est-ce que tu peux nous parler de la démarche que vous menez en ce sens ?
TW : C’est un vrai travail de fond qu’on a mené avec l’arrivée sur ce nouveau site, et qui va nous prendre quelques années. On s’est fait accompagner par des professionnel·les pour faire un audit et réfléchir ensemble à toutes les choses qu’on pouvait mettre en place au fil des éditions pour nous améliorer sur la prise en compte de ces thématiques. On a d’abord commencé par former les équipes sur les questions d’accessibilité pour les personnes en situation de handicap, parce qu’il ne s’agit pas de juste mettre des navettes ou d’avoir des toilettes adaptées. C’est un travail minutieux, qu’il faut réfléchir et penser à chaque étape de l’organisation pour parvenir à l’événement le plus accessible et le plus inclusif possible. On a revu les typologies de la signalétique, on a produit un guide FALC (FAcile à Lire et à Comprendre, NDLR), on a revu comment on communiquait autour de ces sujets, on a ajouté des parkings dédiés aux Personnes à Mobilité Réduite (PMR), on a mis en place une brigade avec des bénévoles qui tournaient pendant les trois jours pour accueillir les personnes en situation de handicap…
On continue à s’améliorer cette année, avec une navette spécifique qui rentrera directement dans la Fête depuis le RER C pour réduire le temps de déplacement à pied. On a aussi amélioré les plateformes dédiées aux PMR et aux personnes en situation de handicap à proximité des espaces scéniques, et la grosse innovation de cette année en la matière, c’est que nous avons mis en place des voies carrossables PMR sur tout le site. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, une personne qui aurait du mal à se déplacer pourra le faire bien plus sereinement et accéder à tous les espaces du site.
On a un plan sur cinq ans et on va voir comment chaque année, on peut aller plus loin sur ces questions-là. C’est aussi une question d’éveil des consciences et c’est un vrai sujet politique, à part entière.
LVP : Justement, on se trouve dans une période de crispation politique intense, marquée par de nombreuses luttes. Est-ce que dans ce contexte, le rôle de la Fête de l’Humanité est de leur donner de l’écho ? Est-ce que c’est aussi de donner les outils pour militer ? Un peu de tout ça ?
TW : En tout cas, l’objectif qu’on donne à la Fête quand on l’organise, c’est bien celui-là. Le rôle qu’on veut lui donner, c’est avant tout de rassembler. On veut que ce soit un événement populaire, ouvert à toutes et tous, peu importe les points de vue ou les divergences, tant qu’on se retrouve sur des valeurs qui sont des valeurs de paix, de justice sociale ou de justice environnementale. Tout ce peuple-là, qui aspire à des valeurs progressistes et qui aspire à transformer notre société vers une société plus juste, nous voulons les inviter à la Fête.
Le deuxième rôle de la Fête, c’est de mettre en place les conditions nécessaires pour accueillir un débat d’idées ouvert et contradictoire pour essayer de définir des alternatives ensemble, par l’intelligence collective et par la discussion. L’idée, c’est de faire émerger des propositions, des convergences nouvelles…
Enfin, on a à cœur de proposer un cadre humain, festif, de sortir de cette atmosphère morose qui nous pousse à nous dire qu’on n’y arrivera jamais, que la politique, ce n’est pas fait pour les gens… Nous, au contraire, on pense que la politique appartient à tout le monde et qu’à la Fête de l’Humanité, vous pouvez venir en faire dans cette ambiance et en profiter pour découvrir par la même occasion des propositions culturelles, gastronomiques… On essaye de créer une bulle de trois jours où les gens sont heureux de se retrouver et passent généralement un très bon moment parce que l’humain y prend le dessus sur tout le reste.
On espère humblement, à notre niveau, contribuer à une bataille culturelle et idéologique : on cherche à montrer un exemple, à montrer que c’est possible de créer les conditions du vivre-ensemble, qu’on peut débuter ici des choses qui vont perdurer ensuite dans d’autres espaces. Voilà ce qu’on essaye de faire. C’est difficile de changer le monde en trois jours, mais je crois que c’est important d’avoir ces espaces de rassemblement, de discussions, de partage, surtout dans une société qui est aussi divisée.
LVP : En pleine préparation de cette édition 2024, vous avez aussi pris le temps de contribuer à l’organisation de deux grands événements de rassemblement pour appeler à se mobiliser pour la démocratie et contre la menace de l’extrême-droite. J’imagine que ça a été un vrai défi pour vous dans une période aussi chargée, est-ce que tu peux nous expliquer comment s’est organisée cette initiative ?
TW : Suite à l’annonce de la dissolution de l’Assemblée Nationale par le président de la République, aux résultats des élections européennes et à la menace d’un potentiel gouvernement d’extrême-droite, une grande mobilisation s’est formée dans le pays, et elle a largement dépassé le cadre des partis politiques. C’est à ce moment qu’a été lancé un appel des médias indépendants à l’initiative de plusieurs médias dont L’Humanité, Politis, Médiapart ou encore StreetPress, pour faire barrage à l’extrême-droite. Ces médias ont ensuite voulu donner un écho un peu plus fort à cette démarche, avec la volonté de reprendre la rue, de se réapproprier l’espace public et de sortir pour aller toucher d’autres gens qui ne font pas partie de leur lectorat. C’est comme ça qu’a émergé l’idée d’en faire un événement et d’élargir cet appel à toute la société civile, pour être complémentaire de la dynamique politique qui a abouti à la création du Nouveau Front Populaire. L’idée, c’était de véhiculer les mêmes valeurs et le même message : jamais l’extrême-droite au pouvoir.
On avait très peu de temps puisqu’on était à quelques jours du premier tour des élections législatives, et chacun·e a décidé de mettre ses forces et ses ressources à disposition de cet événement. On l’a monté en une semaine sans savoir l’écho qu’il pourrait trouver et finalement, on est parvenu·es à réunir près de 30 000 personnes sur la place de la République et un peu plus de 100 000 personnes qui nous ont suivi sur les différents réseaux et streams. On s’est rendu compte en faisant ce premier événement qu’on n’était pas seul·es à vouloir lutter, qu’il y avait une vraie attente, un besoin même, et on s’est donc dit qu’on n’allait pas en rester là. C’est comme ça qu’on a construit un deuxième événement, avec la force collective de toutes les parties prenantes impliquées. Ça a été un vrai moment de résistance et pour tout te dire, ce collectif souhaite continuer à faire des choses ensemble, à mener des actions, pour que ces deux coups d’éclat ne restent pas lettres mortes. Il y a une vraie bataille idéologique et culturelle à mener et ce collectif en sera partie prenante. Il a aussi donné lieu à un nouvel espace sur la Fête de l’Humanité, le Village des Médias Indépendants, qui réunira toustes ces partenaires qui ont œuvré à nos côtés.
LVP : Justement, est-ce que tu peux nous présenter les nouveautés et les temps forts de cette édition 2024 ?
TW : Sur les nouveautés, la première chose à dire, c’est qu’on a à cœur de continuer à améliorer l’expérience du public sur site. Ce n’est que la troisième édition sur ce nouveau lieu donc on a encore du chemin à faire pour optimiser au maximum les choses et faire en sorte que ce soit la meilleure expérience possible sur un certain nombre d’aspects pratiques et logistiques.
En ce qui concerne les contenus culturels, on ne remet pas la formule en question : on continue à avoir une programmation très éclectique, qui peut parler au plus grand nombre, et on passe donc de La Rumeur à Johnny Montreuil et Pomme en passant par SCH ou Angélique Kidjo. Comme je te le disais, on aura donc cette année un nouvel espace : le Village des Médias Indépendants. L’année dernière, on avait inauguré un espace Sciences et numérique. On réintroduit aussi un Village du Sport, qui a existé très longtemps sur la Fête mais qu’on n’avait pas pu maintenir avec le déménagement.
Pour ce qui de la programmation politique, c’est plus difficile d’en parler aujourd’hui parce que le contexte politique nous a fait prendre beaucoup de retard et aujourd’hui encore, c’est compliqué de savoir ce qui se passera à la rentrée. On est suspendu à la nomination d’un·e Premier·e Ministre, d’un gouvernement… Les choses peuvent évoluer en fonction de ce qui va se passer. Mais quoi qu’il arrive, ce sera la Fête de la paix, la Fête de la justice sociale et environnementale, la Fête du féminisme, donc toutes ces thématiques seront bien présentes parce qu’elles sont essentielles pour nous.
LVP : Pour finir, comment est-ce que tu présenterais la Fête de l’Huma à une personne qui n’est jamais venue ?
TW : Bonne question, je l’ai fait plein de fois, mais jamais de la même manière (rires) !
Je crois que je lui dirais : peu importe ce que tu imagines de la Fête et ce que tu viens y chercher, tu y trouveras tout autre chose. Tu te perdras dans la Fête, tu feras des tas de découvertes, tu rencontreras plein de gens, et tu ne sortiras pas indemne de cette expérience. Tu en sortiras grandi·e, avec plein de nouvelles idées, et tu n’auras qu’une envie : celle de revenir tous les ans une fois que tu auras mis le pied dedans !
Pratiquant assidu du headbang nonchalant en milieu festif. Je dégaine mon stylo entre deux mouvements de tête.