Quoi de mieux qu’une présentation de son film Off The Record au Reset à Bruxelles pour rencontrer Laurent Garnier, quelqu’un que l’on connaît sans vraiment connaître.
Ce n’est pas tous les jours qu’on rencontre l’icône de tout un mouvement, le père fondateur d’une mouvance, l’un des pionniers du chic, du glam et du trash à la fois. Rencontrer Laurent Garnier, c’est un peu comme boire un coup avec Zinedine Zidane pour les footeux·ses, faire une rando avec Karl Marx pour les communistes, jouer au scrabble avec Mère Thérésa pour les croyant·es, gratter une clope à Federico Fellini pour les cinéphiles ou encore faire un rendez-vous solarium avec Arnold Schwarzenegger pour les fans de gonflette. Bon, je vous l’accorde, toutes les comparaisons ne sont pas bonnes à prendre, mais depuis la perspective d’un·e fan, ce qui compte, c’est ce qu’incarne la quasi-divinité qui se dresse devant elleux. J’aimerais parler de ce moment qui suit le premier regard que l’on porte sur ce type de personne.
Ce rapide coup d’œil quand on réalise qui est en face de nous, ce saut dans le temps en une fraction de seconde qui nous fait réaliser le monument vivant qui se dresse devant soi, comme le commun des mortel·les. Quelqu’un qui en a sous le capot, quelqu’un qui a vu se développer tout un genre, tout un style, toute une nouvelle musique. Quelqu’un qui sait, quelqu’un qui a traversé les époques et qui a toujours su être à la pointe, à l’avant-garde des choses, qui a su faire des choses qui mettront des décennies à être comprises, imitées, jamais égalées. Ce moment de lucidité peut en déconcerter plus d’un·e mais ça reste une chance, un privilège de le vivre ce moment. C’est pourquoi aujourd’hui je vais vous raconter le mien, de moment.
La vie est parfois faite de belles coïncidences. Quand j’ai commencé à écrire pour La Vague Parallèle, je l’ai fait pour reprendre goût à la rédaction musicale, au récit de belles sonorités que j’entendais par-ci par-là, à cet amour de la musique que l’on veut partager, diffuser, enjoliver. J’étais loin d’imaginer que j’allais rencontrer Laurent Garnier, l’un des artisans de cette passion, l’une des personnes qui m’a le plus inspiré musicalement et humainement.
Avec Laurent (oui je me permets de l’appeler par son prénom, même si on ne se connaît pas, j’ai l’impression qu’il m’a accompagné assez longtemps pour se permettre de laisser tomber les formalités), ça fait un bail qu’on se suit, ou plutôt que je le suis. Que ce soit ses Boiler Room aux quatre coins du monde, des lives ou des dj sets dans tel ou tel festival ou encore à travers ses émissions radio sur Radio Meuh, It Is What It Is, j’ai toujours senti que c’était une valeur sûre de voir son nom quelque part.
Tout est parti d’une simple notification sur Messenger. On nous proposait de couvrir l’événement du Reset pour la promo du film sur sa vie en partenariat avec Les Nuits Sonores. Une bouteille à la mer que tout le monde voulait capter mais que personne ne pouvait caler dans son emploi du temps. Habitué à courir à droite à gauche pour le boulot, les passions et les hobbies, j’allais forcément avoir un truc de prévu qui m’empêcherait d’y assister. Mais finalement non. Du coup, j’ai saisi l’occasion.
C’est impressionnant, le bâtiment dans lequel Arty Farty (qui organise notamment Les Nuits Sonores) s’est implanté est assez mythique à Bruxelles. Logé vers Congrès dans ces anciens bureaux dont personne ne connaissait vraiment ni l’existence ni la fonction, avec cet immense poster des forces de l’ordre faussement souriants qui surplombe les trois quarts du building, tout est réuni pour se perdre ou en tout cas ne pas savoir à quoi s’attendre.
Dedans, une architecture brute, tout est resté figé comme à l’époque où les fonctionnaires, cols blancs, employé·es de bureau faisaient des va-et-vient pour régler leurs affaires. Ah que ça fait du bien de voir la nature reprendre ses droits. Pardon, j’ai dit nature ? Je voulais dire culture. Quand j’arrive, je remarque que quelqu’un me précède, je me retourne : LAURENT GARNIER. Incroyable, déjà que cette soirée s’annonçait épique, elle devient de plus en plus scriptée comme si j’avais la possibilité de contrôler ce rêve éveillé. Traînant une timidité furtive depuis ma tendre enfance, je laisse ce monument passer sans rien dire, bouche bée. Je dois faire retomber cette pression car l’excitation risque de me gâcher le moment. Et quoi de mieux qu’une pression pour attendre qu’elle redescende.
Arrivée l’heure de la séance, tout le monde se range dans cet auditorium mi-moderne mi-en ruine pour assister à Laurent Garnier Off The Record et célébrer enfin l’icône. Le film s’ouvre sur Laurent à la campagne, en Provence, chez lui, sûrement. On y rencontre un personnage familier, comme un oncle ou un ami de la famille qui ouvre les portes de son domaine, la musique électronique.
Sans vouloir vous spoiler l’intégralité du film, le docu retrace l’évolution de Laurent Garnier de ses premiers gigs à Manchester à l’Hacienda aux concerts électroniques-classiques à la mythique Salle Pleyel en passant par le Sónar et ses scènes à plus de 10.000 personnes. Ce projet est l’œuvre de Gabin Rivoire, un réalisateur qui n’y connaissait rien en musique électronique qui finit par suivre l’un des plus grands de ce monde en matière de house et de techno. Les deux compères se sont rencontrés au festival de Laurent, le festival Yeah à Lourmarin, chez lui. L’un des avantages au moment de faire un film sur Laurent avec Laurent, c’est qu’il a un carnet d’adresses qui pourrait s’apparenter aux meilleures line-up des meilleurs festivals de musique des dix dernières années. Du coup, il est tout à fait normal de retrouver des passages à Barcelone avec les organisateur·ices du Sónar ou The Blessed Madonna, à Détroit avec Derrick May ou Kenny Larkin, à Berlin avec Richie Hawtin et Sven Väth ou à Paris avec Manu Le Malin et Mr.Oizo. Du beau monde.
Tout ce beau monde raconte à la fois l’importance de Laurent Garnier pour la scène mais également l’évolution de cette musique à travers l’histoire. Tout amateur de culture, d’histoire, de musique saura se retrouver dans ce récit sans forcément avoir les codes de tel ou tel genre. On retrouve un peu des années 1980, beaucoup des années 1990, pas mal des années 2000 et plusieurs perspectives pour les années 2010-2020. Mais ce qui m’a le plus intéressé et séduit, c’est cette justesse au moment de valoriser la musique électronique comme vecteur de mouvements de jeunesse, de revendications sociales et culturelles, de moteur d’une nouvelle génération. Comparant souvent l’éclosion de cette musique au milieu des différentes crises politiques qu’a connu le monde, on y voit la contre-culture rave pendant les années Thatcher, les premières Love Parade / Techno Parade lors de la libération européenne au moment de la chute du mur de Berlin, les hauts et les bas économiques de la Motor City (Détroit) musicalement illustrés par Underground Resistance ou encore plus récemment les manifestations de la jeunesse géorgienne contre le pouvoir au moment des raids contre le club Bassiani. Tant d’événements qui font de cette musique une musique de contestation, une musique de contre-culture, une musique qui bouscule les codes et qui vient foutre un coup de pied au cul des tradi et autres frigides du pouvoir.
En parlant de pouvoir, tout n’est pas foutu de ce côté non plus car le retour des grandes parades techno dans les villes d’Europe, l’adoubement de ce style dans une sphère plus mainstream ainsi que l’acceptation étatique de cette mouvance par les pouvoirs publiques témoignent d’une réelle volonté de démocratisation et surtout de reconnaissance avec entre autres les belles paroles de l’ancien ministre français de la culture, Jack Lang, qui remet en 2017 la Légion d’Honneur à Laurent Garnier.
Musicalement, le film est également très fort. On y retrouve dans les années 1990 tous les styles que Laurent a pu maîtriser au fil du temps. La transformation d’une house disco style Donna Summer à une house plus acide comme DJ Pierre marquera à tout jamais la patte Garnier, ce qui fera de lui un grand monsieur, un poète de la musique électronique qui a su surfer sur les styles et les faire vibrer sur les plus grandes scènes. Très proche d’Ed Bangers Records, sa musique électronique vogue dans les années 2000 aux rythmes de la french electro auprès des plus grands producteurs français comme Busy P (Pedro Winter), Quentin Dupieux (Mr.Oizo) ou encore Thomas Bangalter (Daft Punk). Tous ont quelque chose de Laurent Garnier en eux et Laurent Garnier à quelque chose d’eux en lui.
Aujourd’hui, Laurent Garnier reste l’un des dieux vivants de cette culture, j’ai eu une immense chance d’échanger avec lui sur quelques questions auxquelles seul lui pouvait répondre, c’était merveilleux. Pour ça et pour toute ton œuvre, monsieur Garnier, Laurent, un immense merci.
Bercé par une diversité musicale éclectique, Matéo est aujourd’hui spécialisé en électro, vous risquez de le croiser sur le dancefloor à débattre sur des questions politiques ou de société tout en dansant plein de sueur sur un BPM dépassant les 160.