Tom Rosenthal : “Je ne crois pas au concept de perfection”
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Auteur·ice : Joseph Lanfranchi
04/03/2020

Tom Rosenthal : “Je ne crois pas au concept de perfection”

Tom Rosenthal s’est taillé une place unique sur la scène folk anglaise et fédère une communauté acquise à sa cause qu’il entretient au rythme effréné de nouvelles sorties et à travers un univers unique, aussi poétique que réel. Le musicien projette nos cœurs sur les montagnes russes et nos yeux au bord de l’océan, grâce à des morceaux touchants, mélodieux et implacablement humains. Sans emphase et avec naturel, ses chansons remuent nos sensations et entrechoquent nos émotions.

Rencontre avec le génie créatif qui se cache derrière l’homme ordinaire, ou l’inverse ?

La Vague Parallèle : En écoutant ta chanson et en regardant tes clips et vidéos, on peut avoir l’impression que la musique te vient facilement et naturellement, sans effort. Qu’elle sort de toi en flux constant.

Tom Rosenthal : C’est naturel oui mais c’est dur de dire d’où cela vient quand ça fait si longtemps que tu le fais. Tu as préparé pendant de longues années le sol, les fondements, le terreau pour que tout pousse facilement. Je joue du piano depuis que j’ai 14 ans et mes doigts appuient sur les notes sans que je n’aie à réfléchir. J’ai la chance de n’avoir jamais connu le manque d’inspiration, le vide créatif, mais je ne peux pas être sûr que cela ne m’arrivera pas.

Je pense que si tu joues et chantes beaucoup, que tu y passes beaucoup de temps, cela aide à avoir ce flow créatif et continu par la suite.

LVP : Donc tu arrives avec une idée en tête, tu joues et tu composes ?

Tom : Oui, les chansons ont des origines diverses, parfois elles tombent du ciel, parfois il faut travailler davantage, parfois quelqu’un te donne une idée, parfois c’est un seul mot ou une conversation. Cela peut vraiment venir de n’importe où.

LVP : L’inspiration vient principalement de ton expérience personnelle, néanmoins ?

Tom : Pas nécessairement, je pense qu’il est plus facile d’utiliser des personnes ou des personnages pour prétendre ressentir telle ou telle émotion. C’est ce que je fais dans mes chansons, ce n’est pas toujours moi, parfois c’est très personnel et parfois c’est une variation à partir de ce que je connais ou de ce que je suis.

LVP : Lorsque je parle de toi avec mes amis, l’idée que ta vie a l’air vraiment cool, et que tu es en quelque sorte un super papa, revient assez souvent.

Tom : (rires) Ils pensent que ma vie est charmante ? C’est vrai qu’elle l’est. Je mentirais si je disais le contraire. Je passe beaucoup de temps avec mes enfants, à m’occuper d’eux et c’est quelque chose que j’apprécie infiniment. Je pense que cela aide, d’avoir cet équilibre, et je ne me vois pas écrire des chansons à longueur de journée. C’est une activité que j’apprécie mais d’une façon limitée. J’aime avoir mes soirées au calme. Si j’ai envie de composer, je vais le faire le matin et puis arrêter et faire autre chose qui me plaît et me détend l’après-midi. Donc oui, on peut dire que tes amis ont raison (rires).

LVP : C’est assez rare qu’un musicien parle autant de ses enfants et de sa famille dans ses compositions. De son couple à la rigueur, mais les enfants sont moins souvent inclus. Comment arrives-tu à maintenir l’équilibre entre ta famille et être un musicien professionnel ?

Tom : Je passe beaucoup de temps avec eux et ils représentent une part très importante de ma vie sans aucun doute. C’est donc normal qu’ils se frayent un chemin d’une façon ou d’une autre dans ma musique.

Je suis très heureux d’utiliser mes enfants comme source d’inspiration et de les faire participer à tout cela, directement ou non, du moment que cela reste limité et contrôlé.

Cela peut parfois être un peu fou et hors de contrôle, comme avec la chanson sur les dinosaures de ma fille Fenn, avec laquelle nous avons atteint un nouveau niveau de folie et d’emballement. Mais en général j’aime beaucoup qu’ils aient un rôle ou une influence même lointaine, et je pense qu’eux aussi.

LVP : Ta musique est assez fortement centrée sur les émotions et tu as déjà dit que tu venais jouer en live et rencontrer ton public pour voir si tu pouvais avoir ce lien émotionnel en live. Vois-tu la musique comme un moyen de créer une passerelle vers les autres et leurs sentiments ?

Tom : Je ne sais pas, je ne sais pourquoi les gens écrivent des chansons en fait, ni moi ni les autres. La première chose à dire est que le sentiment de créer quelque chose est vraiment incroyable. Mais ça, c’est pareil pour tout le monde. Il en est de même pour mes chansons que pour cette interview que nous faisons et qui sortira bientôt.

LVP : Mais toute création n’est pas partageable, du moins aussi facilement que la musique ?

Tom : En effet, mais une fois que l’acte de la création est réalisé et le partage fait, j’ai le sentiment que cette création te quitte, devient quelque chose d’autre et ne t’appartient plus. C’est agréable de voir que les gens sont touchés par une de mes compositions et ressentent la même chose, mais rien n’est aussi agréable que le sentiment de l’acte créatif. La suite du processus est agréable mais ce n’est plus la même chose et je ne suis pas sûr d’écrire des chansons pour les partager ni pour que les gens ressentent des émotions en les écoutant. Je le fais juste parce que c’est fun. Tout ce qui s’ensuit est du bonus, si les gens sont touchés et partagent mes sentiments, très bien, sinon cela n’a pas d’importance. S’ils pleurent, très bien ; s’ils rient, très bien. Je ne peux pas contrôler cela, je ne peux pas écrire en pensant que des gens vont pleurer sur telle chanson ou ressentir une sensation particulière. Tout ce que je peux faire c’est composer une chanson qui après n’est plus à moi, disparaît et vit sa propre vie.

LVP : C’est pour cela que tu composes autant ?

Tom : Oui, et je devrais sans doute le faire un peu moins (rires). Je n’aime pas me reposer sur mes lauriers et rester à contempler ce que j’ai fait. J’aime écrire une chanson, la jouer, l’enregistrer et passer à autre chose, commencer quelque chose de nouveau. Beaucoup de musiciens essayent d’arriver à un résultat où tout est parfait, et y passent un temps incroyable. Ils peuvent passer une année entière à arranger cinq chansons en ajoutant çà et là des effets, des instruments, une trompette ici et un nouvel arrangement là. Beaucoup de choses non nécessaires, en fait. J’aime l’imperfection et je ne crois pas au concept de perfection. À partir du moment où cela me paraît bien et sonne juste à mon oreille, pourquoi ne pas sortir le titre ?

LVP : Peut-être est-ce une raison qui te rapproche de ton public, cet aspect imparfait, comme chacun de nous ? Le fait que la technicité ne soit pas poussée à l’extrême, on s’identifie plus facilement.

Tom : Exactement ! La technique n’est pas importante, en fin de compte. La chanson enregistrée avec ma fille sur les dinosaures en est un bon exemple. Fenn tenait le micro et jouait avec alors qu’elle chantait et sur la fin de la chanson alors qu’elle chante “didn’t say goodbye”, elle donne un grand coup dans le micro, qui s’entend très bien, et pourtant personne ne l’a même juste évoqué.

LVP : Personne n’y fait attention.

Tom : Tout le monde s’en fiche, oui, c’est exactement ça. Certains musiciens pensent que les gens et leur audience font très attention à tous ces petits détails en arrière-plan alors que non, c’est l’impression globale qui intéresse les gens. C’est pour cela qu’il vaut mieux ne pas trop s’en faire et sortir des chansons imparfaites quand on en a envie.

LVP : Une imperfection qu’on retrouve dans tes clips, où la plupart des acteurs ne sont pas des comédiens professionnels.

Tom : Je n’aime pas faire appel à des acteurs, même si c’est parfois indispensable. C’est important pour moi que des gens comme toi et moi apparaissent dans mes clips. Ils n’ont pas forcément le physique d’une star de cinéma, mais ils sont intéressés pour participer à mon projet et c’est l’essentiel. J’aime la variété de personnages dans mes vidéos et j’aime interagir avec la communauté qui écoute mes chansons, c’est ce que je peux faire dans mes clips où nous travaillons tous ensemble et c’est très agréable. J’ai toujours fonctionné ainsi et cela rejoint l’idée que mes chansons sont naturelles pour moi, que rien ne doit être forcé. L’étape suivante est donc d’utiliser des personnes ordinaires dans les vidéos qui les accompagnent. Même si parfois les acteurs et leurs talents sont indispensables, alors je m’y plie (rires).

LVP :  Prends-tu part à la conception/création et production de tous ces clips ?

Tom : Mon apport est très différent suivant les chansons. Mon approche consiste à faire confiance aux gens et donc aux réalisateurs que je choisis pour les tourner. J’évite d’être derrière leur dos et d’imposer mes choix, car cela ne ferait que les amener à créer quelque chose qu’ils n’aimeraient pas. Ainsi, la plupart du temps, mon réel travail est dans le choix de la bonne personne, en amont de la réalisation. Nous discutons bien sûr de nos idées respectives et nous pouvons échanger sur certains points par la suite, mais je suis très heureux de les laisser mener à bien leur projet. C’est ainsi qu’on obtient les meilleurs résultats.

Il y a bien entendu certaines chansons pour lesquelles j’ai dès le début de fortes idées et donc je m’implique davantage, mais ce n’est pas la majorité.

LVP : Tes clips et cette faculté à faire confiance sont des forces qui t’ont permis de construire une forte communauté de fans, et de jouer à guichet fermé ce soir. Pourtant tu n’as toujours pas de label, comment gérer ça ? Est-ce possible de continuer à être de plus en plus connu tout en restant indépendant ?

Tom : C’est un réel choix de ma part de ne pas être signé, afin d’avoir davantage de contrôle sur ma musique et ma vie en tant que musicien professionnel. Cela aurait été possible il y a déjà un moment, mais si j’avais accepté je ne serais peut-être pas ici aujourd’hui. Je ne pense pas être réellement connu à ce point, mais un label pourrait vouloir changer cela. Bien qu’ils ne soient pas sûrs d’y arriver, j’aime réellement le niveau atteint aujourd’hui.

LVP : Tu ne peux cependant pas contrôler ta popularité totalement, comment feras-tu si tu continues à gagner en popularité ?

Tom : Nous, les musiciens et artistes, avons aujourd’hui la chance d’avoir à notre disposition toute une batterie de statistiques, de Spotify ou autres, qui montrent l’évolution de l’audience, et je constate que la croissance de mon public est très régulière. Certains artistes montent en flèche vers des sommets, d’autres s’écroulent d’un coup mais ce n’est pas mon cas. Simplement car je produis à mon rythme, à un niveau humain, et que je ne vais pas d’un coup dépenser un million de pounds en publicité ou apparaître au Super Ball. Cela devrait continuer comme aujourd’hui et me permettre de me passer d’un label. Par ailleurs, j’ai déjà une super équipe qui travaille avec moi. Bien sûr cela changera peut-être un jour, mais ce n’est pas prévu à l’heure actuelle.

LVP : Une partie non négligeable de tes chansons comportent un message optimiste, que ce soit de ne pas avoir peur de la vie, de tenter des choses peu importe le résultat, de ne pas attendre plus longtemps. C’est une façon de voir les choses qu’il est important pour toi de partager ?

Tom : Certainement. Je suis vraiment dans l’optique d’utiliser toutes les idées qui me viennent à l’esprit et de ne pas avoir peur de le faire. La peur contrôle malheureusement la vie de tellement de gens, mais je pense sincèrement que tout le monde a un réel talent. Cela peut être n’importe quoi, le jardinage, le relationnel avec les gens, avec les animaux mais il existe et l’important est de ne pas en avoir peur et tout faire pour en profiter. C’est pour cela qu’une partie de mes chansons sont porteuses de ce message, de cet espoir et ont pour but d’être motivantes. Je les écris aussi pour moi, car je préfère être optimiste.

(Tom regarde la salle en contrebas)

Cela va être super fun ce soir, je ne suis pas toujours très excité avant les concerts mais ici oui. La salle est superbe (Café de la Danse, ndlr), ni trop grande ni trop petite.

LVP : Il y a des sièges, certaines personnes restent assises à tes concerts ?

Tom : Certains sont assis au début du concert et avec un peu de chance ils finiront par se lever, danser et ne plus s’asseoir. J’essaye de rendre mes lives aussi énergiques et amusants que possible, avec beaucoup de danses.

LVP : Comment choisis-tu les morceaux que tu vas jouer ?

Tom : C’est toujours un choix difficile et je pense que la setlist est différente pour chaque concert. J’ai l’impression que je dois jouer mes morceaux les plus populaires, ce qui n’est pas gênant car je n’en ai réellement que trois. Cela me permet de les jouer et d’en être débarrassé, afin de passer à la suite. Pour le reste je réfléchis à ce qui va être le plus fun, ce qui est le plus intéressant sur scène et tout simplement ce qui me fait le plus plaisir. Depuis que j’ai commencé à faire des lives, j’ai remarqué que le plus important était de s’amuser et j’adapte mes choix en fonction. Au début la majorité des chansons jouées sur scène étaient tristes, mais cela s’inverse au fur et à mesure des tournées. Je peux jouer quelques chansons tristes bien sûr, mais le plus important pour moi est que les gens passent un bon moment et qu’ils en sortent en voulant continuer de profiter de leur soirée, avec le cœur léger et bouillonnant d’énergie.

J’ai également la chance d’avoir des chansons assez courtes et je peux donc en jouer une vingtaine en un temps assez court, cela me laisse beaucoup de liberté.

LVP : Tu abordes une large variété de sujets dans tes chansons, est-ce que tu t’empêches volontairement d’en aborder certains ?

Tom : Je ne pense pas, peut-être le Brexit (rires), ou en tout cas la politique de façon évidente et frontale. J’ai écrit une chanson sur Melania, la femme du président Trump, mais avec un angle particulier qui réfléchit à ce que cela doit être d’être elle, de façon personnelle. J’aime parler de sujets politiques mais d’une façon détournée si l’on peut dire. Je ne souhaite pas écrire des textes qui disent « cette personne est un connard, celle-ci aussi » ou “fuck la police”, cela ne m’intéresse pas. Je crois qu’il y a beaucoup de politiques dans mes chansons ici et là, mais de façon très humaine et presque naïve.

LVP : Est-ce qu’il y a quelque chose en rapport avec ta musique que tu aimerais dire ? Que tu n’as peut-être pas souvent l’occasion de mentionner aux gens qui te suivent ?

Tom : Je voudrais dire tout cela, ma musique et ce qui l’entoure, n’a pas beaucoup d’importance. D’une façon très positive, attention, cela ne veut pas dire que j’en fiche. Ce que je cherche à dire, c’est que je ne me sens pas particulièrement proche de ma propre musique et j’ai l’impression qu’elle m’échappe une fois composée et enregistrée. Je suis juste une personne qui aime en jouer et en écrire lorsque je suis seul, mais j’aime plein d’autres choses. La musique n’est pas une passion particulière, j’aime la musique autant que tout le monde et je n’en écoute pas plus que la plupart des gens. J’aime aussi écouter le son de la rue et j’ai adoré ma marche dans Paris depuis la Gare du Nord. C’était très agréable et j’aurais détesté avoir un casque sur les oreilles, qui m’aurait empêché de profiter de ce moment. Tu ne vois rien avec un casque et de la musique dans les oreilles, autant avoir les yeux bandés.

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