Tout n’est pas à jeter en 2020 : on a passé une heure avec Pluralone
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Auteur·ice : Paul Mougeot
23/12/2020

Tout n’est pas à jeter en 2020 : on a passé une heure avec Pluralone

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Il y a là quelque chose qui sonne comme une évidence : notre meilleur moment de cette drôle d’année 2020 ne pouvait pas être autre chose qu’un entretien Zoom. Pas n’importe lequel, cependant. Bien loin des réunions de travail à distance qui auront rythmé ces derniers mois, c’est Josh Klinghoffer, aka Pluralone, qui nous a fait le plaisir de cette rencontre par écrans interposés. Celui qui fut le guitariste des illustres Red Hot Chili Peppers pendant une décennie a pris le temps de répondre à toutes nos questions à l’occasion de la sortie de son deuxième solo, I Don’t Feel Well

La Vague Parallèle: Hello Josh ! Comment vas-tu ? Est-ce que le confinement est toujours d’actualité aux États-Unis ? 

Pluralone : Salut ! En fait, je ne suis pas sûr car les États-Unis sont vraiment immenses, chaque État a ses propres règles… Je crois qu’il y a quelques restrictions en Californie mais je ne me sens pas vraiment concerné car je ne fais pas grand chose. Je ne sors pas, ça ne m’intéresse pas du tout d’aller au restaurant ou dans un bar. Ça ne me touche pas parce que je fais toujours les mêmes choses : je vais au studio, je vais sur mon lieu de travail et c’est tout.

LVP : Tu viens de publier I Don’t Feel Well, ton deuxième album solo, qui est intimement lié à la crise sanitaire que le monde traverse actuellement, mais également à l’agitation politique qui touche les États-Unis et aux feux de forêt qui ont ravagé la côte Ouest du pays ces derniers mois. Comment es-tu parvenu à changer cette négativité en un album aussi beau et poétique ?

P : Oh, c’est toi qui as écrit cette chouette chronique ? Merci beaucoup, c’est vraiment gentil de ta part. Je l’ai lue dans la voiture, je roulais tout doucement pour pouvoir lire en même temps. Je ne recommande à personne de faire ça, mais je te remercie pour cette chronique. J’ai dû m’arrêter sur le côté pour terminer de la lire !

Évidemment, ce qui se passe actuellement dans le monde est terrible. C’est une période extrêmement difficile pour beaucoup de monde et personne n’en sortira indemne. Malgré tout, j’ai tendance à penser que la direction que le monde était en train de prendre avant tout ça était intenable et même assez toxique, surtout sur le plan politique, économique ou encore environnemental. On en arrivait à un point de non-retour. De toute évidence, à de nombreux niveaux, on a échoué à agir de manière responsable et appropriée, surtout aux États-Unis.

Donc, pour répondre à ta question, voilà comment je me sentais. Puisqu’on ne peut pas stopper le virus, la seule chose à faire est de se comporter de manière responsable, intelligente et bienveillante envers les personnes qui nous entourent. J’ai juste pris les choses comme elles venaient et je me suis efforcé d’en tirer le positif. En l’occurrence, tout convergeait vers ces grands piliers de notre existence : être bienveillant et généreux, ne pas croire toutes les fausses informations, essayer d’être intelligent et ne pas laisser nos émotions dicter notre rapport au monde et nos actions envers notre entourage. Malheureusement, les gens oublient de s’accrocher à la réalité. Encore une fois, c’est ma propre situation qui me permet de penser de cette manière : j’ai eu la chance de faire partie des Red Hot Chili Peppers pendant dix ans et je peux me permettre de me concentrer sur moi-même à la maison. Je n’ai pas à aller au travail tous les jours et à prendre le risque de tomber malade ou de mourir à chaque fois que je sors de chez moi. C’est juste que j’ai pu me concentrer sur mon travail et faire en sorte de participer à l’effort général en contribuant au monde de la seule manière que je connais. Ça peut paraître un peu ambitieux de croire que ce que tu fais peut changer le monde de cette manière, mais c’est vraiment la seule chose que je sais faire. C’est comme ça que j’ai pu changer tout cette négativité en énergie positive : avec un peu de chance, on ne vivra plus jamais ça. Donc comment est-ce que je pourrais tirer le maximum de cette période ?

 

 

 

 

À mesure que je prends confiance, j’essaye de me rapprocher de mon public. Je pense que c’est le disque le plus intime que j’ai jamais fait, et j’espère que le prochain le sera encore davantage.

LVP : Qu’est-ce que tu attends du monde d’après ?

P : J’espère que le monde changera pour le meilleur. Je suis éberlué tous les jours de voir que la société entrave sans arrêt le progrès. J’ai l’impression que le monde a toujours évolué vers une société plus libre et plus ouverte, et pourtant, ces forces obscures et conservatrices sont toujours en train d’essayer de garder le contrôle de la situation.

J’espère vraiment qu’on apprend de chacune de ces crises, de chacune de ces épreuves. C’est ce que je souhaite. Le monde d’après, mon Dieu… Qui sait ce qui pourra bien se passer ? Je suis en train de lire un livre sur les armes nucléaires et j’ai le sentiment que si on continue à ne pas voir plus loin que le bout de notre nez, à être aussi nationalistes, aussi sectaires, aussi stupides, ça va se terminer en une catastrophe. Tôt ou tard, les gens doivent se réveiller, prendre conscience que le monde évolue dans le sens du progrès, et arrêter d’essayer de l’enrayer.

LVP : On peut tout de même trouver un point positif à cette situation : depuis le début de ta carrière, c’était la première fois que tu pouvais prendre le temps de te poser et d’enregistrer un album d’une traite. Est-ce que tu te sens plus à l’aise avec l’idée de travailler sur une plus longue période ou est-ce que c’est quelque chose que tu voudrais refaire à l’avenir ?

P : J’ai vraiment adoré ! J’ai souvent eu tendance à me trouver des excuses pour ne pas avoir à me concentrer sur moi-même, parce que ce n’est pas toujours facile pour moi de terminer une chanson ou de me poser suffisamment longtemps pour réfléchir au sens que je veux donner à cette chanson. Parfois, les morceaux sortent instantanément ou très rapidement mais le plus souvent, ils me demandent un véritable effort pour ralentir mes sens.

Par le passé, je pouvais facilement me dire : “oh, je n’ai pas besoin de finir ça parce que je dois écrire des morceaux pour les Red Hot Chili Peppers” ou bien “pourquoi je finirais ce morceau puisque je sais que je ne pourrai pas l’enregistrer avant 6 mois ou un an étant donné que je suis en tournée ?”. J’avais toujours une distraction en tête et il s’est avéré que ça me conduisait à ne jamais finir les chansons et à les laisser à l’état d’ébauche. J’ai toujours une ou deux idées qui traînent depuis une éternité et que je parviens finalement à terminer : par exemple, Knowing You sur cet album et Segue sur le précédent datent tous les deux de 2009 ! C’est pour ça que je me sens vraiment privilégié d’avoir eu l’opportunité de finir certaines de ces chansons et de pouvoir les publier.

LVP : Ton premier album avait été conçu sur une période de dix ans et pourtant, même si tu as changé ta manière de travailler entre ces deux albums, I Don’t Feel Well sonne tout de même comme la suite logique de To Be One With You, avec une patte artistique plus définie et plus personnelle. Est-ce que c’est la direction que tu avais l’intention d’explorer à l’origine ?

P : C’était plutôt spontané dans le sens où je n’ai pas vraiment pensé à une direction. Quand le monde s’est arrêté de tourner, je rentrais de Seattle en voiture et c’était ma première pause en vingt ans.

C’était la première fois que je me retrouvais chez moi sans obligations et j’avais tout un tas de trucs à régler – du nettoyage, du rangement… Je m’en suis occupé pendant quelques semaines et une fois que j’ai terminé, ma vie donnait l’impression d’être en ordre donc je me sentais prêt à écrire. Lors de ma première semaine d’écriture, j’avais écrit trois ou quatre nouvelles chansons, étant donné qu’il n’y avait rien pour me distraire. Je me suis dit “waouh, voilà déjà le tiers d’un album de fait, pourquoi ne pas essayer d’en faire un vrai disque aussi vite que possible ?”. À ce moment-là, on devait être en avril, et en mai, tous les morceaux étaient écrits. J’ai pu aller en studio en juin donc j’ai eu un peu de temps pour les peaufiner. Contrairement à tout ce que j’avais pu faire auparavant, tout était vraiment écrit et bien organisé, ce qui a permis d’enregistrer efficacement et bien plus rapidement. En quatre semaines, c’était plié.

Jack Irons a fait quelques morceaux depuis chez lui et ça s’est déroulé bien mieux que ce que j’aurais pu imaginer. Il arrive vraiment à avoir un bon son chez lui. Il va d’ailleurs jouer sur une de mes B-sides aujourd’hui ou demain. On trouve que ça fonctionne bien. C’était vraiment génial de ne pouvoir se soucier que de la musique. Ça faisait du bien. À un moment, quand les titres commençaient à prendre forme, je me suis rendu compte que chacun des morceaux de ce disque avait son pendant sur l’album précédent. Même si c’était un détail : par exemple, Barreling et Red Don’t Feel ouvrent chacun des deux albums avec une boîte à rythme. Les chansons suivantes, Rat Bastards at Every Turn sur le premier album et Night Won’t Scare Me sur celui-ci, sont les chansons qui m’enthousiasmaient le plus dès le départ. Chaque morceau avait son pendant, c’est comme ça que j’ai séquencé l’album. D’une certaine façon, le premier album était plus clair : la couverture était blanchâtre tandis que le second était plus sombre et est sorti pendant une période plus sombre également. J’ai l’impression que le nouvel album est plus optimiste et que l’ancien est davantage interrogateur. Celui-ci apporte un peu plus de réponses.

Pluralone et Paul Mougeot pendant l’interview. 

LVP : Comme tu l’as dit, cet album est plus concentré sur tes émotions personnelles et comporte également moins de collaborations avec d’autres artistes. Est-ce que tu dirais qu’I Don’t Feel Well est le disque le plus intime que tu as jamais fait ?

P : Oui, complètement. Je n’ai pas non plus fait des tonnes d’albums, mais je dirais que celui-ci est le plus intime en ce sens que plus je fais d’albums, plus cela m’intéresse d’établir un lien direct avec la personne qui l’écoute. Ça a toujours été un combat pour moi d’essayer de me rapprocher de mes auditeurs, car je me trouvais dans mon propre marécage d’incertitudes, de peurs, de rejet de ma voix… Je mettais toujours beaucoup d’effets sur ma voix, beaucoup de sons…

Plus je me sens à l’aise dans cet exercice, plus j’essaye de me rapprocher de mon public. Donc oui, je pense que c’est le disque le plus intime que j’ai jamais fait, et j’espère que le prochain le sera encore davantage.

LVP : Avec le projet Pluralone, tu es aussi parvenu à créer un lien fort et direct avec tes fans, bien plus qu’avec les Red Hot Chili Peppers ou qu’avec Dot Hacker. Est-ce que c’est ce que tu recherchais ?

P : Oui, même si je ne suis pas vraiment sur les réseaux sociaux moi-même, j’ai commencé à le faire il y a quelques mois grâce à Andrew d’ORGMusic.

Avant ça, je n’ai jamais eu de lien direct avec les fans. Quand je faisais partie des Red Hot Chili Peppers, j’ai passé beaucoup de temps à garder mes distances avec les gens. Mais pour moi, il ne devrait pas y avoir une si grande distance entre la personne qui fait la musique et celle qui l’écoute. On est tous pareils ! Si la musique te touche, c’est génial, mais il n’y a pas de différence entre toi et moi. Quand tu es dans un groupe comme les Red Hot Chili Peppers, le fossé est énorme. Je ne faisais pas partie du groupe quand ils ont connu leurs plus grands succès donc j’ai toujours pensé que je ne méritais pas toute cette attention. Quand les gens voulaient me rencontrer ou venaient me demander une photo, je ne m’en trouvais pas forcément digne et je n’étais pas très à l’aise avec cette distance qui se créait entre le groupe et ses fans. Toute la dynamique était déjà en place, c’est juste que je n’étais pas à l’aise avec ça, je savais ce que c’était d’être “le mec en plus” quand je pouvais sortir et rentrer dans l’hôtel sans que personne ne s’en soucie.

Mais en ce qui concerne les gens qui apprécient la musique que je fais moi-même, je leur suis tout simplement extrêmement reconnaissant de l’écouter ! Je le vis comme une expérience complètement différente et c’en est une avec laquelle je me sens beaucoup plus à l’aise. Bien entendu, je sais que la plupart des gens me connaissent depuis que j’ai travaillé avec les Red Hot Chili Peppers, mais s’ils aiment ce que je joue et la musique que je fais, c’est eux qui réalisent mon rêve, vraiment. Je les aime profondément et je les remercie pour leur attention.

LVP : Au fil de ta carrière, tu as contribué à de nombreux projets, aussi incroyables les uns que les autres, mais c’est la première fois que tu te retrouves en première ligne d’un projet, sous le feu des projecteurs. Comment est-ce que tu gères cette nouvelle situation ? Est-ce que tu as le sentiment que ça t’a permis d’évoluer en tant qu’artiste et en tant qu’homme ?

P : En fait, c’est difficile à dire parce qu’à la seconde où j’étais supposé être le centre de l’attention, il m’a été impossible de le faire en public. Si on avait eu cette conversation après dix mois de tournée en première partie de Pearl Jam comme c’était prévu, j’aurais probablement une réponse différente et cela aurait sans doute eu quelques effets sur moi. Mais pour le moment, rien n’a changé : je fais des albums en studio, ils sortent, les gens les écoutent, et je fais les choses comme je les ai toujours faites. Donc je ne me sens pas plus sous le feu des projecteurs qu’auparavant.

Un jour, je suppose que je pourrai jouer mes morceaux sur scène, et ce sera vraiment intéressant. J’ai vraiment hâte, mais c’est assez étrange de se dire que cela n’arrivera probablement pas avant un an, au moins… J’ai le temps de faire des pompes pour me remettre en forme !

 

 

J’aime écrire et j’aime être reconnu comme auteur, ça a été le combat de toute ma vie de trouver quelque chose dont je puisse être fier. Je crois que c’est ce que tu peux entendre sur ce nouvel album : la manifestation de cet épanouissement.

 

 

LVP : La première fois qu’on a discuté, je t’avais posé une question sur ta manière de chanter, qui privilégie les sonorités, parfois au détriment de la prononciation et du sens des mots. C’est quelque chose qui était vraiment frappant sur ton premier album. Sur celui-ci, on dirait que les paroles étaient aussi plus concrètes, moins abstraites. Est-ce que tu avais un message plus important ou peut-être plus universel à délivrer ?

P : Je pense que mes messages sont toujours à peu près les mêmes, je prends toujours le même parti dans mes chansons. Parfois, c’est aussi difficile pour moi de finir mes morceaux parce que je me dis qu’il faut que je trouve quelque chose d’unique pour chacun d’entre eux. Je pense que c’est juste la conséquence de ce qu’on se disait tout à l’heure sur le fait d’essayer de se rapprocher de l’auditeur : pourquoi est-ce que je fais ça ? Je dois bien reconnaître que soit je veux être vu et entendu, soit je ne le veux pas. Et le plus souvent, si je ne le veux pas, c’est que j’ai peur. Donc j’essaye de faire face à toutes ces peurs.

Je crois que ça vient aussi de mon enfance, du moment où j’ai commencé à apprécier la musique : je n’étais pas intéressé par les paroles à ce moment-là, j’écoutais surtout les sons. D’ailleurs, je ne connais toujours pas les paroles de certaines des chansons que j’écoute depuis que j’ai dix ans ! Je veux dire, je peux chanter par-dessus, mais je ne sais pas vraiment ce qu’elles disent. Aujourd’hui, l’idée de communiquer à travers le langage m’intéresse de plus en plus, alors qu’auparavant, j’étais davantage intéressé par l’idée de communiquer à travers les sons. Je crois que c’est ce qui fait que ça m’intéresse autant : c’est toujours quelque chose qui me fait grandir. J’aime écrire et j’aime être reconnu comme auteur, ça a été le combat de toute ma vie de trouver quelque chose dont je puisse être fier. Je crois que c’est ce que tu peux entendre sur ce nouvel album : la manifestation de cet épanouissement.

Avant, quand j’étais en studio avec le mec avec lequel je travaille et qu’il me disait : “tu devrais mieux articuler”, j’avais envie de lui dire “va te faire foutre”. Parce que pour moi, c’était plus important de chanter de la manière dont je voulais être entendu. Mais à présent, c’est plus important pour moi d’être compris, parce que je dois me connecter à quelque chose. J’ai toujours trouvé ça intéressant quand tu te sens connecté à une chanson malgré la barrière de la langue. Par exemple, quand j’écoute les chansons de Serge Gainsbourg, je ne sais pas ce qu’il dit, mais je sais qu’il pense à des trucs intelligents et qu’il joue avec les sons. J’aime simplement ces sonorités. Mais si j’étais capable de comprendre les nuances de son langage, j’apprécierais sa musique encore plus. Donc c’est ce que j’essaye de faire davantage : être plus direct et m’accrocher aux choses dont je pense qu’elles n’appartiennent qu’à moi. Et essayer de faire en sorte d’être plus connecté, je pense.

LVP : Tu as expliqué au cours d’une interview que tu avais essayé de mettre un peu ta guitare de côté sur cet album. Est-ce que c’était une manière pour toi de casser cette image de guitariste qui te colle désormais à la peau ?

P : Non, ce n’est pas vraiment un objectif. J’aime beaucoup jouer de la guitare, c’est juste que j’écris moins à la guitare ces derniers temps. Je le fais toujours mais ça ne donne rien… C’est peut-être parce qu’avec les Red Hot Chili Peppers, j’arrivais toujours avec des idées à la guitare, donc si je crée davantage au piano, ça permet aux différents projets de se distinguer naturellement. J’y ai pensé plus tard, ce n’est pas un truc conscient du genre : “pour mon projet je joue du piano, pour le groupe je joue de la guitare”, je ne réfléchis pas comme ça. Mais j’appréciais le fait de pouvoir choisir de laisser ma guitare de côté pour explorer d’autres sonorités.

Sur cet album plus que sur le premier, j’essayais de maintenir les effets au minimum, de m’en tenir à ce que j’avais écrit et d’ajouter un peu de couleur si nécessaire. Je ne voulais pas que ça sonne comme un groupe, mais vraiment comme un mec qui fait de la musique seul. Avoir Jack Irons sur le disque est une chose incroyable, mais en le faisant jouer, je prenais le risque qu’il étoffe le son du disque et qu’on se méprenne sur ce qu’il y a derrière. C’est pour ça que j’ai essayé de ne pas surcharger des morceaux comme The Night Won’t Scare Me or Red Don’t Feel, pour rester sur quelque chose de plus sobre. Voilà la démarche.

LVP : En parlant de guitare, on trouve tout de même de jolis solos sur tes deux disques, et je trouve que c’est une façon particulière de t’exprimer en tant que musicien. Est-ce que tu joues et ressens tes solos de la même façon avec Pluralone que quand tu le faisais avec les Red Hot Chili Peppers ou Dot Hacker ?

P : À vrai dire, pendant longtemps, j’étais juste contre les solos de guitare, point. Je n’aimais tout simplement pas ça. Je n’ai pas l’impression d’en avoir fait beaucoup avec les Red Hot Chili Peppers, mais maintenant que je ne suis plus dans le groupe, je pense énormément à faire des solos. Je pense à chaque solo que j’ai fait en live et je me dis qu’il n’y a qu’à la fin de mon passage au sein du groupe que je commençais à me libérer de mes chaînes, de ce sentiment que je ne devais faire qu’un certain type de solo. J’ai l’impression que pendant 80% du temps que j’ai passé avec le groupe, à chaque fois qu’il y avait un solo, j’avais cette petite voix dans ma tête qui me disait : “tu devrais faire ça, tu devrais essayer de faire un solo comme John Frusciante, appuyer sur cette pédale, faire quelque chose de spectaculaire”. Peu importe ce que je faisais, j’avais l’impression de ne pas totalement le faire de mon plein gré. Alors que quand je joue de la guitare tout seul ou avec Dot Hacker, je joue très différemment, avec un jeu qui me plaît plus. Surtout quand on en vient aux solos, je crois que je pourrais faire des choses plus intéressantes, alors que la plupart du temps, avec le groupe, j’avais l’impression de devoir faire ci ou ça, et ce n’est pas ce que je sais faire de mieux.

Je crois que j’ai une approche différente pour chaque morceau et s’il y a un solo, j’essaye de faire quelque chose de plus mélodique et de plus mémorable, alors qu’avant j’essayais juste de faire du bruit et d’improviser quelque chose. Maintenant, je crois que j’essaye d’écrire quelque chose de plus simple, qu’on pourrait fredonner à haute voix. Il y a bien un tout petit solo que j’aime particulièrement, c’est celui à la toute fin de l’album, sur le morceau I Hear You. J’étais en train d’enregistrer le chant et il y avait une guitare dans la pièce, dont je me servais pour trouver les harmonies. Je suis arrivé avec cette mélodie pour le solo à la fin de la session et quand on a terminé l’enregistrement, j’ai couru en disant : “laisse-moi faire la guitare de la fin !”. Je l’ai fait en une prise et c’était bon. C’est vraiment rare que j’arrive avec un solo en avance. D’habitude, ça me vient pendant l’enregistrement. J’ai bien aimé ce petit solo.

 

 

Je veux vraiment faire partie d’un groupe qui a un impact positif sur la vie de ses membres et qui leur offre la possibilité d’être qui ils veulent, d’être la personne créative qu’ils ont envie d’être. Si je peux faire en sorte que cela se produise pour d’autres personnes en même temps que pour moi, j’estime que c’est du temps bien investi !

LVP : Au cours du AMA que tu as fait sur Reddit, tu as révélé que tu faisais aussi de la musique électronique. Est-ce que c’est quelque chose que tu considères plutôt comme un hobby personnel ou est-ce que tu envisages de publier cette musique un jour ou l’autre ?

P : C’est plutôt quelque chose de personnel, je ne l’envisage pas vraiment comme quelque chose que je pourrais publier. J’aime beaucoup les synthés modulaires et les boîtes à rythme, donc je me suis construit une petite collection au fil des années. Quand j’étais en tournée, je m’achetais quelques synthés, je les installais et je jouais dessus pendant quelques temps, mais ensuite le groupe s’en allait pour trois mois, je revenais et j’avais oublié comment me servir de tout ce nouveau matériel.

Cette année, j’ai donc eu plus de temps à consacrer à ça. J’enregistre tout ce que je fais, même si ce n’est que sur un petit enregistreur. Donc j’ai tous ces morceaux, qui sont principalement des improvisations, et que je ne réécoute jamais avant plusieurs mois, quand je choisis quelque chose à passer au hasard dans la voiture. Autant que je sache, parfois, ça ressemble à quelque chose que je pourrais écouter. C’est arrivé l’autre jour : j’étais en train de travailler avec un séquenceur modulaire, j’avais rapidement monté une ligne de basse et un beat et j’étais vraiment concentré sur des petits détails techniques quand je suis tombé sur un morceau que j’avais enregistré une semaine auparavant. Je me suis dit : “c’est quoi ça ? Ça ne peut pas être moi !” et j’aimais beaucoup ce que j’entendais ! Cela dit, je ne pense pas vraiment à les publier. Peut-être un jour, parce que c’est vraiment fait avec la plus grande innocence. Par le passé, j’avais aussi fait de la musique électronique avec mon ami Eric Avery, on avait fait quelques trucs ensemble et on s’était dit qu’on pourrait peut-être les publier… C’est tout à fait possible.

LVP : Ce qui est assez fascinant chez toi, c’est qu’on a le sentiment que tu es toujours très inspiré et que tu as énormément de nouvelles idées de chansons ou de projets. Est-ce qu’il t’est déjà arrivé de ressentir un manque d’inspiration ? 

P : J’ai souvent eu le sentiment de me retrouver face au manque d’inspiration, mais je pense que c’était surtout dû aux contraintes qui pesaient sur mes épaules, quel que soit ce que je faisais. Quand on était en tournée pendant deux ans avec les Red Hot Chili Peppers, ce n’était pas très propice à la création de nouveaux titres. Je ne pouvais pas faire grand chose, mais je ne dirais pas que je manquais d’inspiration, c’est juste que j’étais assez éloigné du processus créatif.

En ce qui concerne mes textes, il y a eu des moments de ma vie où j’avais l’impression que je n’allais nulle part, mais c’est une sensation que j’ai de moins en moins car elle est très liée à mon niveau de confiance en moi. En tant qu’auteur ou en tant que chanteur, je crois que j’ai eu à surmonter un grand manque de confiance en moi, à partir du moment où j’ai commencé à jouer de la guitare à quinze ans… Je ne me suis jamais vraiment considéré comme un vrai guitariste jusqu’à ce que je me retrouve à jouer de la guitare avec Bob Forrest. J’ai toujours eu l’impression de devoir travailler pour rattraper mon retard et je ne me souviens même pas comment j’ai appris à jouer de la guitare. Je me suis juste mis soudainement à jouer de la guitare et pourtant, j’ai eu une vie assez incroyable en tant que guitariste, mais je ne me souviens même pas du moment où je me suis assis pour apprendre à jouer. C’est juste arrivé comme ça. J’ai l’impression de toujours être en train de me dire : “oh putain, je ne suis pas assez bon, je suis nul, je ne sais pas faire ci, je ne sais pas faire ça”… C’est juste comme ça que je suis et je devrai me battre contre ce sentiment toute ma vie.

Pour répondre à ta question, je pense qu’il y a peut-être eu des moments par le passé où je manquais d’inspiration, mais je me suis entouré de différentes choses pour surmonter ce manque : si je n’arrive pas à écrire une chanson au piano, je passe sur le synthétiseur. Tout le monde devrait se souvenir que les idées naissent de rien. J’écoutais justement Brian Eno qui disait à ce propos : “things come out shit”. Les gens pensent parfois que s’ils n’inventent pas de la musique de génie, ils n’ont pas le droit d’en faire. La plus petite des idées peut devenir la chose la plus géniale que tu aies entendue, tout comme la meilleure des idées peut rester stérile si elle ne tombe pas entre les bonnes mains au bon moment.

Ces derniers temps, je trouve beaucoup d’inspiration autour de moi, car même si je ne suis pas inspiré pour jouer, j’ai l’impression que tout ce que tu fais dans la vie peut devenir une source d’inspiration. Les livres que je lis en ce moment peuvent peut-être mener à l’écriture de chansons sur ce sujet en particulier. Donc je lis un livre, je surligne des passages, je note des mots en pensant à des paroles… C’est sans doute une idée stupide de vouloir écrire un album à propos de ce je lis actuellement mais bon… Je verrai ça plus tard !

LVP : Tu as souvent répété dans des interviews que tu apprécies vraiment de jouer au sein d’un groupe, pourtant j’ai l’impression que ton processus créatif est très personnel et pas forcément compatible avec le travail à plusieurs. Qu’est-ce cela t’apporte de faire partie d’un groupe ?

P : C’est une bonne question car c’est précisément ce à quoi je fais face actuellement. Mon intention dans la vie n’a jamais été d’être quelqu’un de solitaire, j’ai toujours voulu faire partie d’un groupe. Quand Dot Hacker s’est formé, j’étais à la fois le chanteur et celui qui essayait de prendre les devants. Et puis pour bon nombre de raisons, mais plus particulièrement à cause du fait que j’ai rejoint les Red Hot Chili Peppers, le groupe n’a pas pu fonctionner comme on l’aurait voulu à l’origine. À cause de cela, il n’y avait pas beaucoup d’unité au sein du groupe. Heureusement, on est toujours de très bons amis. Ces dernières semaines, on a travaillé ensemble à distance, parce qu’on ne peut pas se retrouver dans la même pièce pour jouer. Les rôles sont définis à l’avance : j’écris quelque chose, je l’envoie à Clint qui en fait une peinture, il l’envoie aux deux autres et ils donnent de la couleur à tout l’espace. J’ai écrit quatre ou cinq chansons supplémentaires donc on peut dire qu’un nouvel album de Dot Hacker est en train de prendre forme plus ou moins vite, en fonction de la personne à qui tu poses la question.

C’est un sujet qui m’a beaucoup trotté dans la tête : qu’est-ce que tu recherches dans un groupe ? On a discuté tous les quatre sur Zoom et je parlais de mon désir de toujours avoir un groupe, mais surtout d’à quel point je me sentais chanceux d’être en mesure non seulement de faire de la musique avec trois de mes amis, mais aussi de grandir en tant que personne. Peu importe ce qu’il arrive, il est difficile pour moi de reconnaître que je suis en tort ou même d’avouer que j’ai joué un rôle dans quelque chose qui n’a peut-être pas fonctionné. J’ai eu de la chance ces dernières années d’avoir le temps de réfléchir au rôle que j’ai joué dans chacune de mes expériences. Même avec les Red Hot Chili Peppers, j’essaye vraiment d’étudier quelle était ma place au sein du groupe.

Je pense que ma faculté à faire semblant de ne pas être acteur des choses qui se produisent vient d’une profonde déficience psychologique par laquelle je me dissocie ou me sens invisible dans certaines situations. J’essaye simplement de m’améliorer et d’être une meilleure personne dans le monde. Et ce que je disais aux gars de Dot Hacker, c’est que je me sentais très chanceux et honoré à 41 ans de pouvoir être dans un groupe où j’ai la possibilité de mettre en œuvre tout ça : être une bonne personne, écrire une chanson et ne pas essayer d’en contrôler tous les aspects comme j’avais l’habitude de faire. J’essayais vraiment de tout contrôler. Par exemple, je joue de la batterie et je suis sûr que je rendais la situation délicate pour Eric (Eric Gardner, le batteur de Dot Hacker, NDLR) parfois car j’étais toujours là à observer ce qu’il faisait. Je crois que c’est un réel privilège de pouvoir laisser s’exprimer la maturité que tu as acquise en tant que personne dans un groupe où tu fais de la musique avec tes amis. C’est la seule chose que j’ai toujours voulu faire durant toute ma vie, depuis que je dois avoir cinq ans – disons plutôt dix ou onze ans. J’ai toujours rêvé de faire partie d’un groupe !

Encore une fois, je me sens tout simplement chanceux de l’avoir fait et je sens que j’ai encore beaucoup de choses à faire de cette manière. Je veux vraiment faire partie d’un groupe qui a un impact positif sur la vie de ses membres et qui leur offre la possibilité d’être qui ils veulent, d’être la personne créative qu’ils ont envie d’être. Si je peux faire en sorte que cela se produise pour d’autres personnes en même temps que pour moi, j’estime que c’est du temps bien investi !

 

 

 

Avec les Red Hot Chili Peppers, je crois que ça a marché d’une manière ou d’une autre pendant dix ans, et que c’est surtout parce qu’on tenait les uns aux autres. C’est de ça dont je suis le plus fier.

 

 

LVP : En parlant des Red Hot Chili Peppers, beaucoup pensent que tu as maintenu le groupe en vie après le départ de John Frusciante et que tu es parvenu à renouveler le son du groupe. Quelle est ta plus grande fierté après une décennie passée à leurs côtés ?

P : Ma plus grande fierté, c’est d’être arrivé dans cette situation qui était vraiment compliquée. En dehors du fait de prendre la place de quelqu’un comme John, c’est d’être arrivé dans un groupe avec trois mecs qui avaient 18 ou 19 ans de plus que moi, qui avaient connu le succès avec l’un des plus grands groupes du monde et d’avoir su leur montrer que je tenais à eux, que je tenais à ce groupe et que je tenais à la musique. Pas seulement la musique qu’on allait faire ensemble, mais aussi la musique qu’ils avaient déjà faite. Et surtout, que ça ait marché.

Je veux dire… John, c’est John. S’il veut revenir dans le groupe et que ces connexions musicales sont prêtes à être réactivées, c’est fantastique et je suis extrêmement heureux pour eux. Mais le fait que je sois arrivé à nouer une amitié avec eux et qu’on soit toujours amis, c’est quelque chose. C’est déjà assez difficile comme ça de nouer une amitié avec quelqu’un, et ça l’est d’autant plus quand tu as trente ou cinquante ans comme eux. Quand je suis arrivé, ils approchaient de la cinquantaine et ce n’est pas facile de devenir ami avec quelqu’un à cette période de ta vie. Je crois que c’est ce dont je suis le plus fier. J’aime la plupart des morceaux qu’on a faits ensemble, même si je pense toujours que les albums n’ont pas été aussi bons qu’ils auraient pu l’être, mais je crois que ça a marché d’une manière ou d’une autre pendant dix ans, et que c’est surtout parce qu’on tenait les uns aux autres. C’est de ça dont je suis le plus fier.

LVP : Avant de quitter les Red Hot Chili Peppers, tu as passé un an à travailler sur un nouvel album avec le groupe. Est-ce que tu peux nous en dire plus sur cet album ? À quoi aurait-il ressemblé ?

P : Honnêtement, je ne sais pas, parce que comme d’habitude, on avait travaillé sur énormément de morceaux. On avait enregistré un certain nombre de démos, quelque chose comme 24 au total et je me souviens avoir achevé la session avec la frustration de ne pas avoir pu en enregistrer d’autres. On a travaillé sur beaucoup de choses donc c’est difficile à dire… Peut-être que c’était d’ailleurs un problème à ce moment-là : je voulais amener beaucoup d’idées et j’ai eu l’impression de ne pas pouvoir en montrer autant que je l’aurais voulu. Peut-être aussi qu’il y avait trop de nouvelles idées et qu’on était moins concentrés, du coup.

En tout cas, j’ai toujours le sentiment que ça prenait vraiment une belle tournure. Il y a bien des choses que j’aurais voulu changer, mais je voulais surtout faire en sorte que le son du groupe ressemble à ce qu’il avait pu être par le passé. Ces temps-ci, l’énergie du groupe l’entraînait plutôt vers des chansons avec des accords, avec un tempo moyen, où Anthony chantait davantage… Le groupe glissait dans cette direction, que je le veuille ou non. Du coup, j’écrivais des chansons dans ce genre-là parce que je savais qu’Anthony aimait chanter comme ça. Mais la plupart du temps, j’avais juste envie d’y aller comme ça… (il prend sa guitare et joue quelques accords de funk).

Je voulais que ça tape, que ce soit funky, que ça sonne comme ça pouvait sonner en live en 1985. C’est ce que j’aurais préféré. La tournée de The Uplift Mofo Party Plan avec peut-être un ou deux I Could Have Lied ou Scar Tissue dedans. Dix tubes funky, un petit Scar Tissue, un petit I Could Have Lied et j’aurais été content, mais je n’ai pas atteint cet objectif. Je n’ai pas réalisé mon rêve. Et ce qui va se passer, maintenant, c’est qu’ils vont sûrement faire cet album !

LVP : Pour conclure, est-ce que tu pourrais partager avec nous une découverte récente ?

P : Ce n’est pas une découverte, mais on célébrait hier le 40ème anniversaire de la mort de John Lennon donc j’ai regardé John & Yoko: Above Us Only Sky, qui est un documentaire sur la période Imagine. Cela permet de redécouvrir quel homme extraordinaire était John Lennon et à quel point son travail avec Yoko était incroyable à l’époque – simplement en attirant l’attention sur ô combien la guerre du Vietnam était ridicule – et à quel point la position qu’ils ont prise était courageuse. À bien des égards, nous avons progressé depuis ce temps, mais de bien des façons, rien n’a vraiment bougé.

J’ai beaucoup pensé à ça dernièrement et j’ai aussi beaucoup lu sur le sujet. En ce moment, je lis un livre intitulé The Bomb qui traite de l’histoire des armes nucléaire et de l’absurdité du fait que nous possédons la capacité de nous détruire nous-mêmes. On se promène avec cette menace constante et on vit comme ça, tout simplement. Je pense qu’il s’agit de quelque chose dont les gens devraient se soucier réellement. J’ai beaucoup pensé à la Guerre Froide ces derniers temps, comme je le fais souvent : je suis né en 1979, je suis un enfant des années 80 et je suis obnubilé par les problèmes géopolitiques et comment en 2020, des nations et des groupes de personnes peuvent avoir de telles différences dans leur façon de se comporter ou de mener leurs activités, au point tel qu’ils ont des armes braquées les uns sur les autres qui pourraient tuer des millions et des millions de personnes.

J’ai vraiment l’impression que ce qui compte dans la vie, c’est d’apprendre. Au bout du compte, la plupart d’entre nous ne veulent que de l’amour et être proches des autres. Voilà ce à quoi j’ai pensé dernièrement.


Merci à Claire Pinault pour son aide précieuse !

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