Trixie Whitley, la musique comme hymne de résistance
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Auteur·ice : Hugo Payen
30/10/2024

Trixie Whitley, la musique comme hymne de résistance

| Photos : Kylie-Coutts

Avec la sortie de The Dragon Of Everything, quatre pièces fortes de sens et aux compositions sublimes, Trixie Whitley signe l’un des retours les plus fracassants de cette rentrée. L’occasion parfaite pour vous raconter notre courte mais ô combien passionnante discussion avec l’artiste belgo-américaine de passage au Live Is Live cet été.

Onze années se sont écoulées depuis la sortie timide de Fourth Corner. Un premier album singulier aux influences multiples, à l’écriture tant intime que sans détour et à la production puissante. Enfin, « timide »… mais pas pour très longtemps. Forte de cette singularité sans pareil à l’époque, Trixie Whitley attire les foules et brise les règles.

Rapidement, l’auteure-compositrice fait parler d’elle. Une chose qui, vous allez comprendre, n’est pas forcément à son goût. Passé inimitable sur la scène musicale de notre plat pays, Trixie Whitley est indéniablement aussi passionnée qu’engagée.

Au fil du temps, l’artiste belgo-américaine s’affirme et use de ses mots pour comprendre toutes ses émotions enfuies, toutes ses constatations, ses réflexions face à un monde qui brûle de toutes parts. D’abord sur Porta Bohemica, ensuite avec son sensationnel Lacuna.

Quelques envolées jazz, des accords bossa nova ou des productions plus électro : Trixie Whitley possède ce don d’écriture qui fait d’elle l’artiste renommée qu’elle est depuis des années déjà. Sa musique est aussi puissante que ses mots. Voilà qui est indéniable aujourd’hui. Et son nouvel EP The Dragon Of Evetything en est potentiellement la plus belle preuve. Rencontre.

LVP : Cinq années sont passées depuis la sortie de ton dernier album Lacuna. Ma première question d’abord c’est : comment ça va après tout ce temps ?

Trixie Whitley : Écoute ça va, je tiens le coup !

LVP : Tu viens de sortir un nouveau single, High Wire. Tu y abordes l’état violent du monde, les inégalités qui en découlent et surtout notre caractère très passif, très impuissant aussi. C’est un morceau que tu as écrit il y a dix ans. Pourtant, il résonne encore, voire peut-être même plus qu’il y a dix ans. Est-ce qu’on peut décrire ce morceau comme d’une sorte d’hymne à la résistance ? Pour nous garder conscient·e de la situation, mais aussi pour nous donner un peu d’espoir en l’avenir aussi ?

Trixie : Je le prends comme un compliment. C’est justement ce que je voulais en faire. C’est pas facile de garder espoir ces temps-ci … C’est même un sacré challenge du quotidien. Je suis une personne hyper sensible. Et toute cette sensibilité passe par la musique, de manière très physique finalement. C’est un travail que j’effectue en essayant de rester alignée sur ce qui me passe par la tête. Je suis pas mal sensible à l’état du monde aujourd’hui et même quand j’essaye de ne pas y penser, ça me revient tout aussi vite. On ne peut pas, ne pas être touché·e par tout ce qu’il se passe. C’est là que rentre la question de résistance. Face à toute cette oppression que je perçois un peu partout, la résistance me semble urgente. Je fonctionne avec mon cœur. Je suis parente et même si j’ai toujours été portée vers l’aide et la protection de l’autre, je ne peux pas rester insensible. Donc oui, là, il est temps que ça cesse…

LVP : La musique comme thérapie finalement ?

Trixie : On va dire que c’est l’endroit qui me donne le plus foi en tous cas. Et le plus grand cadeau pour moi, c’est surtout d’entendre que ma musique procure le même effet sur les personnes qui l’écoutent. La musique permet de faire comprendre aux autres qu’on est jamais seul·es tant dans le désespoir que dans la résistance, qu’il y aura toujours de l’espoir quelque part. De ce pouvoir, j’en suis tellement reconnaissante aujourd’hui. C’est la musique qui m’aide dès que j’ai le cœur brisé et pas qu’en amour. C’est l’endroit où je peux aller et me sentir à nouveau entière. Du coup, dès que je peux le partager avec des personnes chez qui ça résonne de la même manière, j’en profite.

LVP : Tu as toujours eu cette mentalité « do-it-yourself », tu t’es toujours battue pour faire la musique que tu voulais faire. Après tes années aux côtés de Black Dub, tu sors ton premier album, Fourth Corner. Un premier album sous Trixie Whitley. En une semaine, l’album atteint les sommets en Belgique. Tu recevras d’ailleurs le prix de « meilleure artiste féminine » aux Music Industry Awards. Il se passe quoi à ce moment-là dans ta tête ?

Trixie : Tu vois, c’est pour ça que j’ai parfois beaucoup de mal avec la promo. Je ne fais pas de la musique pour les récompenses ou l’attention des médias. C’est toujours déroutant en réalité quand ça arrive et j’ai pas envie d’en arriver à un point où le fait de pouvoir recevoir une récompense influe sur ma manière de faire de la musique. Et inversement, j’ai pas envie que le fait de « ne rien recevoir » joue sur ma santé mentale et influe aussi sur ma musique. Et c’est quelque chose que je ressens aussi pour tout le côté médiatique de la chose. Je suis vraiment pas très média de base (rires). On se construit une nouvelle équipe portée aussi sur cette mentalité DYI dont tu parlais plus tôt et c’est chouette de les voir regarder les chiffres, la vente de tickets, les chroniques ou les interviews mais je leur ai clairement dit de ne pas trop m’en parler pour que justement, ça n’interfère pas dans mon processus créatif. Dès que je commence à me comparer aux autres, c’est là que ça devient compliqué. Et c’est clairement ce que font les chiffres sur les artistes aujourd’hui. Évidemment, l’analyse est importante, même dans cette industrie. Je réfléchis énormément à ce genre de chose mais pas de la même manière que ce que l’industrie musicale voudrait nous faire entendre. On ne partage pas forcément les mêmes idéaux elle et moi (rires). Je suis obligée d’y naviguer avec mes propres idéaux et de faire attention à toutes ces choses.

LVP : Aujourd’hui, la présence des artistes sur les réseaux sociaux est devenu presque primordiale, ainsi que la gestion des chiffres, etc. Est-ce que c’est compliqué de faire de la musique, d’être un·e artiste aujourd’hui quand on est pas forcément sensible à ces nouvelles « règles » médiatiques justement ?

Trixie : J’essaye surtout de comprendre comment je peux faire pour les utiliser pour ensuite en faire quelque chose de positif. C’est une situation challengeante, et comme à chaque fois, ce qui me challenge m’agite (rires). J’essaye de transformer l’adversité en quelque chose de plus positif. J’ai toujours eu cette sensibilité face aux choses que je considère comme toxiques dans notre société. J’ai besoin d’y faire face pour mieux les comprendre et ne pas les ignorer. Plus je vieillis, plus j’ai l’impression justement de pouvoir y faire face. C’est un exercice hyper important pour moi, ça m’aide à rester connectée avec le monde qui m’entoure.

LVP : Cette industrie musicale, tu l’as vue changer au fil du temps ?

Trixie : Elle évolue continuellement en réalité. Et aujourd’hui, elle est remplie d’énormément de possibilités mais aussi de beaucoup de problèmes qui engendrent quelque chose de repoussant parfois. L’idée c’est de trouver ce qu’on peut créer avec tout ce chaos. C’est à travers toutes les possibilités qu’engendre le chaos que naît la créativité.

LVP : Quand on écoute ta discographie, on peut déceler le désir de ne jamais vouloir arrêter d’explorer et d’expérimenter différentes sonorités. Alors que ton premier album dont on parlait plus tôt est fort de ses sonorités très brutes, ton dernier lui, nous emmène dans un univers beaucoup plus électronique. Récemment, tu as d’ailleurs sorti une version revisitée plus organique, loin de ces grosses productions justement. Un cap que tu sembles garder sur The Dragon of Everything.

Trixie:  Tout est une question d’équilibre je dirais. J’ai toujours été attirée par la technologie en tant que telle. Puis j’ai toujours vécu et grandit en ville. Je n’ai que rarement eu accès à des environnements plus naturels. Je ne sais pas comment l’expliquer mais je ressentais ce besoin très intrinsèque de revenir à quelque chose de plus naturel, de plus authentique peut-être. J’avais besoin de me reconnecter à ces racines. Puis je suis à fond attirée par l’anthropologie, l’histoire des humain·es et ce qu’elle en dit. En musique je suis pareille, je fais plein d’aller-retour entre la base des choses et tout ce qui est mis à ma disposition. Ma base, c’est l’écriture, le songwritting. C’est à travers elle que pas mal de monde peut s’exprimer. Pour la forme, j’ai ce besoin d’explorer l’entièreté des possibilités qui s’offrent à moi.

LVP : C’est déjà notre dernière question. Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur ce super titre, The Dragon Of Everything. On est un peu curieux·se d’écouter l’histoire qui se cache derrière ces nouvelles histoires.

Trixie : T’as vu la pochette ? (rires) C’est un dessin de ma fille que j’adore. Le personnage principal y tient un livre. Ma fille adore écrire autant que moi. Je suis accro à la lecture comme à l’écriture, c’est mon échappatoire (rires). Elle a décidé d’appeler ce livre The Dragon of Everything et honnêtement, j’ai trouvé que ça faisait un super nom ! Être maman d’un·e enfant très jeune en période Covid avait tout d’une aventure très dragonesque … Mais il existe aussi des dragon·nes très bon·nes. Je fais tout pour en être une.


  • Ancienne Belgique, Bruxelles – 02 avril 2025

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