Troie, la délicate (r)évolution de Malik Djoudi
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Auteur·ice : Paul Mougeot
24/09/2021

Troie, la délicate (r)évolution de Malik Djoudi

Alors que son deuxième album, Tempéraments, lui avait valu les louanges de la presse et du public, Malik Djoudi en a délaissé la recette pour parer sa musique d’accents plus organiques et chaleureux dans son nouveau disque, Troie. Une (r)évolution délicate guidée par un besoin vital, qui aura donné naissance à un troisième album sensible et sincère dont il nous dévoile aujourd’hui les coulisses.

La Vague Parallèle : Hello Malik ! Comment vas-tu ?

Malik Djoudi : Plutôt pas mal, la vie reprend enfin ! Je suis content, je viens de jouer en festival et ça m’a fait beaucoup de bien. J’ai vu les gens, on était tous ensemble, en communion… Comme si on prenait une revanche sur cette vie qui n’existait plus, ou qui existait moins, en tout cas.

LVP : On se retrouve un peu plus d’une semaine avant la sortie de ton troisième album, Troie (l’interview a eu lieu le 15 septembre, NDLR). Comment appréhendes-tu cette sortie ?

MD : Je suis hyper content. Excité, même ! Je suis heureux que ce disque puisse prendre vie et surtout que les gens puissent le découvrir. J’y ai mis beaucoup de choses, beaucoup de moi. Ça n’a pas été facile tout le temps, j’ai beaucoup cherché, beaucoup lutté pour le créer, donc je suis soulagé qu’il puisse sortir.

LVP : Ton deuxième album, Tempéraments, est celui qui t’a permis de gagner la reconnaissance d’un public plus large, avec une nomination aux Victoires de la Musique notamment. Est-ce que ça t’a donné davantage de confiance lorsque tu t’es attelé à ton troisième album ou est-ce que ça t’a plutôt fait ressentir une certaine pression ?

MD : Je n’ai pas prêté beaucoup d’attention à tout ça, à vrai dire. J’aime bien avoir ma vie à côté de tout ça, être dans ma bulle et pouvoir séparer ma vie d’un côté et la musique de l’autre. Ce que je voulais, surtout, c’était explorer d’autres choses. J’ai passé quatre ans en tournée avec des machines et je voulais retrouver un peu d’organique, m’entourer d’instruments, de corps… C’est plutôt ça qui m’a mis une certaine pression.

Cela dit, il est vrai quand même qu’avec cette nomination aux Victoires de la Musique, j’ai senti que le projet commençait à prendre et pour la première fois, je me suis senti attendu au tournant. Du coup, la véritable question pour moi, c’était de parvenir à continuer à faire la musique que j’aime. Je ne fais pas de la musique en me demandant comment mieux la vendre. J’ai essayé de me battre contre la facilité, de ne pas essayer absolument de faire danser les gens à tout prix. J’ai vraiment voulu donner le meilleur de moi-même, en fait.

 

LVP : Ce troisième album a été conçu au cours d’une période forcément particulière. Est-ce que tu peux nous parler de son origine, de la manière dont tu l’as créé, enregistré ? Comment l’as-tu vécue à titre personnel, cette période ?

MD : Quand tout ça est arrivé, j’étais dans une dynamique de tournée de deux albums qui s’enchaînaient et j’adorais ça. C’était un rêve d’enfant qui se réalisait. Du coup, j’ai été assommé, totalement assommé. J’ai voulu amener mon studio à la campagne, j’ai posé mon matériel en me disant que j’allais me mettre au vert pour créer tranquillement, que ce serait cool… et en fait, pas du tout (rires).

Ma vie, quand même, c’est de faire de la musique, de faire des concerts, donc quand tout s’est arrêté brutalement, ça a été vraiment difficile pour moi. Pendant un mois, il m’a été impossible de sortir quoi que ce soit. Les mots, les textures, les accords… rien ne venait. Je n’ai pas voulu bousculer les choses, j’ai accepté de prendre le temps. En fait, j’ai passé du temps à prendre le temps, chose que je n’avais pas faite depuis des années. Je pense que c’était la bonne chose à faire parce que ça m’a nourri pour la suite.

J’ai pris le temps de regarder ce que j’avais fait ces dernières années, de regarder le chemin que j’avais pris. Ça m’a permis de prendre du recul pour être encore plus en phase avec moi-même. J’ai adoré cette phase d’exploration, parce qu’elle est très différente de ce que j’ai pu faire jusque-là. Je crois que cette période a été tellement dure que j’ai vraiment eu envie de tout donner pour être en phase avec moi-même, de me découvrir de plus en plus. C’est peut-être banal, mais ça m’a donné envie d’aller à l’essentiel, de faire de la musique sans artifice. C’est tout. Ne pas tromper, ne pas mentir. Écrire les mots que je ressens pour faire en sorte de créer des émotions chez moi et en susciter chez les autres. Je fais vraiment de la musique par les sons, par la sonorité des mots. Pour moi, c’est un tout qui doit produire une certaine alchimie. Si ça ne plaît pas à tout le monde, ce n’est pas très important.

LVP : On constate une évolution très marquante dans cet album, c’est qu’il paraît plus ouvert, plus assumé : ta voix est plus assurée, les sonorités sont plus chaleureuses, plus organiques, également. Est-ce que c’est une démarche volontaire de ta part ?

MD : En fait, j’ai travaillé à partir d’une base simple et efficace, une basse-batterie qui tourne, que je peux écouter pendant des heures, et j’ai ensuite inséré les autres instruments. C’est ce qui donne cette sensation. Après, en ce qui concerne la voix, plus le temps passe et plus je me dirige là où je veux aller. Ce qui est marrant, c’est que j’ai un peu l’impression de la découvrir au fur et à mesure, de parvenir à l’amener progressivement là où je voudrais qu’elle soit. J’ai la chance qu’elle ait plusieurs palettes mais je ne me dis pas que je vais chanter telle chose de telle manière, c’est l’inspiration qui vient et qui guide ma voix.

Ce qui a changé aussi, c’est que j’ai eu la chance que Renaud Létang me contacte pour faire cet album. Pendant 4 mois, au studio Ferber, on s’est bien pris la tête pour que les instruments fonctionnent ensemble. J’ai aussi eu la chance de travailler avec Rory McCarthy, qui bossait avec Connan Mockasin. C’est la combinaison de tous ces gens, de tous ces savoirs qui ont donné cette alchimie. On a vraiment essayé de travailler comme des alchimistes parce que pour moi, la musique n’est pas une histoire de performance, ça doit être un tout. C’est comme pour le texte : je trouve qu’un joli texte, c’est avant tout un texte qu’on n’entend pas.

LVP : Justement, sur ton premier disque, tu accueillais une collaboration avec Etienne Daho qui paraissait naturelle au regard de la proximité de vos registres musicaux. Sur ce nouvel album, tu t’es offert trois nouveaux duos tout aussi prestigieux, mais plus surprenants et inattendus avec Lala &Ce, Philippe Katerine et Isabelle Adjani. Comment est-ce que l’idée de ces duos t’est venue et est-ce qu’il se sont exaucés ?

MD : Déjà, c’est très joli de dire que ces trois duos se sont exaucés, c’est très juste. En l’occurrence, ça a été plusieurs histoires différentes.

Lala &Ce, j’ai découvert son travail il y a un an et demi et immédiatement, ça m’a interpellé. Ça faisait longtemps que je n’avais pas entendu quelque chose comme ça, une telle manière de se placer sur le beat. Elle a une manière de chanter différente, qui m’a beaucoup intrigué. J’ai trouvé qu’il y avait une grande classe, une douceur sauvage qui se dégageait de sa musique, quelque chose de très brut. Je me suis dit que j’avais envie de faire quelque chose avec elle, de la rencontrer, d’échanger avec elle. Quand j’ai fait le groove de Point sensible et que cette mélodie au milieu du morceau est arrivée… j’ai pensé que ce serait cool qu’elle soit pour Lala &Ce. On s’est rencontrés, je lui ai fait écouter le morceau et elle a été très partante. Elle est venue en studio, on a fait deux prises, c’était immédiat, très spontané. Elle a fait groover le truc à sa manière, c’était génial.

 

Pour Quelques motsIsabelle Adjani, c’est quelqu’un que j’admire depuis très longtemps. La première chose qui me vient à l’esprit quand je pense à Isabelle Adjani, c’est Pull marine, qui est pour moi un joyau de la chanson française. J’avais déjà pensé à faire quelque chose avec elle, mais c’était plutôt comme un rêve inaccessible. Un jour, j’ai lu dans la presse qu’elle écoutait ma musique et qu’elle l’appréciait, je me suis dit “wow wow wooow” (rires). J’ai fait en sorte de la contacter pour la remercier et puis on a fini par se rencontrer et on a eu envie de faire quelque chose ensemble. J’avais déjà cette ligne de basse avec une mélodie, sans beaucoup de mots. Je me suis dit que j’avais envie de la faire avec elle, je ne la voyais pour personne d’autre, mais il me fallait écrire le texte. Même si le morceau ne comporte que quelques mots, j’ai mis beaucoup de temps à l’écrire. Je lui ai présenté et mon vœu s’est exaucé : elle a accepté de le chanter.

En ce qui concerne Philippe Katerine, j’avais ce gimmick en tête puis des mots sont arrivés dessus : “Eric, ne dis pas que t’es tête en l’air, t’es plutôt extraordinaire“. J’ai entendu le couplet et je me suis dit que j’avais envie que Katerine le chante avec moi. J’adore cet artiste, je trouve qu’il rend les choses belles. Tout ce qu’il touche, il le rend beau. Ces trois personnes ont accepté de chanter ces chansons et pour ne rien gâcher, je me suis rendu compte par la suite que ces personnes sont d’une pureté incroyable. Je suis très heureux d’avoir ces trois invités qui, je pense, habillent bien cet album. Ce que je peux dire, c’est que j’adore faire des duos parce qu’il faut essayer de se mettre à la place des autres. Il faut écrire le morceau pour qu’il leur aille comme un gant.

LVP : On sent une sensibilité assez extraordinaire dans ta musique, mais également dans la manière dont tu en parles. Face à une époque très rude, ton album laisse parler les émotions autant qu’il leur parle. Est-ce que tu l’as conçu comme un refuge face à ce monde terriblement froid ?

MD : Oui, c’est un refuge et comme tu le dis joliment, c’était aussi pour moi une manière de réussir à créer des émotions, à les laisser parler pour qu’elles trouvent un écho chez les autres. Il y a aussi quelque chose, c’est que je suis musicien, et je me suis mis à la place de ces artistes qui font leur vie à jouer dans des bars, dans des petites salles… J’ai eu peur que tout ça disparaisse et je pense que ça transparaît dans l’album.

Ce disque a vraiment été comme une lutte, il ne fallait pas que ce soit facile. Je voulais vraiment rester intègre, je ne voulais pas faire du mainstream. C’était comme une bataille, comme une mission. J’espère que je ferai toujours ça.

LVP : On sait justement que la scène est pour toi un espace privilégié, puisque c’est là que ta musique change, évolue, se transforme. Comment est-ce que tes nombreuses dates de concert ont influé sur la création de cet album et comment imagines-tu le porter sur scène ?

MD : Je vais te dire une chose : j’ai passé quatre ans de tournée avec un de mes meilleurs amis à jouer avec des machines. J’ai adoré faire ça et j’y pense très souvent mais j’avais vraiment envie de m’entourer de musiciens, de revenir en groupe, à l’essence de la musique. Pour moi, la musique, c’est quelque chose qui s’échange, qui se partage, avec le public mais aussi sur scène. J’avais besoin de faire partie d’un ensemble, d’un tout.

Il y a aussi le fait que j’en avais marre de voir des machines, des pads partout (rires). Être en groupe, c’est quelque chose qu’on voit de moins en moins et je trouve ça dommage. Moi, j’en ai besoin. Ce n’est pas facile, un groupe, on se met en danger, et j’ai envie de ça. Ça ne m’intéresse pas de faire de la musique si je ne me mets pas en danger.

On a déjà commencé les dates, donc on essaye d’aller plus loin que l’album. C’est une formation assez classique, basse-batterie-guitare-clavier, mais j’ai envie que ce soit sauvage, délicat, brut… J’ai envie d’y aller. Franchement, c’est comme si c’était mon premier groupe, c’est une nouvelle jeunesse. Ça demande beaucoup plus de rigueur, c’est clair, mais ça me fait revivre.

LVP : Pour finir, est-ce que tu peux partager avec nous un coup de cœur, une découverte musicale récente ?

MD : Je vais dire Below the Clavicle de Eartheater. J’ai beaucoup aimé.


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