La première écoute peut surprendre. D’abord une tranquille balade aux airs d’instru boom-bap nommée Opening. Un prélude qui déroule le tapis rouge à une flopée bigarrée d’artistes talentueux. Puis, de la soul au cloud rap, en passant par les vibrations R’n’B sur fond de productions électroniques d’inspiration hip-hop qui ne surplombent jamais l’ensemble, un bel équilibre. Avec Be My Guest, Ténéré ouvre plutôt le rideau d’avant-scène, pour nous dévoiler ses collaborations. Et devant nos yeux, un beau spectacle : Penelope Antena, Sabrina Bellaouel, Moka Boka et Clara Sergent. 4 voix, 4 timbres et registres, mais 5 paysages musicaux : un producteur ne travaille jamais seul et sait bien s’entourer.

Son truc à lui, c’était la trompette et le jazz, mais au Conservatoire, comme son nom l’indique, on est plutôt conservateur. Alors, la trompette, c’était hors des murs de l’école, avec « un super professeur mais de classique, un peu frustré donc, j’ai assez vite arrêté ». Couvrez donc ce jazz que je ne saurais voir. Belle revanche en tout cas pour Pierre-Élie, alias Ténéré, qui nous raconte ça aujourd’hui, posé devant une affiche immense de Miles Davis. Revenu à présent à Paris, il a auparavant cherché un label « à taille humaine, un truc un peu sérieux et assez éclectique ». Parce qu’il faut le reconnaître, il est difficile de ranger Be My Guest dans une case. Lui et son manager ont donc frappé à la porte de chez Nowadays Records, il y a 3 ans, « et ça l’a fait ! ».

8 titres, un EP avez-vous dit ?

Oui, et hors de question de parler d’album ! « Pour moi, un album, c’est surtout quelque chose qui tourne autour d’un concept, en un seul bloc », explique Ténéré. Et cet EP a ceci de particulier qu’il incorpore deux singles déjà « sortis au compte-gouttes » et signés avec le label français : Gone Away et Living Waters. Peut-être lui fallait-il « travailler à partir de quelque chose », et pourquoi pas de deux de ses créations ? Pour cet artiste et producteur qui trouve « la page blanche terrorisante », cela semble tout à fait cohérent, finalement. Créer ensuite du lien entre chaque track, tisser les morceaux entre eux pour que prenne forme la texture. Un travail auquel Ténéré s’est attelé de manière élitiste, « en prenant le temps pour sculpter l’EP ». Sans prétention, dit-il. Par élitiste, il entend travailler avec des gens qu’il « estime profondément », en étant constamment « exigeant dans le degré d’avancement de [sa] prod ». Ni plus ni moins.

Un arrangeur qui fait la part belle à ses guests

Autre singularité, l’alias Ténéré, réputé être le coin le plus désertique du désert du Sahara, pour ainsi dire. Et à vrai dire, nous pensions à l’isolement, à la solitude. Alors que l’EP est un creuset de rencontres et de collaborations, c’est même ce qui le sous-tend. Le producteur a justement essayé de « façonner un écrin pour chaque featuring, dans le but de mettre à l’honneur le guest ». Les déserts, en fait, il leur trouve une « esthétique et une beauté inquiétantes », lui qui s’y aventure souvent en moto, avec une Yamaha… Ténéré ? Petit clin d’œil à un « modèle emblématique du Paris-Dakar ».

Avec ce nouveau projet musical tout juste sorti, Ténéré entend montrer ce qu’il est capable de faire en featuring, et à quelle sauce. À la manière d’un showroom, « c’est le lancement, le vrai démarrage de ce qui arrive en tant que producteur », explique-t-il. Le tout fait dans une complicité certaine avec ses artistes invités, et avec simplicité. Un logiciel de MAO, un Rhodes, modèle de piano électrique des années 1970, et un Prophet. Et sans oublier les voix, essentiellement féminines, dans Be My Guest.

© Alice Sevilla

Un héritage éclec-siastique

« C’est un peu ma madeleine de Proust », se confie-t-il. Ces voix, elles lui rappellent les chanteuses R’n’B qu’il découvrait sur Skyrock à l’époque, grâce à son Walkman gagné à la kermesse de son église. Détail qui a son importance, car le producteur a grandi dans un milieu très traditionnel, « assez ecclésiastique ». Ce qui explique cette propension « à travailler avec des chanteuses de Gospel », d’où provient notamment Clara Sergent. D’ailleurs, son featuring Living Waters fait directement référence à un verset biblique (“I will make a way. In the wilderness. And a river in the desert”), « c‘est un gospel religieux dans une ambiance presque monacale ».

Mais les héritages musicaux sont bien plus éclectiques. Pénélope Antena, vient plutôt de la folk « un peu à la Bon Iver », et Sabrina Bellaouel, « vraiment R’n’B à fond ». Quand à Moka Boka, qui parle de pur ressenti plutôt que de construire un storytelling, Spotify vient de le classer dans une playlist cloud rap ! Cet opus, fruit d’amitiés de longue date et de liaisons nouvelles, met en valeur cette richesse artistique.

S’en dégage une aura soul et R’n’B, avec une consonance hip-hop vraisemblablement. « De la neo soul, à la rigueur ? », interroge Ténéré. Peu importe, pour lui, « c’est une démarche plus qu’un style artistique ».

Une œuvre d’introduction et de présentation

© Alice Sevilla

S’il a également écrit quelques-unes des paroles, les featurings ont été libres de leur plume et de leur pleine créativité. Toute la finesse du travail de l’artiste-arrangeur a donc été de « faire de la place aux voix et de les traiter ». Les thématiques abordées, elles, entrecroisent affects et amour, fragilité et force, un EP « hypersensible, fourni en émotions », mais dont on ne ressort pas torturé. Au contraire, la quiétude s’installe après l’examen de ce poétique tableau de la vie.

Mais le producteur ne fait pas qu’offrir un toit à tous ces cris du cœur et ces sensibilités exhalées. Cet EP est aussi un appel à de futures collaborations. Ténéré s’est élancé, et, « comme un déclic, c’est là que ça démarre vraiment ».

PS : « malgré plusieurs tentatives », le titre éponyme Be My Guest cherche encore rappeur-euse pour y poser un 16 mesures.

Adriano Tiniscopa

La musique te traîne loin. Salutaire sur terre!