Un verre en terrasse avec Jenny Lee Lindberg et Stella Mozgawa, moitiés de Warpaint
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Auteur·ice : Paul Mougeot
09/07/2022

Un verre en terrasse avec Jenny Lee Lindberg et Stella Mozgawa, moitiés de Warpaint

| Photo : Mia Kirby

À elles deux, elles forment l’une des sections rythmiques les plus créatives et les plus complémentaires du moment. Elles, ce sont Jenny Lee Lindberg et Stella Mozgawa, bassiste et batteuse de Warpaint, figure emblématique de la scène californienne depuis presque 20 ans. Les deux musiciennes ont répondu à nos questions en terrasse à l’occasion de la sortie de leur quatrième album, Radiate Like This

La Vague Parallèle : Hello Stella, hello Jenny ! Comment allez-vous ?

Jenny Lee Lindberg : Très bien ! Ça fait du bien d’être à Paris. On est arrivées ce matin donc on n’a pas vraiment eu le temps de se promener mais ça fait vraiment du bien d’être ici, d’autant qu’on n’est pas venues depuis quelques années. En fait, ça fait du bien de sortir des États-Unis, pour être honnête.

LVP : Vous venez de publier votre quatrième album studio, Radiate Like This. Quel accueil a-t-il reçu ?

JLL : Je crois qu’il a été très bien accueilli. De ce que j’ai pu voir sur les réseaux sociaux, j’ai l’impression que les gens en disent vraiment du bien. Je vois que les gens postent différents morceaux de l’album et j’en suis très heureuse. Ce n’est pas comme s’il n’y avait que deux ou trois morceaux qui ressortaient, les gens ont l’air d’apprécier tous les morceaux donc c’est vraiment cool.

SM : Oui, les gens ont l’air de se connecter avec l’ensemble de l’album, ça nous soulage beaucoup.

LVP : Six années se sont écoulées depuis la sortie de votre album précédent, Heads Up. Qu’est-ce qui s’est passé pour vous pendant ce temps ?

SM : Après la sortie de l’album en 2016, on a tourné pendant à peu près trois ans, jusqu’en 2019. On ne faisait plus ou moins que ça, on faisait d’autres choses à côté mais pour l’essentiel on était toujours dans ce cycle-là. Après ça, on a commencé à travailler sur ce nouvel album quelque part au début de l’année 2019, et les premières vraies sessions de travail toutes ensemble ont eu lieu à l’été 2019. Ensuite, on a pris à nouveau trois ans pour tourner, faire différents projets individuels mais aussi écrire, enregistrer et essayer de terminer cet album.

LVP : Vous avez également travaillé sur des projets solos pendant cette période. Comment est-ce que ces projets ont pu influer sur la création de cet album ?

JLL : À titre personnel, je dirais que la musique que je fais toute seule est plutôt différente de ce qu’on fait avec le groupe. Je pense que tous nos projets sont radicalement différents, en fait. Je crois que ce qui rend notre groupe vraiment unique, c’est qu’on garde toutes nos goûts, les choses qui nous inspirent. On ramène tout ça sur la table et c’est qui fait le son de Warpaint : une combinaison de tous nos goûts musicaux et de toutes nos inspirations. C’est ce qui garantit qu’on apporte toutes au groupe et qu’on s’emprunte mutuellement.

SM : Je pense qu’on est toutes en train d’acquérir des compétences et de trouver un épanouissement personnel dans la musique. On grandit toutes individuellement en tant que musiciennes, compositrices, productrices… Ce sont toutes ces choses qui influencent notre collaboration quand on revient toutes ensemble pour faire des choses en tant que Warpaint. Je crois que le fait qu’on s’épanouisse individuellement inspire et influence notre groupe.

LVP : Le contexte sanitaire actuel a eu une influence majeure sur la création de cet album puisqu’il vous a contraintes à travailler séparément. Comment est-ce que vous avez vécu cette expérience ? Qu’est-ce que vous en retirez ?

JLL : Ça s’est bien passé, c’était très stimulant. Enfin, ça avait des avantages et des inconvénients, je pense. D’un côté, c’était chouette d’avoir le temps et l’espace pour se dire qu’on faisait un peu différemment de ce qu’on avait prévu de faire. De l’autre, ça nous manquait de pouvoir rebondir sur les idées des unes des autres et réagir directement, de pouvoir nous entraider… D’habitude, quand on est toutes dans la même pièce, on peut réagir directement. Mais là, pendant un petit moment, c’était par email, Zoom, avec une connexion pourrie parfois… C’était surtout beaucoup de problèmes techniques ! Mais on a réussi. On y est arrivées and je suis très fière de nous parce que ce n’était pas facile. On a fait du bon travail.

SM : Oui, on a fait du bon travail !

LVP : Justement, vous formez toutes les deux l’une des sections rythmiques les plus créatives et les plus complémentaires de la scène actuelle. Comment est-ce que vous êtes parvenues à conserver cette alchimie sans vous voir ?

SM : On a eu beaucoup de chance parce qu’on a pu faire l’essentiel de l’enregistrement ensemble, au studio. On avait fait deux sessions d’enregistrement avant la pandémie et on pensait terminer l’album pendant ces deux sessions mais il y avait beaucoup de travail supplémentaire à faire, surtout en ce qui concerne la voix, les toplines, les mélodies. Mais on avait quand même réussi à faire le plus gros avec Jen avant d’être obligées de nous isoler.

Je me demande ce que ça aurait donné si on avait dû faire tout l’album de cette manière, si on n’avait pas eu cette base qu’on a pu faire ensemble dans la même pièce. Ça nous a permis de savoir la direction dans laquelle on allait à 60%, donc ça nous a vraiment aidées de faire d’abord ce travail de groupe. Ça aurait été beaucoup plus difficile de le faire à distance.

JLL : Je crois que cette combinaison a marché en notre faveur pour cet album. Ce qu’il restait à faire à distance, c’est-à-dire la voix et les prises additionnelles, c’est pile ce qu’il fallait. C’est arrivé comme ça devait arriver et je crois que c’était une bonne chose qu’Emily et Theresa aient pu prendre le temps de faire les choses.

Pour nos albums précédents, on était tout le temps obligées de se dépêcher. Cette fois, on a eu davantage de temps et ça a fini par jouer en notre faveur. On a de la chaaaaance (rires) !

LVP : Est-ce que vous envisagez de travailler à nouveau de cette manière pour la suite ?

SM : Je préférerais qu’on soit ensemble à nouveau, ça va plus vite. Pendant la pandémie, je me suis rendu compte qu’en plus du travail avec Warpaint, je faisais beaucoup de petites sessions avec des gens que je ne connaissais pas vraiment ou que je n’avais jamais rencontrés, genre des sessions d’écriture ou de production. Ce processus m’a fait me rendre compte que j’étais plutôt une musicienne de studio, de “présentiel”. J’aime bien m’aventurer dans mon propre petit monde et travailler de cette manière mais je préfère vraiment être dans une pièce avec quelqu’un, être excitée d’un son et partir de là pour construire quelque chose. C’est cette expérience qui résonne le plus en moi à titre personnel.

LVP : Ce qui est à la fois beau et paradoxal, c’est que sur cet album, on a l’impression que vous formez plus que jamais une seule et même unité musicale alors que vous avez travaillé séparément.

SM : Oui, parce qu’on a eu la chance d’avoir cette histoire, cette connexion qu’on nourrit depuis plus d’une décennie maintenant. C’est beaucoup plus difficile de deviner ce genre de choses quand tu connais pas bien quelqu’un, que tu ne connais pas ses goûts. Je crois que ce qui rend le processus plus facile, c’est de connaître nos limites, nos goûts et de travailler dans cette zone de confort parce qu’on se connaît toutes parfaitement. C’est ce qui rend l’ensemble plus cohérent même s’il a été réalisé dans cette espèce d’environnement séparé.

LVP : Justement, dans les thèmes qu’il aborde et les sonorités qu’il explore, cet album semble traversé par une certaine quiétude, par une sorte d’apaisement. Est-ce que vous diriez que ça vient du fait que vous avez trouvé l’équilibre parfait dans vos vies personnelles et professionnelles ?

JLL : Oui, je crois qu’il y a eu beaucoup de changements dans nos vies, davantage d’épanouissement individuel et spirituel, le fait qu’on ait pris du temps éloignées les unes des autres… Je crois que c’est très représentatif de notre état d’esprit actuel.

LVP : On ressent cette sérénité jusque dans la pochette de l’album. Qu’est-ce qui vous l’a inspirée ?

SM : C’est Jason, le copain d’Emily, qui a pris cette photo depuis le hublot d’un avion, je ne sais pas où exactement. Je me souviens quand cette photo est arrivée dans nos discussions avec le titre de l’album, on aurait dit que les deux étaient faits pour se marier, d’une certaine manière. Je crois que la pochette et le titre de l’album reflètent parfaitement la musique qu’on a créée. Il nous semblait que ça collait bien.

C’est notre première pochette qui représente un élément naturel, en fait. La première, c’était une peinture, la seconde un collage, la troisième était très urbaine. Celle-ci dégage quelque chose de très élémentaire, naturel, ouvert, précieux, et ce sont autant de choses qui représentent bien l’album en lui-même.

LVP : Pour finir, est-ce que vous partagez avec nous une découverte artistique récente ?

SM : En ce moment, je suis plongée dans un livre intitulé Les Roses d’Orwell, par Rebecca Solnit. C’est un très bon livre, je le recommande à tout le monde. En ce qui concerne le cinéma… Il y a un très bon film français qui est sorti il y a très longtemps et qui s’appelle La Jetée. C’est un excellent film !

JLL : Je suis allée au cinéma pour la première fois depuis trois ans pour voir The Batman. C’était marrant, j’ai adoré. J’étais toute seule, je me suis pris du popcorn… J’étais tellement bien !