Une conversation avec Bagarre
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Auteur·ice : Charles Gallet
04/07/2018

Une conversation avec Bagarre

Dans le petit jeu de la promo, il y a les artistes qu’on interviewe. C’est très carré, froid parfois, et ça dépasse rarement le cadre professionnel. Et puis il y a des moments plus rares et précieux où quelque chose se passe, où un échange se crée. Le genre de moment qu’on espère toujours vivre en tant que chroniqueur musical. Quand on a retrouvé Bagarre après leur goûter concert lillois, on n’avait pas vraiment de craintes, puisqu’ils font un peu partie de la famille. Au final, on a passé un moment un peu rêvé, clairement unique, où ça parle beaucoup, ça dévie parfois, ça se confie toujours et au final ça transpire l’amour.

La Vague Parallèle : C’était la première fois que vous jouiez devant des enfants ? Vos impressions ?

Emmai Dee : C’était déjà arrivé mais devant des collégiens donc c’était assez différent, c’est une énergie complètement différente.

Mus : En fait, ils étaient hyper calmes, attentifs, et en même temps avec une énergie de ouf. Quand t’as des gamins qui te regardent comme ça avec des grands yeux…

La Bête : Moi j’ai trouvé ça… J’ai kiffé. Un truc hyper agréable. Y’a un truc un peu basique de ce qu’est la musique, comme ils ont pas les codes des concerts et de ce que tu dis. On a choisi les chansons en fonction de ça aussi, on n’a pas voulu mettre les trucs les plus vénères car on sait que ça marche pas chez les enfants. Tu retrouves un truc assez simple : pour eux, ce qu’est la musique, ce qu’ils aiment, c’est par exemple les « ouh ouh » sur Mourir au clubça prend direct !

Maitre Clap : Tout ce qui est interactif, ça fonctionne. Ce qui marchait bien, c’est même pas la musique qui activait la danse chez eux, c’est plus de leur montrer : si je dansais, ils dansaient… C’est plus de la communication qui passait et c’est un truc qu’on fait vachement, qui marche aussi avec les adultes.

L.B. : Et puis quand t’es devant eux, tu te dis que c’est un peu ça, la raison de faire de la musique : tu transmets. Ça paraît être une blague de dire « je vais vous apprendre à faire un pogo », mais c’est comme ça qu’on a appris : en voyant faire. Evidemment, Kurt Cobain m’a pas appris à faire des pogos… Mais y’a ce truc de transmission qui m’a fait kiffer et j’ai trouvé ça cool.

LVP : C’est là aussi que tu vois que tes chansons marchent si t’arrives à captiver un gamin pendant 30 minutes avec ta musique, c’est que t’as réussi quelque chose.

Majnoun : Moi, ça m’a foutu une vraie banane. Voir les gosses qui s’amusent et tout c’est un truc assez unique, c’est hyper joyeux quoi.

L.B. : Moi, ça m’a donné envie d’être prof de musique en fait… En vrai, c’est cool.

M. : Prof de pogo !

L.B. : La nouvelle discipline !

M.C. : Allez, School Of Rock, c’est parti !

L.B. : «  Jeremy t’as bu ton pack de 8.6 ou pas ?! Jeremy ! On fait pas de pogo pas bourré ! » (rires)

M.C. : EPS, c’est pogo et circle pitt. Français, c’est analyse de textes, et en Anglais t’as Kurt Cobain !

LVP : Bon, on va revenir au sérieux… Vous avez mis plus de deux ans entre Musique de club et CLUB 12345. C’était nécessaire pour vous de prendre le temps ?

M. : En fait, le truc, c’est qu’on a beaucoup tourné. Dans ces deux ans, l’album nous a pris un an.

Ma : On a joué à La Machine du Moulin Rouge fin octobre 2016, et on est parti trois jours après pendant un mois.

M.C. : On a voulu commencer à écrire quand on tournait encore et clairement, ça n’a pas pris. Et c’est quand on a eu le temps et l’opportunité de partir à la campagne tous les cinq, de se retrouver collectivement et s’isoler qu’on a pu commencer vraiment à entrer dans l’écriture de l’album. On avait besoin de s’extraire de la tournée et de se retrouver.

E.D. : On avait envie de vraiment mettre en œuvre le fait qu’on écrit tous et ça nécessitait de se retrouver tous les cinq et d’avoir un vrai moment de composition et d’écriture à cinq, ce qui est pas facile quand tu tournes.

Ma : Ce qui était marrant dans ce mois de novembre c’est que le week-end on allait dans les clubs. On prenait la bagnole et y’avait cette énergie le weekend où on allait faire des showcases super tard et sinon on était cinq jours complètement coupés de tout à part de nous. L’idée c’était de se faire parler les uns les autres des thèmes qu’on avait envie d’aborder et qui étaient un peu flous dans nos têtes, de nos envies musicales sur quoi on imaginait ce texte… Donc on est allés vraiment se chercher pendant ces quelques mois de l’écriture de l’album.

LVP : Ce qui est intéressant avec l’album c’est que vous ne réutilisez pas des chansons d’anciens EP, contrairement à beaucoup d’autres groupes

Ma : Y’a Mourir au Club.

LVP : Ouais mais elle est pas sur le vinyle… Et j’ai l’impression que Ecoutez-Moi et Vertige sont des chansons idéales pour un début et une fin. Je trouve qu’y a une sensation d’instant T dans l’album.

Ma : C’est vrai ouais.

E.D. : Ça correspond à un moment, de la même manière que Musique de Club on le voyait comme un tout, un espèce de truc assez compact qui correspondait au moment où on avait écrit ces chansons-là. Je pense qu’on avait déjà parlé du fait qu’on avait pas pensé spécialement faire un album au début et le moment qu’on s’est accordé à cet instant a donné un album.

M.C. : C’est vrai qu’en fait au début, on se projetait pas trop dans le fait de faire un album dans tout ce que ça comportait. Quand on s’est rendu compte qu’on devait le faire, on s’est dit on va le faire bien et de manière généreuse et on s’est dit «  on va faire un album fat avec 25 chansons ».

Ma : Ouais c’est vrai, on voulait faire un album de rap.

LVP : Genre Maitre Gims, 40 chansons et 2h15…

M.C. : Pour le stream. (rires) Et effectivement on a maquetté beaucoup de chansons, quasiment 20 je pense en tout, et en fait on a préféré réduire pour livrer un truc vraiment bien, sans chansons mal abouties.

L.B. : Le truc c’est qu’en composition, on est pas de la culture album, on compose track par track, chanteur par chanteur, thème par thème… Y’a un truc un peu disparate à part qu’on se retrouve tous dans une forme de sincérité et d’urgence qui se retrouve aussi musicalement. Sur la forme on n’y était pas très attaché et la manière dont on l’a pensé, assez naturellement, c’est comme une setlist de live. Quand c’était fini, on s’est posés et on a fait comme si c’était un live avec son intro, ses moments forts, ses contrastes et sa fin… Ou comme un DJ set. Au final, on n’a pas conceptualisé l’album tant que ça en terme de forme.

M.C. : C’est vrai qu’on dit souvent que Bagarre c’est un mélange de plein de styles différents et par chanson, il y a un style ou une école qui est travaillée et c’est pas un mélange global.

Tous : C’est pas de la fusion !

M.C. : Ouais voila, c’est pas une fusion, Bagarre c’est par chanson.

LVP : Vous parliez de rap et pour moi l’album m’a fait penser à un album de collectif de hip-hop…

Ma : En effet, on est plus proche dans l’idée de l’Or du Commun et du Wu Tang que de fonctionnement comme The Clash. On nous dit souvent c’est révolutionnaire l’horizontalité, etc. Mais en fait c’est un fonctionnement qui est rare en pop.

LVP : C’est révolutionnaire parce qu’on vous catalogue comme de la pop française.

Ma : Après on a quand même des idées révolutionnaires hein !

M.C. : On est vraiment dans ce truc rap hip-hop où y’a cinq MC. Après y’a La Bête qui est à la prod essentiellement même si nous on ramène des impulsions, des envies… Et ça se passe comme ça et au final les morceaux deviennent un peu des feats entre nous.

LVP : Et justement, tu parlais d’idées révolutionnaires, mais est-ce qu’on peut dire que Bagarre est un groupe politique ?

L.B. : Je pense qu’on est un groupe plus social que politique. Ce qui nous travaille et ce qu’on dit c’est plus des fonctionnements de société qu’on essaie de déboulonner ou qui nous ont pesé et nous pèsent encore… On ne va pas parler de capitalisme, on va parler de patriarcat ou d’homophobie.

LVP : Oui mais à partir du moment où il y a une prise de position, y’a quelque chose de politique…

E.D. : Y’a un engagement ça c’est sur.

Ma : Je pense qu’on vit dans un monde aujourd’hui, que ce soit le rapport à la ville qui est hyper présent dans notre musique, même la nervosité que ça peut engendrer. Un morceau comme Ris pas c’était déjà ça, comment la ville ça te rend ouf… De la même manière qu’on vit dans une ville, on prend ce qui vient du monde et ce qui nous affecte. C’est le va-et-vient entre les événements sociaux, ton environnement et ta psychologique, c’est ça qui nourrit pas mal les morceaux.

M.C. : Bagarre déjà le nom, inconsciemment…

Ma : C’est vrai que y’a un truc pré-politique avant la politique dans le nom Bagarre.

M.C. : Cette envie de combat, d’engagement de corps à corps, c’est un peu le pogo social.

L.B. : Y’a aussi un truc de génération, je pense. La génération de mes parents, qui sont assez jeunes… Années 70-80, c’est typiquement la génération avec l’adage punk no future où on ne réfléchit pas. Et nous, j’ai l’impression qu’on est dans une génération où on ne peut pas ne pas réfléchir parce que c’est ce qu’on nous demande de faire.

E.D. : C’est un peu l’inverse qui se crée.

L.B. : Autant avant on disait « les gens doivent réfléchir à leur statut, leur travail, leur famille » et y’en a qui ont dit merde. Et nous les marques qu’on voit tous les jours nous disent « fais ce que tu veux, sois différent, ne réfléchis pas ». Finalement c’est « pense ce que nous on pense ». Maintenant le vrai combat, il est de dire « je vais réfléchir et essayer de construire quelque chose ». C’est pour ça que nous on est dans plein de trucs aussi, avec le BAM qui est de l’aide aux migrants tout en étant un pôle LGBT… Ça croise plusieurs luttes politiques qui sont pas les mêmes mais avec des humanités qui ont les mêmes combats. C’est une lutte de l’existence généralisée.

Ma : Je pense que le club, qui est notre lieu musical fantasmé, c’est un lieu politique aussi. Mais les vrais clubs que tu vas voir tous les jours que ça soit dans la danse, la musique,.. se nourrissent de tout ça… Les frémissements de premiers mouvements sociaux, la lutte pour les droits des homosexuels ont commencé sur le dancefloor. T’as énormément de mouvements sociaux qui sont liés à des musiques. C’est ce frottement-là qui est hyper intéressant.

// L’interview est alors interrompue par un appel de mon père, inquiet de ne pas retrouver les papiers de sa voiture qui se trouvaient dans ma poche (comme ça vous savez si vous les cherchez aussi). Après l’avoir rassuré, nous reprenons. //

L.B. : … Donc qu’est ce que je disais ? Oui, en fait tous les trucs qui émergent en ce moment, que ce soit le féminisme, toutes les luttes LGBTQI, les trans qui arrivent, le truc des migrants qui reprend une nouvelle forme en France… Y’a plein de trucs qui commencent à avoir de la parole maintenant, mais qui existent depuis 20 ans et surtout ils ont 20 ans d’avance dans les pensées par rapport à la société. Les féministes, elles ont 20 ans d’avance sur la déconstruction de la pensée, pareil pour les questions de transgenres… Et justement, maintenant c’est à nous les masses molles en fait, de justement rattraper ce truc-là et de rentrer dans un vrai changement de pensées et de fonctionnement pour mieux exister.

M.C. : Si on s’est toujours sentis proches de tout ça, c’est parce que c’était notre environnement. Le club, la nuit… En fait y’a un truc un peu queer dans ce qui pourrait être la politique de Bagarre. L’idée que nous on essaie à travers le groupe de nous réinventer un peu nous-mêmes et de casser un peu les choses et de réfléchir. Pour moi, c’est ça le queer et c’est ce qui me touche dans cette cause-là et c’est pour ça que je me sens proche de toutes ces pensées dont parlait La Bête.

Ma : En plus du truc de la nuit qui est hyper important dans ces lieux, ces causes, ces luttes et ces musiques, y’a ce truc de nouvelle peau qu’on a voulu se donner à travers des morceaux. Moi je sais que Mal Banal c’est une mue, c’est un moment de ma vie que je laisse derrière moi, comme un phasme ou un serpent qui laisse son ancienne peau. Je pense que celle-là est assez identifiable et caricaturale dans ce sens-là, se débarrasser d’une certaine vision de soi ou d’un poids et de le faire sous la forme de la confession et de l’auto-critique. Et ça, ça a une portée sociale aussi, parce qu’au final, ce que j’attaque c’est la gauche caviar dont je viens, c’est la masse molle parisienne dans laquelle j’ai grandi dans mon adolescence, qui est un peu politisée sans l’être, qui n’est pas si riche mais qui n’est certainement pas pauvre et qui en fait t’amène de la graisse autour du cerveau. Donc je pense que y’a ce truc de s’inventer vraiment et qui va prendre des formes très différentes selon les membres du groupe.

M.C. : On le fait avec notre bagage personnel, mais c’est avec l’espoir de donner envie aux autres de le faire.

LVP : Moi ce que je trouve intéressant de vos paroles, c’est qu’elles racontent toutes des choses très fortes, hyper personnelles mais qui vont frapper tout le monde et qui touchent l’universel avec les gens qui se retrouvent là-dedans. Y’a un côté entertainment dans la forme mais qui devient malade dans le fond. J’ai écouté l’album en tant que pur divertissement et après en écoutant uniquement les paroles, tu vois que y’a des choses qui vont fatalement frapper les gens d’une manière ou d’une autre. Et tu le vois dans les réactions sur les réseaux sociaux ou aux concerts, les gens sont marqués parce que ça les touche dans l’intime.

E.D.
 : Ce que tu dis c’est que c’est pas forcément accessible directement dans notre musique. Et c’est ça qui est intéressant dans le processus de fans ou de gens qui nous parlent, au fur et à mesure y’a des choses qui se passent. C’est un long processus.

L.B. : L’intimité on peut pas la dévoiler comme un paquet de chips. (rires) Ce qui fait sa valeur c’est sa préciosité, on peut pas la donner comme un drop de trap ou un drop de dubstep (les autres acquiescent). Nous on y met quelque chose qui va t’amener à ça mais il te faut une écoute, il faut que tu le digères et que tu comprennes ce que ça vient de dire. C’est ça la force de l’intimité, et nous on s’est placés en tant que spectateurs, en se demandant ce qu’on voudrait qu’on nous dise à nous. Du coup, on s’est placés dans cette position et ensuite on a fait notre travail d’auteurs et on a écrit. Mais le premier truc qu’on a fait c’est ce que toi tu as fait en écoutant, de redevenir des ados de 15 ans qui avaient besoin de leur musique dans leurs oreilles pour prendre le bus le matin.

M.C. : D’avouer notre truc un peu honteux et d’en faire une bonne chanson, c’est une manière de dire aux gens qui peuvent se reconnaître qu’ils sont pas tout seuls.

LVP : Le fait d’être à cinq ça doit vous aider aussi.

Ma : Déjà à la composition, personnellement je serais pas à l’aise aussi loin dans la lucidité ou dans le message que je voulais dire par exemple dans Mal Banal, j’aurais pas été aussi cru si j’avais pas été soutenu et encouragé. La censure, elle commence en soi et c’est le groupe qui te permet d’aller dans l’émulation et d’écrire mieux.

E.D. : Les thèmes on les avait intimement, personnellement, on avait les impulsions premières mais de là à écrire ces mots là, d’aller au bout du truc c’était impossible de le faire tout seul.

: Moi j’aurais pas écrit de chanson par exemple.

L.B. : On a besoin de personne pour intégrer en nous des choses qui vont nous empêcher de parler mais tu as besoin des autres pour te créer un cocon, un endroit où tu vas te déconstruire pour ensuite te réinventer.

LVP : Je voudrais parler des nouveautés de l’album. Déjà y’a Mus qui chante. J’ai été un peu surpris, j’ai toujours cru que t’étais muet. (rires)

M : Tout le monde a toujours cru que j’étais muet, que j’avais rien à dire même, moi le premier. Ça rejoint ce qu’on disait avant, je me serais jamais imaginé écrire une chanson et la chanter encore moins sur un truc qui est vraiment intime pour le coup si on m’avait pas poussé à le faire et je trouve ça hyper beau et hyper cool. Et c’est un peu tout le principe et tout le fondement de base de Bagarre, de chacun les uns les autres se tirer vers le haut, et de prendre place et statut au même titre que les autres. Non c’est hyper cool, c’est hyper nouveau, c’est hyper excitant… Et je chante, ouais les gars.

Ma : Même son morceau, m’a intimement permis de dire quelque chose à travers lui. J’ai fait les refrains, un peu comme la diva de R’n’B dans les morceaux de rap. C’est un sujet que je voulais aborder sans savoir par quel bout le prendre. Un peu comme Béton Armé. On avait envie de parler des attentats et parfois c’est pas toi qui va avoir les mots c’est le copain d’à côté et toi t’es là en soutien. Finalement ça passe par cet entonnoir qui s’appelle Bagarre et toi tu t’y retrouves totalement.

LVP : L’autre nouveauté c’est que c’est la première fois que vous travaillez avec des personnes extérieures, qu’est ce que ça vous a apporté ?

M.C. : En fait ils sont arrivés à la fin, quand on avait déjà toutes les maquettes finies. Des gens qui avaient déjà l’expérience de faire un album, et c’était un pur regard extérieur qui nous a permis de prendre du recul et de faire le tri quand nous on était tous la tête dedans. De nous dire de faire moins de chansons, dans certaines structures d’aller à l’essentiel.

E.D. : Et puis rendre 2-3 trucs un peu plus efficaces. On s’est beaucoup penché sur les textes, on avait beaucoup de choses à dire, la plupart des morceaux duraient 5 minutes avec plein de choses c’était foisonnant donc il fallait un peu couper.

LVP : Et puis vous n’avez pas bossé avec n’importe qui non plus.

L.B. : Mais justement, je pense que le truc qu’on a retenu du travail avec des producteurs extérieurs et surtout plus âgés c’est qu’en fait on était assez maîtres de nos idées, que les ambitions elles venaient de nous, qu’on était les seuls à pouvoir maîtriser l’alchimie musicale de Bagarre. Par contre, là où on allait avoir du mal c’était sur l’organisation de musiciens. Donc on est plus des poètes si on veut, mais dans le beatmaking ardu, j’ai vachement travaillé avec Anyone de Aamourocean. On a travaillé ensemble on a eu beaucoup de dialogue et c’est un mec qui fait des trucs très très précis et qui m’a fait beaucoup progresser. Et après avec Guillaume (The Shoes) et GrandMarnier, eux ils ont vraiment eu le truc de dire «  vous avez 20 morceaux, mais on va garder celles-là ». En fait, ils ont fait un shortcut, on leur faisait part de nos doutes et ils nous stimulaient et nous faisaient faire des choix. C’était un peu plus Pascal le Grand Frère que Philippe Etchebest.

Ma : Après c’est pas trop un hasard si on a bossé avec eux. Yelle, c’est un truc qui va piocher un peu partout musicalement et la curiosité et l’intérêt de GrandMarnier pour le projet Bagarre c’est justement ce côté protéiforme et les influences musicales assez variées. Et The Shoes pareil, qui sont d’excellents producteurs où y’a quelque chose d’efficace avec plein de couleurs différentes. Et c’était assez marrant de les avoir tous les deux ensemble dans le lab quand on était en Bretagne.

M.C. : Ils sont très différents mais vraiment complètementaires.

L.B. : C’est un peu la pop et le rock.

LVP : Je vais revenir sur un truc que j’avais dit avant. L’influence que vous avez sur les gens, c’est quelque chose qui vous marque ?

Ma : Je sais pas si on en est conscients.

E.D. : Si quand même. On sent qu’il y a autour de nous une espèce de noyau dur qui nous conforte dans le fait que c’est important et qu’il y a quelque chose de vraiment vital dans ce qu’on fait. De quelque chose qu’on se dit entre nous ça devient quelque chose…

Ma : Qui sert aux gens. De dire les choses très clairement et très fort ça permet à d’autres gens de s’y reconnaître vraiment.

M : Au-delà du fait que ça puisse nous conforter, y’a quelque chose d’hyper motivant et réconfortant, tu te dis que tu sais pourquoi tu fais ça et ça te donne envie d’y aller encore plus fort.

L.B. : Pour ma part, je sais que c’est peut-être la seule raison pour laquelle je le fais. En fait, et je sais pas jusqu’où je vais aller dans ce que je vais dire, la musique ça m’a amené là où je suis. Sans ça j’aurais jamais été ce que je suis, ça m’a aidé à quasiment tous les moments de ma vie. Je le fais quasiment pour le moi du passé, pour un plus petit moi ou un plus grand je sais pas. Du coup l’influence, je sais pas si c’est le bon mot. Tu donnes à quelqu’un un truc qui va lui servir et effectivement, c’est un vrai don qui est à la base de mon envie de faire de la musique.

LVP : En fait même si t’aides une personne, t’as tout gagné.

L.B. : Tu parlais des réseaux sociaux tout à l’heure. Tu sens que les gens s’accaparent la musique et pas à moitié, c’est pas juste « ouais c’est cool » mais plutôt « ah putain, c’est exactement ce qu’il me fallait ». Et c’est juste ce qu’on recherche et nous aussi on consomme la musique comme ça.

Ma : L’idée c’est de pas faire un truc décoratif mais de faire un truc qui est toujours vital. Déjà pour nous je pense, on se rend service en faisant ces morceaux-là, on règle des trucs et par ricochets ça va vers les gens. Moi par exemple j’ai un truc avec les ballades et le fait d’aller chercher la mélancolie parce que j’ai été aidé par des morceaux qui m’ont aidé permis de combattre les trucs difficiles de la vie. Et moi c’est ce que je recherche.

LVP : Justement tu parles de mélancolie et l’album est hyper mélancolique.

Ma : La mélancolie dans une main et le pogo dans l’autre. (rires)

L.B. : Mais la mélancolie c’est le pH neutre.

LVP : Mais c’est pas quelque chose de négatif justement, faut savoir vivre avec la mélancolie.

Ma : Ouais, c’est vrai.

M.C. : C’est marrant, j’ai l’impression qu’on a un public qui se rajeunit un peu et moi ça me touche beaucoup. Et j’ai l’impression qu’il y a une nouvelle génération un peu émo et qui ose dire ce qui les blessent et la tristesse. Moi je trouve ça hyper bien que Bagarre ça plaise à ces jeunes-là.

LVP : Vous avez rempli la Cigale (l’interview a été faite en mars, ndlr) mais est-ce que c’est pas plus important de ramener du monde en province ?

E.D. : Ca veut pas dire la même chose, c’est clair.

Ma : Par exemple ce soir, on est autour de 500 à Lille, même plus, et ça c’est vraiment un truc de ouf. La première fois qu’on est venus à Lille t’étais là et on était 12 (un peu plus quand même), après y’a eu le Zénith avec Fauve, le Grand Mix et à chaque fois y’a plus de monde. On est étonné à chaque fois, des villes où on a jamais joué, y’a des gens, qui sont présents et qui chantent les chansons. Et ça c’est le truc le plus beau au monde.

E.D. : Les gens qui chantent toutes les paroles du nouvel album, qui te regardent les sourcils un peu baissés et tu sens que c’est important pour eux.

M.C. : C’est plus gratifiant de remplir une salle de province où tu sais que les gens viennent vraiment pour toi et pour le concert.

L.B. : C’est le vrai Graal. On se fait pas chier à chanter et à se déclarer horizontaux si à la fin tu ne vis qu’à Paris dans la centralisation de tout ça. Et ce qu’on aime et ce qu’on recherche, qu’on a essayé de faire avec les club makers, c’est de rassembler et d’être inclusif. Etre populaire en province c’est la vraie popularité.

M.C. : C’est vrai qu’en ce moment on vit des choses assez précieuses. Si on remplit des salles de 500 personnes, ils viennent pas juste parce que Bagarre c’est connu et que ça passe à la radio. Ils viennent parce qu’ils nous aiment vraiment et parce que c’est important pour eux.

LVP : Et puis y’a des gens qui reviennent. Beaucoup. (rires)

Ma : Ca c’est cool ! On a vu sur la première date de la tournée à Strasbourg que y’avait plein de gens qui étaient venus aux Eurockéennes en 2016 et qui avaient encore ce souvenir en tête et qui sont revenus pour ça.

LVP : C’est le bouche à oreille ça. Parce qu’au final les gens qui parlent de Bagarre, ils parlent essentiellement du live. Vous avez cette capacité à attraper les gens et que vous jouiez 30 minutes ou 1h15 c’est la même chose pour vous. Par exemple, mon père est hyper fan de vous par le live, alors qu’à la base c’est pas vraiment son univers.

Ma : C’est vrai que c’est un truc qu’on entend énormément « ah c’est pas ma musique mais j’ai adoré ». Ils accrochent à l’énergie ou au truc, je sais pas trop.

M.C. : La sincérité.

LVP : Y’a un truc vrai qui se dégage.

Ma : Après, remplir La Cigale c’est vraiment une fierté, on crache pas dans la soupe non plus.

M.C. : On crache pas sur La Cigale, on aime les insectes. (rires)

LVP : J’ai ma question con pour finir : c’est quoi comme genre de musique Bagarre ? (rires) En vrai je voulais savoir si vous en aviez pas assez qu’on vous demande ça.

E.D. : On nous la pose de moins en moins.

Ma : On dit Musique de Club et les gens disent « ah ! ».

M.C. : On a un peu réussi à gagner la bataille de la question con, on a trouvé une réponse vraiment pas con et on est presque con-contents d’y répondre. (rires)

Ma : C’est pas vraiment une question con, c’est juste que c’est difficile d’y répondre. C’est comme quand on nous demande « pourquoi Bagarre ?  », au final on a réussi à trouver, on a des raisons de se battre, et c’est vrai que c’était difficile à formuler.

M :
Ce qui est le plus chiant dans ce genre de questions c’est que ça revient vraiment au truc de case, de dire aux gens où on peut te mettre pour qu’ils puissent capter le délire.

LVP : Dans quel bac à la Fnac on peut te caser…

M : Ouais exactement.

Ma : Même si c’est de moins en moins présent.

L.B. : Le vrai combat de cette question c’est pas comment on y répond, mais plutôt comment leur faire comprendre que non seulement leurs cases sont trop grossières pour te résumer et en même temps pas assez précises pour t’expliquer avec nuances. Et donc le nouveau truc c’est de leur dire d’aller à la rencontre, d’aller vers ce que les gens écoutent et vivent.

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