Une conversation avec Hubert Lenoir
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Auteur·ice : Charles Gallet
22/08/2019

Une conversation avec Hubert Lenoir

Parmi les découvertes musicales de l’année en France, personne n’a pu passer à côté du Québécois Hubert Lenoir. Darlène, son premier album, est une véritable déflagration pop qui n’a pas pu vous laisser indifférent. Alors qu’il s’apprête à revenir cet automne avec notamment un passage au Bataclan, retour sur une rencontre un jour d’avril ensoleillé où l’on a parlé de sa musique, de son parallèle avec l’œuvre littéraire de Noémie Leclerc et du fait qu’il est parfois important de demander aux gens comment ils vont.

La Vague Parallèle : Salut Hubert ! La première question qu’on pose toujours, c’est : comment ça va ?

Hubert Lenoir : Ça va bien. C’est la question que vous posez toujours ?

LVP : On demande toujours aux gens comment ça va parce que c’est important de savoir comment les gens se sentent, je pense.

H.L : Tout à fait raison, en soi on le néglige. Et toi ça va ?

LVP : Ça va super, il fait beau, tout va bien. Finalement ton album a quasiment plus d’un an, est-ce que tu trouves une nouvelle fraîcheur à le rejouer devant un public qui l’a découvert plus récemment ?

H.L : Ouais vraiment, parce c’est sûr que les gens vont quand même connaître l’album, c’est mon deuxième show à Paris. Et puis il y a le fait qu’il y a une belle part d’improvisation dans le spectacle, pour moi c’est toujours facile de retrouver une fraîcheur dans les arrangements, parce que les arrangements changent beaucoup… Ça peut toujours varier tout le temps, comme tu peux le voir il y a un effet de surprise, donc non c’est bien, ça va pour l’instant.

LVP : Ce projet-là c’est un projet protéiforme en fait, c’est musical, littéraire… J’ai entendu dire qu’il y allait avoir un film, aussi ?

H.L : Malheureusement non, ça coûte trop cher mais on aurait aimé. Mais pour moi ça reste quand même littéraire et musical.

LVP : Est-ce que tu peux raconter comment vous êtes arrivés à ce projet-là avec Noémie (Leclerc), si vous l’avez imaginé ensemble ou si c’est l’un qui a inspiré l’autre ?

H.L : En fait, quand on commençait à écrire, j’étais pris dans ma vie de banlieue un peu normale avec mes parents, d’ailleurs j’habite encore chez eux. Et puis Noémie c’était aussi un peu la même situation de vie, fin de l’adolescence, début de l’âge adulte. Moi je voulais écrire un album, je sais que je voulais quelque chose de conceptuel, je savais que je voulais quelque chose de grandiose. En parallèle, Noémie a écrit un roman. Elle a commencé à écrire, puis rapidement on s’est rendu compte qu’on écrivait quand même la même histoire, donc on a joint nos forces. Ça a pris cinq mois pour travailler chaque jour, moi j’écrivais la musique, elle, elle faisait son roman et me faisait lire ses chapitres, moi je lui faisais écouter mes trucs puis on a commencé comme ça.

LVP : Tu parlais de concept sur ton album, est-ce que c’était important pour toi d’avoir une ligne directrice et de raconter ton histoire plutôt que de faire une collection de tubes, un truc un peu plus simple ? Parce que je trouve que l’album ne s’écoute que d’une traite, en fait.

H.L : C’est une bonne question. Toi, tu l’écoutes d’une traite ? Je pense que c’est la meilleure façon d’écouter un album, sinon je ne vois pas pourquoi on continuerait à faire des albums. Des fois les gens disent que l’album est mort, après ça dépend, pour moi, un album, ça peut-être l’idée de faire… Ce n’est pas vrai qu’on est dans un monde seulement de singles, parce que sinon les gens arrêteraient, je veux dire, le monde continue quand même encore à sortir des albums, le format de l’album a quelque chose qui est intéressant, du moins avoir une collection de chansons qui sont ensemble, qui sont rattachées. Pour moi il y avait quand même cette idée-là, oui, d’écrire un album. Sans prétention, je pense que je suis capable d’écrire beaucoup de chansons pop, j’ai quand même ce goût et désir-là, mais je pense que je préfère écrire des albums que des chansons, je suis plus un auteur d’album qu’un auteur de chanson. C’est ça que je veux faire dans le futur aussi, mais après il y avait quand même le désir d’avoir des trucs pop, parce que l’influence principale, c’était genre Purple Rain de Prince. En fait c’est juste ma façon d’écrire, j’écris d’une façon pop parce que je questionne le culte dans le milieu artistique, tout le monde veut être plus profond les uns que les autres, je trouve que d’être pop c’est un peu la chose la plus punk à faire.

LVP : C’est vrai… J’avais lu quelque part que tu ne venais pas forcément d’une famille très axée sur la musique ?

Non.

LVP : Est-ce que c’est ce qui t’a poussé à cette curiosité et au fait qu’il n’y ait pas de style défini dans ta musique, c’est-à-dire que tu brasses tout un tas d’influences différentes ?

Je pense que c’est quand même peut-être en partie à cause de ça, parce que j’ai l’impression que venir d’un certain milieu  joue, par exemple un père va montrer à son enfant comment jouer de la guitare, il va lui montrer, je ne sais pas, Jimmy Hendrix, ça va peut-être un peu teinter tout ce qu’il va faire, parce qu’il va avoir cet attachement fort à un instrument ou à un style en particulier, parce qu’il va toujours revenir dans des espèces d’influences. Je pense qu’on est marqué par la première forme de culture qu’on a. Moi, la première forme de culture que j’ai eue c’était la TV, la radio commerciale, je pense que c’est venu teinter à jamais ce que je vais faire. Dans Darlène je pars sur des influences de jazz, je peux aller dans plein de directions… J’ai cet attachement-là à la pop culture qui n’est vraiment pas nécessairement un amour pour ça, mais plus juste lié au fait que c’est de là que je viens.

LVP : Ce qui t’intéresse, c’est plus la musique plutôt que les genres ?

H.L : Exactement, ouais.

LVP : Et ça t’es venu d’où, l’envie de créer de la musique, si tu n’as pas baigné dedans ?

H.L : C’est à l’école, au lycée, j’ai eu un déclic. En fait c’est des amis qui m’ont fait découvrir des trucs, des trucs de rock que justement leurs parents écoutaient. Ça m’a intéressé, puis grâce à internet j’ai pu découvrir, creuser. À un certain point c’est ça qui est incroyable avec internet et notre génération ; tu sais moi en ce moment je connais plus la musique des années 70 plutôt que la pop de notre époque, parce que je m’y suis intéressé ! Mais ça, dans un sens, c’est que tu peux choisir un peu ce qui te branche, ce qui ne te branche pas. Je peux te jurer que je connais plus que quelqu’un qui a grandi à cette époque-là, je connais vraiment beaucoup de choses, je connais les musiciens qui ont joué sur les disques, tu sais, donc c’est ça qui est intéressant aussi.

LVP : Ce que j’ai aimé sur ton album c’est que tu commences avec un triptyque justement, et on se demandait, c’est qui pour toi la « fille de personne » ? Parce qu’il y a un propos peut-être pas politique mais presque, là-dedans.

H.L : Fille d’Harlem. En fait Fille de personne je l’ai écrite pour quelqu’un. On me pose la question des fois, si c’est une chanson féministe, ben pas tant que ça. Je ne pensais pas nécessairement à ça quand je l’écrivais. Après je suis d’accord que ça donne un certain poids politique, parce que les gens peuvent se l’approprier, j’ai entendu des histoires de filles que ça a touchées, influencées d’une certaine façon, alors oui ça a un poids politique mais sur le coup ce n’était pas nécessairement un geste politique.

LVP : Ton album parle de liberté, d’acceptation, que cela concerne femmes ou hommes, même toi à travers tes lives tu dégages cette idée d’acceptation de soi et de liberté par rapport à ta personne.

H.L : Ben, l’émancipation, c’est quand même le thème principal sur l’album, parce que c’était ce dont j’avais besoin à l’époque, besoin d’émancipation. C’est autobiographique parce que j’avais besoin de raconter, de parler de ça. Puis je pense qu’en même temps c’est l’émancipation de tous, parce que tu peux parler de l’émancipation des identités sexuelles, l’émancipation de sa famille, ça peut s’appliquer à tout, ce sujet est large.

LVP : Sur ton projet précédent tu chantais en anglais, là tu es revenu au québécois, est-ce que c’était voulu, parce que le sujet était plus personnel ou le choix de la langue était inconscient ?

H.L : C’était voulu dans le sens où je ne l’ai pas réfléchi. Le fait que le roman (ndlr : de Noémie Leclerc) soit en français était le motif principal, mais j’ai toujours écrit dans les deux langues. Non, c’est juste qu’au départ j’étais embarqué dans un groupe où le truc c’était de chanter en anglais, j’aurais aimé sortir plus de choses en français, même avant, mais c’était le groupe qui ne voulait pas, en fait. Mais je continue d’écrire dans les deux langues, il y a une pièce en anglais quand même sur l’album, la raison étant qu’il a un personnage anglophone présent dans le roman. Mais non, j’écris dans les deux langues tout le temps, j’ai encore des chansons en anglais, je vais peut-être faire des trucs avec. Pour moi, la langue n’est pas importante, je ne m’en étais pas rendu compte, quand j’ai fait l’album je le faisais écouter à des amis, puis ils écoutaient et ils disaient « ah, c’est en français ! », j’avais comme oublié de le mentionner. Pour moi ce n’était pas nécessairement le truc important, je ne contextualise pas ma musique dans une langue en particulier, de toute façon.

LVP : Tu as tourné à travers le monde avec cet album-là, j’ai l’impression que ta musique frappe les gens de partout de la même manière, est-ce que tu vois la différence entre les publics selon les pays ?

H.L : Non pas tant, non, je pense que les gens sont différents à travers les pays quand même, leur mœurs, etc. Ce qui est intéressant avec la musique, c’est que du moment où tu es dans une boîte comme La Maroquinerie, quand la musique commence les réflexes sont les mêmes, on est tous des êtres humains, et c’est ça qui est cool, c’est que la musique c’est vraiment un langage universel parce que les gens réagissent aux même choses… En fait non, vraiment pas, c’est ça qui est magnifique. Je ne parle pas beaucoup dans le spectacle, je ne fais pas de longs monologues, on laisse parler la musique.

LVP : Est-ce que tu as des coups de cœur récents en films, en musique ou en livres que tu as envie de partager avec nous ? Un truc qui ta marqué, que tu as découvert.

H.L : Un groupe de soul des années 1970 qui a fait des trucs vraiment cool qui s’appelle Champagne, fin 70s, début 80s, de la très belle musique soul, pop. Sinon Mark Murphy, un chanteur jazz, c’est André mon saxophoniste qui m’a introduit à lui, c’est un Anglais je pense. André a déjà joué avec lui une fois, selon lui c’est l’un des meilleurs chanteurs jazz au monde et c’est vrai que c’est une grosse information parce que maintenant il n’est plus très connu, mais quand même assez reconnu dans le milieu. Puis en très très bon aussi je pense à un rappeur que j’écoutais aussi, qui est en train de monter, Octavian, un rappeur anglais. Je trouve qu’il a réussi à s’approprier la trap, que je pensais un peu sur la fin, et je trouve qu’il lui donne une nouvelle dimension.

Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour le futur ?

Du bonheur.