Une conversation avec Methyl Ethel
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Auteur·ice : Océane Briand
18/02/2019

Une conversation avec Methyl Ethel

Il est certain qu’il y a quelque chose de magique qui traîne dans l’air australien et ce, depuis quelques années maintenant. On n’arrive même plus à compter le nombre de talents qui déferlent sur nous les uns après les autres et qui nous entraînent dans cette vague de psychédélisme  : Pond, Tame Impala, King Gizzard And The Lizard Wizard ou encore Methyl Ethel. Après deux albums qui nous ont littéralement scotché (Oh Inhuman Spectacle, Everything Is Forgotten) Methyl Ethel revient ce 15 février avec un troisième opus intitulé Triage. Pour l’occasion, on a parlé d’émotions et du passage à l’âge adulte avec Jake Webb, à la tête du trio.

LVP : Tout d’abord, peux-tu nous dire d’où vient le nom du groupe ? Son histoire en quelques mots ?
Jake Webb : Mon père travaille dans l’industrie de la fibre de verre. J’ai commencé à lui apporter mon aide de temps en temps quand j’avais 15 ans et je continue à le faire, d’ailleurs. L’un des produits chimiques que nous utilisons s’appelle le peroxyde de méthyléthylcétone. J’ai en quelque sorte changé le nom du produit pour créer le pseudonyme du groupe qu’est Methyl Ethel.

LVP : Triage est donc le troisième album du groupe. Comment te sens-tu par rapport à sa sortie ?

Jake Webb : À ce stade, je pense que je suis un peu confus par rapport à tout ça. Le temps a tellement passé depuis qu’on a terminé l’album que je ne sais même plus ce que je ressens, j’ai un peu peur.

LVP : Peux- tu me décrire Triage en trois mots ?

Jake Webb : Je ne pense pas que j’y arriverais malheureusement.

LVP : Tu as mis un an à faire l’album Everything Is Forgotten mais j’ai l’impression que ça a été plus long pour Triage. Est-ce qu’il y a une raison particulière à cela ? Peut-être que c’était un album plus difficile à réaliser dans la façon dont tu voulais que la musique et les paroles se distinguent de ce qui a pu être fait auparavant ?

Jake Webb : Je ne pense pas que ça ait pris plus de temps, c’est juste que cette fois-ci j’ai prêté plus d’attention à certains détails, ce qui n’était pas forcément le cas avec l’album précédent. J’ai passé des heures et des heures à bosser sur le premier album. J’aime prendre mon temps avec les choses plutôt que de me précipiter. Cependant, je peux aussi travailler assez rapidement.

LVP : Tu as composé et produit les deux premiers albums ainsi que ce troisième opus. Quand tu écris seul, penses-tu être trop influencé par ton propre vécu ou que tes émotions prennent trop d’ampleur dans tes compositions ?

Jake Webb : Oui, je suis tout à fait conscient de ça. C’est une tâche difficile à réaliser que de transformer ses propres expériences en des morceaux pop à travers lesquels chacun peut se retrouver. Mais s’il y a une chose que je connais assez bien pour écrire dessus et ce, d’une façon honnête, c’est bien ma vie et l’expérience que j’en tire.

LVP : Est-ce que par moments tu as manqué d’inspiration pendant la composition de l’album ?

Jake Webb : Je me suis senti assez épuisé à quelques reprises et je ne voyais pas d’autres solutions que d’arrêter un moment pour faire une pause et lire quelques bouquins. Je crois qu’une semaine sur deux, je me sentais comme privé de tout ce que j’arrivais à faire musicalement parlant. Mais je pense que c’est tout à fait normal. Il y a d’ailleurs tellement d’œuvres dans le monde qui m’inspirent et ça m’aide. Je suis aussi entouré de beaucoup de personnes créatives.

LVP : Oh Inhuman Spectacle et Everything Is Forgotten sont deux albums centrés sur les émotions, comme si tu étais piégé par ces dernières alors qu’avec Triage c’est différent. On pourrait croire que tu tiens à tout prix à t’en libérer car elles te retiennent prisonnier depuis des années. Qu’est ce que tu peux nous dire par rapport à ça ?

Jake Webb : Ces sentiments que je ressens sont la principale raison pour laquelle je fais ces chansons et que je les tourne en quelque chose de personnel. Il y a beaucoup de gens qui viennent vers moi et me demandent de façon assez froide “Quelle est l’histoire de ce morceau ?”, etc. J’espère avoir quelques retours de la part des gens qui écouteront notre album. Car quand les gens prêtent vraiment attention à la musique, ils me racontent exactement ce que j’essayais de transmettre comme message et ça me fait plaisir. Et pour répondre à ta question, tu n’as pas tort, je suis tout à fait d’accord avec toi.

LVP : Le nom de l’album a également beaucoup de sens. On a comme l’impression qu’il y a ce désir de faire le tri dans les émotions.

Jake Webb : C’est exactement le sens du titre de l’album, faire le tri dans tout ça. C’est aussi un magnifique mot.

LVP : Il y a une vraie évolution dans la façon dont tu as écrit ces trois albums. Les deux premiers semblent principalement basés sur les choix que nous sommes amenés à faire au cours de notre existence et les complexités qui peuvent éventuellement s’ensuivre. On ressent une forme d’indécision de manière plus générale. Mais concernant Triage c’est différent, on pourrait parler d’une sorte de prise de confiance en soi. Il donne aussi l’impression de raconter l’âge adulte et démontre une certaine forme de maturité. Est-ce que c’était le but recherché ?

Jake Webb : C’est une excellente analyse de l’album. Il y avait cette intention tant dans la prise de maturité musicale que personnelle. Et je ne sais pas si c’est une coïncidence mais une grande partie de mon année a consisté à lire L’âge De Raison (Sartre) et me renseigner sur la peinture de Loribelle Spirovski, qui est par ailleurs la pochette de l’album. Le concept du passage à l’âge adulte c’était mon idée pour cet album bien qu’un peu ironique. Avec ça je veux dire, atteindre un âge de raison c’est comme recourir à une sorte d’éveil spirituel pour au final y trouver le vide ou rouler jusqu’à la crête d’une montagne et voir que les nuages se dissipent pour révéler encore plus de montagnes.

LVP : Tu as une voix androgyne et ça peut parfois porter à confusion quand on écoute tes chansons, quelle est ta position par rapport à ça ?

Jake Webb : C’est une intention de ma part. J’essaie autant que possible de ne pas attribuer de genre à ma voix ou aux paroles des chansons que j’écris. Je veux que ma musique soit la conversation de chaque personne sans y attribuer de genre.

LVP : Pour parler un peu de la pochette de l’album, il semble que tu as toujours été fidèle à l’art. Qui a eu l’idée d’utiliser cette image pour la pochette de l’album, ainsi que pour les autres ? Est-ce que l’art occupe une place importante dans votre projet ?

Jake Webb : J’adore la façon dont l’art visuel encourage la discussion. Peu importe si tu t’y connais ou non, chacun peut donner son propre avis. Pour ce qui est de l’art, c’était mon choix car tout d’abord c’est une façon pour moi de partager le travail d’autres artistes que j’aime avec le monde. J’adore aussi l’énigme que ça crée tout en construisant un monde visuel rattaché à la musique.

LVP : D’ailleurs, le nom du groupe n’apparaît jamais sur les pochettes, est- ce qu’il y a une raison à cela ?

Jake Webb : Ça serait un crime d’étiqueter d’aussi belles images avec du texte.

LVP : Le groupe a annoncé plusieurs dates de tournée pour promouvoir ce troisième album, est-ce qu’il y en a une de prévue pour vos fans français, ou même des dates européennes ?

Jake Webb : Pour bientôt j’espère.

LVP : Dans les deux premiers albums, tu as quelques fois utilisé des titres en français pour tes chansons : Femme Maison, L’heure Des Sorcières ou encore Idée Fixe. Pourquoi ?

Jake Webb : Je trouve que c’est une langue magnifique et le langage est quelque chose de beau de façon générale. Le fait que beaucoup de mots peuvent se perdre dans une traduction est assez magique.

LVP : Votre groupe est parfois comparé à Pond pour son côté psychédélique et vous avez aussi fait quelques-unes de leurs premières parties. Est-ce qu’ils font partie de vos inspirations ?

Jake Webb : Ce sont des personnes géniales, des vieux copains qui viennent de Perth aussi et donc c’était vraiment cool. Bien sûr qu’ils sont une inspiration pour nous et j’espère que c’est réciproque !

LVP : Vous venez tous de Perth, comme Tame Impala. Comment expliques-tu le fait que cette ville soit devenue le centre de la musique psychédélique aussi rapidement ? Est-ce qu’il y a quelque chose dans l’air australien qui vous pousse au psychédélisme ?

Jake Webb: Pour ce qui est du psychédélisme je ne sais pas, il y a beaucoup de gens très talentueux, créatifs et qui travaillent dur à Perth. Être entouré de ces personnes est la seule chose dont tu as besoin pour avoir de l’inspiration. Sinon les loyers sont pas chers là-bas et les maisons plutôt grandes.

LVP : Peux nous dire quels groupes t’inspirent le plus dans la création de ta musique ?

Jake Webb : Ceux qui m’inspirent le plus sont les groupes qui se renouvellent le plus possible et ce, en permanence.

LVP : Des coups de cœurs musicaux ou littéraires à partager avec nos lecteurs ?

Jake Webb : J’aime bien l’album Kirkis II de Kirkis et Be The Cowboy de Mitski. Côté littérature, je lis Oblivion de David Foster Wallace et c’est super !

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