Une conversation : Isaac Delusion
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Auteur·ice : Charles Gallet
07/11/2018

Une conversation : Isaac Delusion

La dernière date d’une tournée n’est sans doute pas le meilleur moment pour faire une interview classique d’un groupe, mais c’est sans doute le bon moment pour faire un bilan et prendre un peu plus de liberté dans le ton et les questions. C’est à l’occasion du Coda Festival à Bondues, la dernière date pour la tournée de Rust & Gold, que nous avons rencontré Isaac Delusion. On en a profité pour parler musique, cinéma, spiritualité et futur.

La Vague Parallèle : C’est votre dernière date sur la tournée, vous tirez quel bilan de cet an et demi ?

Jules : Je ne sais pas si on est tous d’accord mais je trouve qu’on n’a pas assez joué. J’aurais bien joué plus. Mais bon, quand on aime jouer, on a toujours envie de jouer plus. Donc c’est plutôt une bonne chose.

Loïc : Moi, je suis assez content de ce qu’on a fait. Ça a été une belle aventure, comme d’habitude. J’ai un seul regret, c’est que j’aurais aimé qu’on joue un peu plus à l’international. Je trouve qu’on n’est pas beaucoup sorti de France sur cet album, ce qui n’avait pas été le cas de l’album précédent où on avait quand même réussi à faire des tournées internationales. Là, c’était un peu plus français quoi. Mais en tout cas, c’était carrément cool parce qu’en fait il faut savoir qu’on est parti avec une nouvelle équipe sur cette tournée. On a rajouté un membre, Cédric, notre batteur, qu’on n’avait pas sur la tournée précédente et des techniciens avec lesquels on ne travaillait pas. Donc voilà, ça a été un peu la colonie de vacances. On s’est fendu la poire, ça fait plus d’un an et demi qu’on se marre comme des fous. Ça fait de beaux concerts et de beaux souvenirs. C’est une partie de notre vie qui est gravée dans la roche.

LVP : Est-ce que vous avez l’impression que les gens avec cet album et ce live-là vous ont découverts ou redécouverts d’une manière différente ?

J : Moi, je dirais qu’ils nous ont plutôt redécouverts, j’ai pas l’impression qu’on ait gagné beaucoup de public. Mais on a réussi le pari de pas décevoir du tout les gens qui nous écoutaient et aimaient notre musique en faisant un album qui est quand même différent du premier. Du coup, c’est un beau pari. C’est une belle chose parce qu’on connaît tous des seconds albums de groupe qu’on aime qui nous ont déçu. Quand il y a de l’attente comme ça, souvent nos attentes sont un peu trop élevés et je sais que pour ma part, quand j’adore un premier album, je suis souvent déçu du deuxième. Et là, vraiment, on n’a quasiment pas eu de remarques négatives ou de gens qui avaient l’air déçus. Ça, c’est cool.

LVP : Je vous ai plutôt découverts avec le deuxième album, finalement, donc pour moi le point de comparaison se fait plus sur celui-là. Je l’adore, il est hyper émotionnel. Je vais rester sur le live, on vous présente souvent comme un groupe un peu « planant » mais je trouve qu’il y a un côté plus brut en live. Vous retravaillez vos chansons pour le live justement ?

J : Ouais, carrément. On a toujours cherché à faire des adaptations de nos morceaux pour le live. On n’a jamais cherché à reproduire fidèlement un morceau. En fait, il y a des exceptions comme Midnight Sun qui est un morceau très posé et quand on a essayé de le transformer en un truc plus énergique pour le live, ça n’a pas fonctionné. Dans l’ensemble, on essaye vraiment de faire des versions live et ça marche bien.

L : Ouais, ça a toujours été un boulot à part entière. On a toujours essayé de retourner les morceaux pour le live. D’ailleurs, on se fait un peu prendre à notre propre jeu. C’est à dire que les morceaux en live ont vachement évolué par rapport à l’album et du coup là, avec un an et demi de tournée dans les pattes, on arrive à des interprétations live qui sont limite meilleures que les tracks enregistrées en album. Limite, il faudrait faire des live avant de sortir un album. L’idéal serait de tourner un an avant de sortir l’album car cet album est justement marqué de cette empreinte de live.

LVP : Et justement, ça ne vous donne pas envie d’en faire quelque chose ?

L : Si si, on est sur un plan justement. On essaye de voir si on ne peut pas faire un album live.

J : On avait prévu dès le début de la tournée d’enregistrer les concerts dans le but d’en faire un album. Faut que ça se concrétise. C’est quelque chose qu’on avait envie de faire pour faire découvrir aux gens qui ne nous ont pas vus en live l’évolution des morceaux qui sont vraiment différents.

Cédric : Après le côté planant, moi je pense que c’est un peu une étiquette qu’on a collée au groupe dès le début car les morceaux étaient peut-être un peu planants comme Midnight Sun. Mais c’est pas que ça, il y a aussi des morceaux beaucoup plus dansants, plus rock, plus funky.

LVP : C’est une image difficile à décoller du groupe.

L : Oui et puis c’est l’ADN du groupe. Nos tous premiers morceaux étaient assez ambiants et planants, effectivement.

LVP : Pour vous avoir vus en live à Paris, je trouve qu’il y a une vraie cohésion dans le groupe. On sent que vous aimez jouer et travailler ensemble. Je voulais savoir si ça se traduisait dans la composition également. Comment vous composez, vous le faites en groupe ou chacun amène un peu de son côté ?

L : On a une façon de fonctionner assez particulière en fait. La base des morceaux, en général, est créée par une personne et à partir de cette matière-là, on arrange le morceau tous ensemble. Effectivement, il y a un vrai travail collectif dans l’arrangement mais la ligne directrice est déjà toute tracée donc ça permet de pas trop divaguer et malgré tout d’avoir un travail collectif. C’est une bonne façon de travailler en tout cas, j’apprécie de travailler de cette façon.

LVP : Sur Rust & Gold, pour la première fois, il y a une chanson en français. Ensuite vous avez aussi repris Eddy Mitchell. Est-ce que vous êtes tentés de poursuivre dans cette voie ou c’était juste du one-shot ?

L : On s’était posé la question avant de se lancer dans le troisième album. On se demandait si ça ne valait pas le coup de se concentrer sur le français. Sachant que le titre de l’album avait bien marché en français, « Cajun », et pareil, la reprise d’Eddy Mitchell a beaucoup plu. On y a réfléchi et on a tiré la conclusion que notre son, notre ADN c’était en anglais donc on ne voulait pas trop transformer le projet.

De temps en temps, on aime bien mettre un petit rappel comme quoi on est français. Mais la langue dans laquelle on s’exprime le mieux, c’est quand même l’anglais et on ne veut pas trop s’éloigner du propos de base.

LVP : C’est plus naturel, vous préférez rester sur quelque chose qui vous définit plutôt que de suivre la mode ?

J : C’est ça et justement ça aurait paru trop de suivre la tendance, en sortant un album tout en français. Je sais pas…

L : Ça aurait été un peu opportuniste.

J : Ça aurait moins ressemblé à ce qu’on fait. Là, tu vois, sur le deuxième album, je trouve que c’est une des chansons les moins évidentes qui est en français.

LVP : Justement c’est pour ça qu’elle ressort parce qu’elle ressemble moins à ce que vous faites en général.

J : Ouais, voilà c’est ça. C’est plus dur de faire des morceaux purement pop en français. Enfin, ça nous ressemble pas.

LVP : J’ai une question un peu étrange, qui vient de ma propre analyse.. Je me demandais si la spiritualité c’est quelque chose qui vous inspirait dans l’écriture des chansons ? Je trouve que parfois, il y a des références religieuses et un peu mystiques.

L : Ouais, bah carrément. Pour le deuxième album, on s’est inspiré de la soul donc beaucoup de titres ont cette empreinte. C’est difficile de s’en inspirer sans implanter des références bibliques ou religieuses même si nous, on n’est pas du tout là-dedans. C’est un truc qui va de soi. Au fond, ça a toujours un peu animé la thématique d’écriture, la spiritualité et le côté transe, en tout cas sur les deux premiers albums il y a ce côté mystique et mystérieux.

LVP : C’est vrai que les chansons comme The Sinner, ça fait limite prêche à certains moments. Même le clip tend là-dessus.

L : C’est ça, ouais. Carrément.

J : Voilà, c’est ça, il y a une lecture qui peut être très religieuse mais aussi spirituelle à un autre niveau selon l’interprétation. Les anges dans The Sinner par exemple, chacun les voit comme il le veut.

L : Même le prénom Isaac a une portée un peu biblique, malgré nous.

LVP : Alors de nouveau, une analyse personnelle, vous faites danser les gens sur de la mélancolie. C’est quelque chose qui vous plaît cette antithèse entre des paroles sombres et un rythme dansant ?

J : Il y a une phrase de Flavien Berger que j’ai lue dans une interview, où il dit : « mon rêve ce serait de faire danser et pleurer les gens en même temps ». Et je trouve que c’est un putain de truc. Si tu arrives à faire ça, tu arrives à rassembler tellement d’émotions contradictoires et en même temps qui marchent ensemble. C’est une belle chose si tu arrives à le faire, ça peut pousser à se lâcher et entrer dans une transe. Tu vois la mélancolie, il y a vraiment un état qui fait rentrer dans les souvenirs, dans le passé et du coup qui sort du présent et du lieu où tu es. Quelque chose de transe et de voyage spatio-temporel.

LVP : Ça m’est arrivé à Paris justement, sur certaines chansons j’avais les larmes aux yeux. La musique c’est une expérience hors de soi. T’es sur le moment mais en même temps ça te ramène à d’autres choses derrière. C’est hyper intéressant.

J : Cool ! Tu vois tu parlais de spiritualité, Loïc parlait de transe. C’est vrai qu’avant ce mot revenait tout le temps entre nous. Cette transe, essayer de prendre les gens dans quelque chose. Et voilà, cette transe peut être très religieuse mais elle peut aussi juste être spirituelle, sans mettre des mots ou un dieu dessus. Quand tu parles de sortie de soi, d’élévation en fait, on arrive en fait au sens du mot Isaac Delusion. C’est ce qu’on recherche cette élévation, de sortir quelques secondes et de faire décoller les gens.

L : Pour moi, un bon morceau pop a forcément une part de mélancolie avec des accords sucrés qui t’emmènent et derrière un rythme qui te fait bouger.

LVP : Je voudrais parler de vos clips qui sont hyper cinématographiques, très visuels même dans votre façon de composer. En quoi le cinéma vous influence ?

L : Ouais, ça nous a toujours beaucoup influencés. Je pense que le groupe est très cinéphile. Au début, on essayait d’implanter des références cinématographiques dans ce qu’on faisait. Ça fait partie de nos influences majeures donc ça se ressent dans notre musique. Et les clips et les réalisateurs avec lesquels on a travaillé pour ce deuxième album vont dans la même lignée de besoin visuel et désir de mise en scène visuelle de nos morceaux.

LVP : Et au niveau cinéma, si vous aviez des noms à donner ?

L & J : Il y en a pas mal, Gondry, Wong Kar Wai, Miyazaki…  David Lynch.

LVP : Une bonne base quoi. Kitano ?

J : Ouais bien sûr, l’esthétique asiatique est super intéressante.

L : J’aime beaucoup le cinéma japonais. D’ailleurs les bandes sons de Kitano sont dingues. Hisaichi est un génie. Il a cette espèce de truc, je bosse sur ce genre de mélodie, ça se ressentira sur ce qu’on prépare. Cette espèce de mood, les BO de Hisaichi sont jamais mineures, ne tombent jamais dans le pathos, restent mélancoliques mais il y a une part de gaité aussi.

LVP : Ça reste hyper simple mais ça colle tellement aux images… Comme sur Kikujiro par exemple.

L : Ouais, elle était magnifique cette BO ! Mais toutes ses BO sont trop belles. J’ai vu récemment A Scene At The Sea et la bande originale est superbe… Hana-Bi, pareil. Y’a un savoir chez les japonais sur les mélodies qui est exceptionnelle.

LVP : Bref, on divague… Est-ce qu’être rêveur en 2018, ça reste une nécessité ?

L : Évidemment. C’est pas une nécessité, c’est un besoin.

J : Moi, j’ai arrêté de lire les infos. Je ne sais pas si je dois me sentir coupable de me désintéresser du monde qui m’entoure ou si ça me soulage. Tu peux pas t’empêcher d’avoir un sentiment de culpabilité de quitter et de te désintéresser du monde qui t’entoure alors qu’en politique ou autre, y’a plein de choses qui sont passionnantes mais à un moment c’est tellement dur que tu lâches.

L : On vit dans un monde tellement factice qu’au final, on se demande si rêver c’est pas la chose la plus naturelle à faire plutôt que d’évoluer dans le monde dans lequel on vit qui est complètement à côté de la plaque.

J : Justement, ce matin j’étais en retard parce que je faisais un rêve érotique et c’était vachement bien. Vachement mieux que de lire les infos.

LVP : On en parlait, vous préparez déjà le prochain album. Ça avance bien ?

L : Carrément. Au fur et à mesure des années, on a réussi à synthétiser ce qu’on avait envie de faire. Un peu comme un peintre qui au fur et à mesure de ses œuvres affine son style. On est à un point où c’est limpide, on sait ce qu’on veut. C’est très agréable de plus être dans le tâtonnement. Comme pour le deuxième album, on a mis énormément de temps à le créer. Là, c’est un processus différent, on arrive libéré d’un poids. C’est cool.

LVP : Est-ce que vous avez des coups de cœur récents ?

J : Hmm, Jour barbare, une vie de surf de William Finnegan. Un biopic sur un surfeur. On aime beaucoup le surf, il est super bien.

L : En musique, j’écoute tellement de trucs en fait… Y’a Vietgong en ce moment que j’aime bien. Ils sont déjà connus donc ça sert à rien de faire de la pub. Et puis Ramó aussi, qui est mon voisin.

J : C’est pas récent mais le documentaire The art of killing. C’est complètement malade. Faut le voir. C’est en Indonésie sur des groupes de gangsters qui ont fait une hécatombe avec l’aide de la CIA et tué des milliers de personnes prétendument communistes. Et c’est un régime toujours au pouvoir qui a fait ces horreurs-là, et t’as un mec qui va tourner là-bas et leur propose de faire la reconstitution de ces massacres, car ces mecs-là sont super fiers et sont persuadés d’avoir sauvé leur pays.

Dit comme ça c’est étrange, mais il faut voir le film c’est vraiment incroyable et bouleversant.

LVP : Et une dernière question, un peu conne. On vous caractérise souvent comme un groupe au public féminin. Vous avez un petit mot pour les garçons comme moi qui aime votre musique ? (Rires)

J : Tu as raison de venir à nos concerts, il y a plein de meufs !

L : Si tu apprécies notre musique, tu as dû reconnaître en toi notre petit cœur sensible qui bat pour exister et faire danser les filles.

 

Photos live : David Tabary // Dans Ton Concert

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