Une discussion autour des femmes s’en mêlent
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Auteur·ice : Charles Gallet
03/04/2019

Une discussion autour des femmes s’en mêlent

Cette année les femmes s’en mêlent revient pour une 22ème édition avec une programmation toujours aussi foisonnante où l’on croisera notamment Anna Calvi, Requin Chagrin ou encore nos chouchoutes Silly Boy Blue et Oh Mu. A cette occasion on est allé à la rencontre de Stéphane Amiel, programmateur et créateur du festival pour parler du passé, du présent et du futur.

La Vague Parallèle : Salut Stéphane ! On en est à la 22ème édition du festival Les Femmes s’en mêlent. Est-ce que tu peux nous rafraîchir la mémoire sur l’histoire du festival ?

Stéphane Amiel : Rafraîchir la mémoire… C’est vrai qu’il s’en est passé des soirées, 22 années de soirée, la mémoire elle est pas la plus vive, elle est même plutôt dans le jus (rires).
Ben ça a commencé il y a 22 ans, un 8 mars, journée internationale des droits de la femme, une seule journée à Paris dans des lieux différents. L’idée c’était d’illustrer cette journée en faisant jouer des artistes féminines. Ça a commencé comme une idée simple, sans pression, sans argent et sans savoir ou ça allait nous mener (rires). Et puis voilà, c’est l’aventure des femmes s’en mêlent qui est différente chaque année avec souvent des équipes différentes portée par l’envie de continuer.

LVP : Tu avais prévu dès le départ d’être encore là 22 ans après ? De placer ça dans le temps ?

S.A : Oh bah non. Tu sais c’est un peu comme quand tu fais un groupe ou que tu as une idée. Tu fais un truc parce que c’est cool sans réfléchir où ça va te mener. J’imaginais pas du tout et surtout il y a eu une pause en 2000 où tout le monde est parti dans l’association parce que il n’y avait personne dans les salles et que c’était plus ou moins un échec. Et en 2001 je me suis dit que c’était quand même dommage, que c’était vraiment une bonne idée et j’ai retrouvé un partenaire, Le Café de La Danse, et c’était reparti.

LVP : J’ai une question qui peut sembler triste : tu trouves pas, qu’à la manière des Restos du cœur, c’est un peu dommage que la société aie encore besoin de cet événement ?

S.A : En vrai je pense que la société a plus besoin de cet événement pour réaliser qu’il y a des femmes qui font de la musique. En réalité c’est plus pour mettre en avant des jeunes artistes féminines que je fais ça. Et puis c’est un événement tellement joyeux les femmes s’en mêlent donc il n’y a pas de tristesse du tout.
Le vrai constant qu’on peut faire c’est que sur les gros festivals d’été, on voit moins d’artistes féminines et que si on enlève les noms masculins, il reste plus grand-chose. Je pense que c’est ces événements qui devraient se poser plus de question sur la parité.
Moi je me sens pas d’utilité publique, on est un festival indépendant, pas soutenu par un pouvoir politique. On est dans une démarche de passionnés qui aiment profondément les artistes qu’ils programment qu’on suit et accompagnent pendant plusieurs années. On est plus poussé par l’envie de participer à quelque chose de vivant, de passionnant pour montrer une diversité d’artistes féminines. Donc c’est pas du tout triste, c’est même quelque chose de très fraternel et joyeux.

LVP : Justement au niveau des gros festivals, tu penses que l’idée d’un quota devrait se poser ?

S.A : Alors je suis pas pour parce qu’il faut laisser la liberté de programmer et que ça pousserait à faire du remplissage par moment au détriment des projets artistiques.
Par contre, je pense qu’un événement privé peut faire ce qu’il veut. Mais à un moment donné si tu as des subventions de l’état, que tu es aidés, tu dois faire attention. Si tu as des grosses subventions et que tu mets 80 % de ta programmation en artistes masculins, il y a un problème. Parce que quand tu es programmateur de ce genre d’événements, tu as une responsabilité.
Donc les quotas je dis non, ou alors tu fais comme moi et tu fais 100 % d’artistes féminines, j’explose les quotas en affirmant quelques choses et tu peux me critiquer pour ça. (rires)
Autant affirmer les choses de manière forte que de chercher à faire des calculs.

LVP : Le festival les femmes s’en mêlent a toujours eu un rôle de défricheur. Quelles sont les artistes qui t’ont le plus marquées dans le passé et quelles sont les artistes à ne pas rater cette année ?

S.A : Là y a plusieurs questions. Celles à ne pas rater sont peut être déjà très connues, Shannon Wright c’est un immanquable à chaque fois par exemple mais c’est sa troisième fois au festival donc ce n’est pas une nouveauté.
Le plus gros nom c’est clairement Christine And The Queens. Dès les tout premiers titres c’était une évidence pour moi, qu’il y avait quelque chose. Elle était venue nous voir quand j’avais un bureau et m’avait déposé son premier EP. C’est le succès le plus monstrueux qu’on ait eu aux femmes s’en mêlent. (rires)

Moi j’y ai cru tout de suite alors qu’on me disait « non mais c’est juste une nana avec un laptop et qui danse », parce que c’était vraiment quelque chose de très épuré au commencement. Moi c’est ce qui me plaisait, il y avait des vraies chansons aussi… Et puis il y avait une volonté chez Héloïse donc c’était vraiment une évidence.

On était aussi au commencement de Feist, on a fait les premiers concerts de Emilie Simon, Jeanne Added a fait deux concerts pour les femmes s’en mêlent.
J’ai un souvenir de Jeanne avec Courtney Barnett, je ferais ça maintenant, je sais pas quelle salle il me faudrait (rires). A l’époque c’était au divan du monde et il y avait peut être 200 personnes.
Et cette année, c’est les jeunes quoi. Silly Boy Blue j’aime beaucoup. Le projet est arrivé juste par la musique et je me demandais qui c’était, je pensais qu’elle était suédoise ou une scandinave … Parce que ce genre de prod, ce genre d’ampleur, ce genre de voix c’est un truc que tu entends pas en vraiment en France et ça m’a scotché. Et son titre The Fight est monstrueux, c’est très calme mais il y a une ampleur dingue et c’est une vraie chanson, avec une vraie écriture. Je l’ai jamais vu en live et je suis très content de la découvrir.

C’est ce qui motive quand tu fais un festival ce genre de découverte. J’aime beaucoup la norvégienne Otha, si tu aimes la pop électronique c’est vraiment super bien. Il y a aussi la suissesse Oh Mu qui m’interpelle avec ses textes et sa façon de chanter entre le véner et la douceur. J’ai hâte de voir Cœur aussi, un projet français vraiment dingo.

Ce qui est bien c’est que ça te bouscule quand tu fais une programmation. Un truc vivant ou il se passe quelque chose et c’est toujours des rencontres incroyables, même quand c’est pas mon univers musical au départ.

LVP : Justement on parlait de Oh Mu ou Silly Boy Blue qui ont un propos sociétal et politique souvent assez fort dans et en dehors de leur musique. Est-ce que le côté politique est indissociable du festival.

S.A : Il est tout le temps là. Le militantisme et la parole sont là et sont souvent portés par les artistes présentes. Le festival se met en retrait, il n’y a pas un manifeste des femmes s’en mêlent, mais les artistes qu’on choisit portent un message. Et grâce à l’attention autour du festival, elles peuvent avoir une mise en avant et c’est le moment de déballer les choses et de dire les choses tout en ayant un projet artistique intéressant.
Le côté militant est là et en même temps c’est pas que ça le festival, c’est une fête avant tout, une célébration de la créativité, et la singularité … Faire la fête en disant des choses importantes.

LVP : C’est pas un peu schizophrénique parfois ces deux facettes ?

S.A : Non je pense pas, c’est même plutôt facile. La politique ça peut être divertissant. Quand on a fait Le Tigre, c’était à la fois très engagé et en même temps hyper dansant, ça pogottait dans tous les sens. C’est un peu le côté punk, le rock’n’roll et la politique qui vont bien ensemble. C’est un défouloir un concert et ça donne envie de se relâcher. Moi j’ai envie que ça danse, que ça pogotte, que les gens deviennent fou ou que les gens envahissent la scène.
Que ça devienne une transe, une sorte de célébration et de libération.

Après il y a des artistes qui mettent pas ça forcément en avant comme Tiny Ruins ou Requin Chagrin… L’idée c’est de jouer avec ça, de pas s’enfermer et de trouver un équilibre même si c’est de plus en plus militant. Après on demande pas sa carte aux musiciens, ça ne m’intéresse pas.  L’idée c’est de voir un panel d’artistes différentes qui peuvent se réunir et qui créent des contrastes, qu’on entende pas le même son et qu’on se ballade quoi.

LVP : Est-ce qu’on t’a déjà reproché d’être un homme qui gère un festival de femmes ?

S.A : On a trouvé ça bizarre ouais au début. Au départ, on disait que c’était un ghetto à femmes mais bizarrement que ça soit fait par un homme ça a pas jamais été un soucis. Mais les artistes savent qui on est, pourquoi on a fait ce festival où l’on va et au final c’est un festival qui est une vraie famille avec un vrai côté bienveillant. Donc j’ai rarement eu ce genre de reproches et c’est même plutôt l’inverse, ça devient un peu la force de ce festival, le côté un peu original. Le gros challenge pour moi c’est qu’il y aie autant de public masculin que féminin, parce qu’au final on va voir des artistes, on va voir des projets, je me pose plus la question du fait que ça soit des femmes, ce sont des artistes c’est tout.

LVP : Pour finir, qu’est ce qu’on peut souhaiter au festival les femmes s’en mêlent ?

S.A : De pas s’arrêter après celle-là. (rires)  Moi j’aimerais que des jeunes reprennent le festival et que moi je retourne écouter de la musique et c’est tout. (rires)

 

 

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