UTO, l’entretien en clair-obscur
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Auteur·ice : Paul Mougeot
26/03/2019

UTO, l’entretien en clair-obscur

Il y a quelques temps, on a été subjugué par The Night’s Due, le nouveau disque d’UTO, et on a voulu en savoir plus sur les influences, les références et les dynamiques qui ont présidé à la création de cet univers fantastique qu’on a tant aimé. On est donc allé poser quelques questions à Émile et Neysa, les deux têtes de cette mystérieuse créature qu’est UTO, pour un entretien à retrouver sur La Vague Parallèle.

La Vague Parallèle : Hello ! Demain (l’interview s’est déroulée le 7 mars, NLDR), vous sortez The Night’s Due, votre nouveau disque. Comment vous vous sentez ?

Émile Larroche : Je n’arrive même pas à être excité parce que pour nous, c’est une temporalité différente. J’étais vraiment excité le jour où on l’a masterisé et où on s’est dit qu’on l’avait enfin terminé. C’est plutôt ce moment-là qui correspondait à l’excitation d’une veille de sortie d’album, mais c’était il y a trois semaines.

Neysa May Barnett : En fait, c’est un sentiment étrange : on se sent anesthésié et en même temps, on ressent tout de même de l’appréhension, on a peur de l’indifférence…

LVP : Il s’est passé plus d’un an depuis la sortie de l’EP qui vous a révélés, Shelter for the Broken. Qu’est-ce qui s’est passé pour vous pendant cette année ?

EL : Le live nous a beaucoup occupés. On avait commencé à nous y consacrer un peu avant la sortie de notre premier disque, et ça nous a pris beaucoup de temps pour mettre la bonne formule en place. On a commencé à deux avec Neysa puis on a rencontré Aloïs, un ami qui nous a rejoints pour jouer la batterie sur scène.

Je pense que ce travail a beaucoup influencé la fabrication de ce deuxième disque, parce qu’on y a consacré énormément de temps et d’énergie.

NMB : Dans l’ensemble, je crois que ça a été une année assez difficile pour nous deux. On a dû jongler entre les petits boulots et la musique, nous demander perpétuellement de quoi serait fait le lendemain…

LVP : Demain, vous sortez donc The Night’s Due, un disque qui est particulier, à la fois dans son format (7 titres) et dans son ambiance. Est-ce que vous pouvez nous raconter l’histoire de ce disque ?

EL : En fait, il n’y a pas vraiment de point de départ à ce disque. Il y a des morceaux qui datent à peu près de la période de notre premier EP, et deux morceaux qu’on a faits à une semaine du mastering. À l’origine, on s’était mis d’accord avec le label sur un format de cinq titres, et puis dix jours avant le mastering, je leur ai envoyé Strange Song. Quelques jours plus tard, on leur a envoyé More. C’est un disque qui a vraiment changé de gueule jusqu’au dernier moment (rires) !

NMB : Tous les morceaux de ce disque sont des accidents, en fait. Celui qui en porte les stigmates les plus fortes, c’est Untitled #1. On l’a écrit au retour d’un séjour au ski qui s’était passé très bizarrement : j’avais l’impression d’être poursuivie par une espèce de démon. On a enregistré ce morceau a capella entre deux et trois heures du matin avec du très mauvais matériel et ça porte cette marque, quoi.

EL : Beaucoup des morceaux de ce disque sont arrivés à des moments où on ne s’y attendait pas. Ça peut paraître anecdotique mais ça ne l’est pas tant que ça quand on voit que ça concerne la majorité des titres.

LVP : C’est un disque à l’atmosphère plus sombre, plus inquiétante que le disque précédent. Est-ce que c’est un changement qui était voulu ?

NMB : Non, ce n’était pas quelque chose de volontaire. Comme l’a dit Émile, Il n’y a pas eu véritablement de point de départ à cet album. À l’origine, j’étais surtout obsédée par l’idée de désert. Le désert, c’est aussi la nuit opaque, on ne sait pas s’il y a de la lumière au bout, on ne sait pas combien de temps ça va durer.

Et puis lorsqu’on a eu deux-trois morceaux, on s’est rendu compte que le mot “nuit” revenait souvent dans nos textes. C’est sans doute ce qui a inspiré le titre.

EL : L’histoire du titre est assez drôle. On était parti chez Jacques au Maroc pour faire du son, et on n’avait pas été très productif parce que j’ai été malade. On a quand même fait un morceau, que Neysa a appelé The Night’s Dew, “la rosée de la nuit”. En rentrant en France, comme je ne connaissais pas ce mot, j’ai fait une faute d’orthographe : j’ai remplacé “dew” par “due” et ça a donné The Night’s Due. Et finalement, ça faisait sens !

NMB : Une fois que cette réflexion s’est dessinée, on s’est dit qu’on avait envie de faire ce travail autour de la lumière et de l’obscurité, sans que ce soit triste ou lugubre pour autant. On essaye de faire en sorte que la tension qui anime nos morceaux trouve sa résolution dans la lumière et je pense qu’à la fin de tous nos morceaux, on parvient à laisser passer la lumière.

LVP : Le résultat, c’est un univers dans lequel on retrouve la candeur sombre des contes de Grimm et le côté de surréaliste des films de Lynch. Qu’est-ce qui vous a inspiré cette imagerie ?

NMB : Ce côté merveilleux que tu ressens, ça vient peut-être de mon côté celte. Les magiciens des forêts, les animaux magiques… La forêt est très importante pour moi. Quand j’étais petite, j’ai passé des mois dans un chalet que mon grand-père avait construit, en face du Mont Blanc, et c’est là que j’ai commencé à écrire quand j’avais onze ou douze ans. C’est un thème qui revient fréquemment dans nos chansons.

LVP : Cette atmosphère si singulière tient aussi au travail que tu réalises autour de ta voix et de cette prononciation très particulière qui est la tienne. Comment est-ce que tu as façonné ton identité vocale ?

NMB : En fait, à la fac, j’ai été attirée par la poésie du XXe. Je me suis penchée sur la poésie minimaliste, puis sur la poésie sonore, et ça m’a influencée sur le choix et l’utilisation de certains mots. J’étais vraiment obsédée par ça. Roberto Bolaño, Louis Aragon, Jacques Dupin et Christophe Tarkos ont été des influences absolument fondamentales pour moi.

En ce qui concerne les sonorités, j’aime beaucoup écouter les tous premiers enregistrements vocaux qu’on peut trouver et qui ont ce côté un peu spectral. Je crois que j’ai une voix un peu ancienne, je pourrais imiter Arletty assez facilement (rires). J’aime bien jouer de ce côté-là, un peu comme Tom Waits le fait par exemple.

LVP : Votre musique a quelque chose de très visuel, de très cinématographique. Vous travaillez beaucoup vos clips, est-ce que vous vous verriez explorer d’autres champs artistiques ? Des courts-métrages ? Des livres de contes ?

NMB : J’ai déjà fait deux courts-métrages et je suis en train de préparer un long-métrage. En tout cas, je pense qu’on n’a pas fini d’explorer le cinéma.

EL : On aimerait travailler sur ce qu’il y a entre les morceaux, c’est sans doute quelque chose qu’on fera sur l’album. Sinon, je travaille aussi sur un spectacle de théâtre avec mon père.

On existe donc déjà un peu en dehors de la musique, mais je dirais que pour l’instant, c’est chacun de notre côté.

LVP : Il y a un morceau qui détonne dans ce disque, c’est Strange Song. Est-ce que vous pouvez nous raconter l’histoire de ce morceau ? 

EL : Il y a effectivement beaucoup d’éléments nouveaux pour nous dans ce morceau : le fait que je chante, les traitements électroniques sur la voix, l’Auto-Tune…

NMB : Il est très carré aussi, dans sa structure, contrairement aux autres qui sont beaucoup plus libres.

EL : C’est encore un morceau qui est arrivé par accident. Je n’avais que mon synthé sous la main, j’ai joué quelques accords et la ligne de voix du refrain m’est venue, j’ai trouvé ça cool.

NMB : Ensuite, on était à la campagne, on répétait Miss et ça ne fonctionnait pas. Du coup, Émile est passé sur ce morceau et Aloïs, notre batteur, a commencé à jouer par-dessus. C’est lui qui a écrit une partie des paroles du morceau. En dix minutes, c’était fait : c’est vraiment à l’image des accidents de cet album (rires) !

EL : Au départ, j’imaginais plutôt que ce soit Neysa qui la chante, je lui ai proposé et elle n’a pas voulu, donc je me suis dit que j’allais la chanter moi-même. Je l’ai jouée au Bar en Trans et ça fonctionnait bien, donc on l’a gardée.

LVP : Justement, vous avez choisi de ne pas terminer l’album sur l’appel au secours qui résonne à la fin de Strange Song, mais par les notes bien plus claires et légères de Synthesise. Pourquoi avoir fait ce choix ?

EL : C’est vrai que la dernière phrase de Strange Song aurait pu faire une jolie fin d’album. Mais comme on savait que c’était un morceau particulier, on a préféré le mettre au milieu de l’album. Et puis ça aurait été difficile de placer Synthesise ailleurs.

NMB : Encore une fois, c’est aussi une manière de dire qu’on laisse passer la lumière.

 LVP : Le 4 avril prochain, vous donnerez une de vos premières grosses dates en tant que tête d’affiche au Point Ephémère. Comment vous appréhendez ce concert ? Comment est-ce que vous allez faire vivre ce disque sur scène ?

NMB (elle gémit) : Aaaaah…

EL : Concrètement, on travaille beaucoup. On sera trois sur scène, Neysa, Aloïs et moi, et on espère aussi avoir quelques invités. On aimerait bien essayer de travailler une atmosphère autour de la lumière, parce que ça aurait beaucoup de sens par rapport au thème de notre disque. 

NMB : C’est ce qui est particulièrement intéressant avec le live : théoriquement, le moment de la fin, c’est celui où on termine les morceaux. Le live, ça permet de revoir cette fin, de la déplacer, de la déjouer.

LVP : Pour terminer, est-ce que vous pouvez nous parler de vos coups de coeur récents ?

NMB : Notre ami Nicolas Worms est en train de préparer de la musique, en ce moment, avec son projet Worms Prestige. C’est magnifique et ça devrait sortir bientôt.

Sinon, aujourd’hui, j’ai écouté le nouveau morceau de Tierra Whack, Clones, qui est excellent. Elle a eu un tel succès avec son premier album et ses formats de une minute que dans Clones, elle reproche à des rappeurs de copier son flow. Ce qui est génial avec elle, c’est que non seulement elle a un flow époustouflant, mais elle a une diction très particulière : (elle l’imite) elle  a cette manière de ne pas articuler et de trouver un groove en fermant un peu la bouche et en l’ouvrant d’un coup… J’ai l’impression que c’est une grenouille !

Il y a aussi Weyes Blood. Son dernier disque a été très important pour moi, j’adore ce côté passé et j’aime beaucoup les voix plus graves que la mienne. Sa voix, j’ai l’impression qu’elle sort des années 70 !

UTO sera en concert le 4 avril prochain au Point Ephémère.