Le groupe indie new-yorkais a sorti le 5 avril son 5ème album, Only God Was Above Us. Vampire Weekend, désormais en trio, renoue avec ces sons aux influences multiples qui nous avait un peu manqué sur Father of The Bride. Dix morceaux, un éventail pessimiste de problèmes sociétaux, un album cynique.
Vampire Weekend, c’est à l’origine quatre camarades de Columbia : Ezra Koenig (écriture, guitare et chant), Chris Thompson (batterie), Chris Baio (basse) et Rostham Batmanglij, prodige qui touchait un peu à tout avant de (malheureusement) quitter le groupe en 2016. Ce dernier, qui ne s’opposait pas à de futures collaborations avec ses anciens bandmates, est crédité comme coproducteur sur Only God Was Above Us.
Et c’est pas plus mal, car on retrouve son influence sur le son (qui a fait le succès du groupe) sur ce cinquième album. Vraie rupture avec le précédent Father Of the Bride, moins « expérimental » et qui s’apparentait plus à un projet solo d’Ezra Koenig qu’à un album du groupe. Alors, Only God Was Above Us est le premier disque enregistré et produit comme un trio pour Vampire Weekend et c’est une réussite.
L’album flirte avec des thèmes lourds : la guerre, les conflits générationnels, personnels, de classes… Le génie de la plume d’Ezra Koenig, c’est de donner à ses expériences très personnelles un écho universel, si bien que chaque chanson a plusieurs lectures. Au niveau musical, c’est tout aussi dense : Vampire Weekend nous fait voyager avec des sonorités singulières aux influences très jazz. La production est léchée, assurée par Ariel Rechtshaid, qui collabore avec le groupe depuis Modern Vampire of The City.
De l’absurde et du cynisme
« Fuck this world » chante Ezra Koenig pour ouvrir Ice Cream Piano, le premier titre. Dès ces premières paroles, on saisit le mood.
Fuck the world, you said it quiet / No one could hear you, no one but me / Cynical, you can’t deny it / You don’t want to win this war ’cause you don’t want the peace
Le refrain est rythmé par un piano saccadé auquel répondent des violons effrénés, et nous sommes transporté·es dans un des rêves absurdes du chanteur, dans lesquels il crie doucement. « In dreams I scream piano » (Ice Cream Piano, vous l’avez ?).
Sur Classical, Vampire Weekend interroge le privilège au moyen de références historiques et d’allusions aux classes sociales : qui choisit ce qui devient « classique » ? Ils y mélangent guitare, piano et saxophone, dans une sorte de cacophonie méticuleuse qui casse les codes classiques. Bien vu.
On ne soupçonnait pas Ezra Koenig d’être fan d’astrologie et, en écoutant Capricorn, on comprend qu’il n’en est rien. Dommage, ça aurait été moins triste. Donc, pas de référence aux planètes dans ce premier single de Only God Was Above Us mais plutôt à une crise identitaire.
Too old for dyin’ young
Too young to live alone
Sifting through centuries
For moments of your own
Les fans de basse assumée seront servi·es sur Connect, titre aux influences jazz, comme la plupart des morceaux et qui fait le portrait d’un narrateur fatigué et nostalgique qui gâche ses journées de façon élégante et qui se demande « Is it strange I can’t connect? ». Il se lamente de la routine et raconte avoir pris du LSD pour la briser.
Voyage dans le temps et retour à New York
Vient ensuite le temps de critiquer l’élite raciste et classiste, avec Prep School Gangster. Yay ! Et là, on se dit que ce groupe aime trop s’auto-référencer : en entendant le solo de guitare, difficile de ne pas penser à celui d’un des premiers succès de Vampire Weekend, Oxford Comma, qui se moquait déjà des universitaires au statut ô combien précieux. Le groupe nous plonge ensuite dans le conflit intergénérationnel avec Gex-X Cops et son riff de guitare tranchant et saturé. Dilemme entre jugement de nos prédécesseur·ses et leurs enseignements, leurs idéaux qui deviennent obsolètes, le mode de vie des jeunes qu’iels voient comme « obscène ». Mais c’est cyclique, si bien qu’au final, « chaque génération s’excuse » de décevoir celle qui suit, conclut Ezra Koenig du haut de ses 40 ans, qui se prépare sans doute à devoir répondre de ses actes auprès de ses successeur·ses.
Changement de rythme avec Mary Boone, une ballade aux percussions cristallines, aux chœurs célestes et dont le solo de piano nous transporte dans un New York romantique, où tout est possible. Si vous n’êtes pas aussi obsédé·e par New York que Vampire Weekend, pas d’inquiétude, on vous épargne la recherche Wikipédia : Mary Boone y tenait une galerie d’art homonyme dans les années 80 et a été condamnée en 2019 pour fraude fiscale.
Un goût amer en bouche
Sur Pravda, Koenig raconte sa nostalgie, son envie de s’échapper. Encore une fois, on applaudit la plume universelle de l’interprète-compositeur qui y raconte l’opposition de deux personnes, mais aussi celle entre la culture soviétique et américaine. On sent une certaine distance du chanteur, qui semble avoir la flemme du désaccord qu’il a avec son interlocuteur·ice.
They always ask me about pravda
It’s just the Russian word for truth
Your consciousness is not my problem
‘Cause when I come home, it won’t be home to you
Enfin, l’album se clôture sur Hope. Un titre trompeur, car complètement défaitiste. « I hope you let it go / Our enemy’s invincible / I hope you let it go » répète le chanteur pendant le refrain de la chanson de huit minutes, la plus longue de la discographie du groupe.
Une résignation, donc, pour confirmer la thèse d’un album qui se veut sombre et mélancolique. Vampire Weekend, ce n’est plus le groupe de jeunes idéalistes qui critique le monde. Désormais, ils sont adultes et apathiques. Ils observent le monde avec une petite distance, et c’est cette distance qui fait le cynisme et l’absurdité des paroles. Alors, on ressort de cette écoute un peu troublé·es du message brutal de cette dernière chanson, mais aussi comblé·es de Only God Was Above Us, l’œuvre d’un groupe dont la musicalité n’a d’égale que l’écriture.
du genre à twerker sur du Phoebe Bridgers