Veerus : “On n’invente rien, on ne fait que reprendre différentes choses”
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Auteur·ice : Paul-Louis Godier
28/04/2020

Veerus : “On n’invente rien, on ne fait que reprendre différentes choses”

Veerus, le rappeur préféré de tes journalistes rap préférés est un personnage incontournable du rap français, notamment grâce à sa carrière débutée en 2011. Après un an d’absence, « le prince Vee » revient avec Monark. Un EP solide aux « couleurs différentes », qui ouvre la voie à un nouvel album. Peut-être pour 2020 ? Une chose est sûre, le rappeur originaire de Dunkerque est en constante évolution et le prouve une fois de plus avec ce projet. Rencontre avec un amoureux du rap français… et de Jay-Z.

La Vague Parallèle : Salut Veerus ! Avant de parler plus en profondeur de ton nouveau projet Monark, je voulais revenir sur ton premier album Iceberg Slim, sorti en 2018. Quel bilan tires-tu de ce projet ?

Veerus : C’est une bonne expérience ! J’ai eu des super bons retours. Comme tout projet, j’en ai aussi tiré des leçons, notamment sur des erreurs faites, des choses qui auraient pu être mieux réalisées. Mais ça a été fondateur. Surtout que c’était mon premier projet avec mon label Maison Noire et que c’est une manière différente de travailler. Même si tout ne s’est pas passé comme prévu, c’est un projet que je kiffe et qui a permis de me faire connaître à pas mal de monde, donc j’en tire un bilan positif dans l’ensemble.

LVP : Tu peux nous parler de ton label Maison Noire ?

V : J’ai monté ce label en 2018 dans le but de devenir producteur de mes propres projets. Même si j’ai toujours produit mes projets moi-même, là, je voulais le faire de manière plus officielle, qu’il y ait une structure et un nom. Avant, on faisait les choses un peu de manière « artisanale » et c’était vraiment une volonté de ma part de me professionnaliser et d’avoir mon propre studio. En plus de ça, je développe à la fois des artistes mais aussi des beatmakers. J’ai voulu prendre mon temps avant de lancer Maison Noire parce que ce n’est pas facile d’avoir la casquette d’artiste et en plus celle de « boss du label ». Il y a vraiment pas mal de choses à penser pour que la structure soit cohérente. Mais désormais, je pense avoir accumulé assez d’expérience dans la réalisation de projets pour pouvoir accompagner des artistes et commencer à me développer correctement moi aussi !

LVP : Ça fait très longtemps que tu fais de la musique, les amoureux·ses de rap français te connaissent bien. Tu es dans le rap depuis 2011. Comment es-tu arrivé dans le milieu et comment as-tu réussi à te développer sur le long terme ?

V : À la base, mon grand frère faisait de la musique. J’entendais du rap dans ma chambre, je voyais mon frère rapper, donc très jeune je m’y suis mis aussi. J’avais fait un freestyle à la radio de ma ville vers l’âge de neuf ans, mais je ne prêtais pas trop attention au rap. C’est vers mes dix-huit ans que j’ai commencé à écrire de manière plus sérieuse. Puis en 2011, j’ai décidé de sortir Nouvel aube, mon premier projet. À ce moment-là, j’ai eu un petit succès d’estime, pas mal de connexions se sont faites, j’ai rencontré L’entourage, Némir, Deen Burbigo etc. Ça m’a permis de faire des collabs sur mon deuxième projet et de me placer sur la carte du rap. J’ai fait mes premiers concerts et certaines portes se sont ouvertes.

LVP : Tu es originaire de Dunkerque. En termes de rap, ça se passe beaucoup sur Paris. Est-ce que tu as ressenti une difficulté supplémentaire pour rentrer dans ce milieu ?

V : Évidemment, c’est plus difficile de se faire une place quand on vient de province ! En l’occurrence, grâce à mon premier projet et les contacts que j’ai pu me faire, j’ai réussi à attirer l’attention de certaines personnes. Quand il y a un mec d’une ville pas développée en termes de rap, qui débarque avec des personnes établies et crédibles dans le milieu, ça attire directement l’attention. C’est surtout sur le long terme où ça met plus de temps et que c’est plus difficile quand tu ne viens pas de Paris. Mais ce n’est pas insurmontable !

LVP : Tu as sorti ton dernier EP Monark début avril, qui, comme tu l’as dit sur tes réseaux sociaux, n’était pas prévu. Tu peux nous en dire plus ?

V : Ouais, en effet ! Je bosse sur un album depuis un peu moins d’un an et j’avais pas mal de morceaux qui ne collaient pas à la sonorité et à la cohérence de l’album. Je me suis dit que ça pouvait être bien de regrouper tout ça sous la forme d’un EP et c’est comme ça que Monark est né. J’essaye d’être plus spontané maintenant. C’est quelque chose que je n’ai pas souvent fait auparavant. J’aime bien quand tout est carré et que tout soit propre de A à Z, mais là, je pensais que c’était la période pour sortir un EP et jouer la carte de la spontanéité.

LVP : Cet EP est assez large en termes de sonorité. Comment expliques-tu cela ?

V : Il y a un peu de tout dans ce projet, c’est vrai ! Médaille est un peu plus mélodieux, avec un petit « retour à l’ancienne ». Le son Monark est très drill. Chaos est un peu plus lumineux avec de l’AutoTune. Les autres titres sont un peu plus sombres, plus portés sur le côté « lyrics ». Van Gogh, par exemple, c’est un titre sur lequel je travaille depuis un moment. C’est un morceau qui me tient à cœur, mais que je n’ai malheureusement pas réussi à caler sur l’album. Vu que c’est un projet qui n’était pas prévu, on voulait donner des couleurs différentes, sans trop de calculs. On voulait juste mettre des morceaux qu’on kiffe et les balancer !

LVP : Sur Van Gogh tu dis : « J’suis nul en conjugaison, mais je sais très bien qu’il faut avoir pour être ». L’argent et ce rapport à la possession sont des thèmes qui reviennent souvent dans le rap, mais je trouve que ta manière d’aborder ces sujets est différente. Est-ce que tu fais le parallèle entre ces thèmes et la réussite ?

V : C’est intéressant ce que tu dis parce que justement, pour moi, c’est à l’opposé de ma manière de voir les choses. Mais c’est ce que la société voit ! C’est pour ça que j’en parle finalement. Quand je dis cette phrase, personnellement, je ne pense pas qu’il faille posséder pour être quelqu’un. Au contraire ! Mais dans la société actuelle, le côté matériel est important. J’essaye de tourner ce rapport à la possession en ridicule, pour expliquer aux gens que j’essaye d’accomplir des choses plus grandes que ce que je peux avoir. C’est souvent métaphorique et pas du tout concret. Quand je dis par exemple : « J’suis pas exigent, j’veux que mon hôtel ait plus d’étoiles que le drapeau américain », j’essaye d’exprimer le fait que l’argent, c’est la maladie mondiale. Je veux aussi insister sur le côté entrepreneur. Pour moi, partir de rien et arriver à quelque chose est plus important que d’avoir quelque chose à tout prix !

LVP : Tu dis aussi : « J’veux être fresh comme Manny à l’époque, peser en sortie du lycée comme Kanye à l’époque ». Est-ce que tu peux nous parler un peu de tes influences, en grande partie américaines ?

V : J’écoute énormément de musique et essentiellement du rap, c’est vrai. Mes influences sont très larges. Déjà, mon rappeur préféré c’est Jay-Z et ça ne changera jamais (rires). Je peux autant écouter un album de Jay-Z de 1997 qu’un Pop Smoke ou un Playboi Carti. Je m’intéresse d’abord à la démarche et à l’énergie de la personne et après j’essaye de comprendre sa musique. Je ne suis pas du tout limité à un style ! C’est pour ça que dans mes références, j’essaye de parler de choses complètement différentes. Je parle de Basquiat, Kanye West, puis de Tchaïkovski et Baudelaire. C’est la somme de toutes tes influences qui crée ta particularité et ta personnalité. On n’invente rien, on ne fait que reprendre différentes choses, on les associe pour créer et les transformer en une entité.

LVP : Ça ne te dérange pas d’avoir le statut du mec hyper apprécié dans le milieu du rap mais qui n’arrive pas à toucher un public plus large ?

V : Souvent on me dit que je n’ai pas la place que je mériterais d’avoir. Je réponds tout simplement qu’il ne faut pas oublier d’où je viens et qu’avant moi, personne n’est sorti de ma ville. Déjà au planète rap d’1995, en 2012, je me sentais comme un privilégié et un miraculé (rires). Je me sens déjà reconnaissant de ce que j’ai ! Honnêtement, je suis arrivé à un stade où je ne pensais pas arriver à la base. Quand tu as des mecs comme Oxmo Puccino ou Akhenaton qui parlent de toi et te partagent, c’est encore plus motivant. Nipsey Hussle, un rappeur que j’apprécie énormément, disait : « c’est pas un sprint, c’est un marathon ». Je vois les choses de cette manière-là. J’essaye d’avancer petit à petit, de proposer de la qualité aux gens et après les choses se passent comme elles doivent se passer. Ça demande de la patience et il ne faut pas oublier d’où tu pars.

LVP : Parce que tu pourrais très bien faire un morceau plus ouvert, qui te permettrait de rentrer en radio par exemple ? Pourquoi ça ne t’intéresse pas ?

V : Oui voilà, c’est quelque chose que j’aurais pu faire. Maintenant, ce n’est pas ma vision des choses ni ma volonté. Si mes morceaux s’ouvrent à un plus grand public, c’est que les gens comprennent ma démarche. Je ne veux donc pas forcer le truc et surtout, il faut que ce soit spontané. Je donne beaucoup d’importance à la démarche ! C’est gênant quand tu ressens qu’un artiste n’est pas à l’aise sur son morceau. Tu comprends directement qu’il l’a fait pour toucher un public et ça, c’est exactement ce que je ne veux pas faire ! J’ai quand même fait un morceau plus ouvert avec Némir (Mami), mais ça reste moi dans la manière de rapper ; je n’ai pas trahi mon univers. Je ne veux surtout pas trahir ma personnalité pour toucher plus de gens.

LVP : En cette période où tout le monde est chez soi, est-ce que tu as des albums de rap français à conseiller ?

V : En rap français, je conseillerais Tristesse Business : Saison 1 de Luidji. C’est un style un peu différent de ce qui se fait d’habitude. Franchement, c’est un super projet ! Ensuite, en rap à l’ancienne, pour moi l’album des X-Men : Jeunes, coupables et libres, c’est un classique. Après, plus dans l’actualité, je conseille Trinity de Laylow. Je pense que c’est un album qui peut toucher énormément de monde ! Si t’écoutes ces trois projets là, ça te donne une bonne palette de tout ce qui peut se faire dans le rap selon moi. Tout terrain et tous les styles d’ambiances !

LVP : Tu peux nous parler un peu de la suite ?

V : Oui ! Je suis sur un album depuis quasiment un an. Il reste quelques retouches à faire, mais il est fini à 90%. J’espère pouvoir le sortir en 2020, mais avec la situation actuelle, je ne suis pas sûr de la date encore. On va essayer de proposer quelque chose qui se rapproche un peu de Chaos avec de l’AutoTune et avec un peu plus de mélodie que sur mes projets précédents. Mais ça restera du Veerus dans les thèmes et les lyrics.


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