Vendredi Sur Mer explore l’art de s’écouter avec Métamorphose
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
26/03/2022

Vendredi Sur Mer explore l’art de s’écouter avec Métamorphose

Alors que son précédent album laissait présager pour Charline Mignot une carrière prospère, logée chaudement dans la sphère acidulée de la french synthpop moelleuse aux tons pastels, Vendredi Sur Mer en a décidé autrement. Et c’est une très bonne chose. Métamorphose, au delà du nom de ce second long-format, c’est aussi une véritable philosophie de réinvention, de réaffirmation, d’audace et, finalement, de sincérité, qui laisse voir une artiste en contrôle de sa narrative. Osant le grand écart entre beats techno et piano-voix lancinants, Vendredi Sur Mer délivre un album radical qui chronique sa réinvention et raconte la femme qu’elle est aujourd’hui.

Sur cet album, j’ai eu la chance de beaucoup m’écouter. 

Et d’être écoutée également.

Premier album dit “studio” pour Vendredi Sur Mer qui se détache de ses productions DIY pour s’autoriser l’effervescence d’un cadre plus technique. Pour ce faire, c’est de Sam Tiba et Myd qu’elle s’entoure, figures tutélaires du collectif Club Cheval qui avait fait les beaux jours de l’électro made in France en 2016 avec l’album Discipline. À travers eux, la chanteuse s’autorise des détours électroniques plus marqués qu’auparavant, plus bruts et edgy également. En résultent les tubes corrosifs Comment tu vas finir et Monochrome (proche de ce que Yelle fait de mieux) qui reflètent bien l’impact des deux producteurs sur le petit monde de Vendredi Sur Mer.

Autre nouveauté : la chanteuse donne de la voix sans concession. Là où son parlé-chanté avait consolidé son personnage sur Premiers émois, c’est plus chantante que jamais qu’elle se dévoile ici. Sur la ballade pop Le Lac ou le déchirant S’Il Estelle s’essaie aux mélodies plus construites et délaisse le confort de sa poésie slamée pour aller chercher les notes organisées de ces compositions pleine de vulnérabilité. Vendredi Sur Mer a donc choisi la carte du virage à 180°, n’en déplaise à celles et ceux qui s’attendaient à la retrouver sous les mêmes coutures. On a eu la chance de papoter avec elle pour découvrir les dessous de cette métamorphose libératrice.

 

LVP : L’album s’appelle « Métamorphose ». C’est un mot assez fort, assez puissant. Il t’évoque quoi ce mot ? Il te fait peur ?

VSM : Il ne me fait pas du tout peur ! Il a été très bénéfique pour moi. Il représente non seulement cet album, mais aussi la manière dont je l’ai fait. La manière dont j’ai voulu recréer mon univers, changer mon entourage professionnel. Je me suis vachement découverte dans cet album, aussi. Du coup j’adore ce mot, et rien n’aurait pu mieux décrire cette étape de ma vie.

LVP : La métamorphose, elle s’opère au niveau des sons mais aussi des couleurs de ton univers : tu passes de tons pastels sur le premier album à des atmosphères plus sombres ici. Tu t’autorises une certaine négativité ?

VSM : Ce n’est pas forcément de la négativité. Je trouve cet album bien plus personnel que le premier, et plus brut surtout. Au niveau de l’image, le côté plus froid et edgy, voire sombre, c’est ce qui correspond le plus fidèlement à la femme que je suis aujourd’hui. Du coup il y a cet aspect très brut, qui contraste fortement avec l’univers du premier album, c’est vrai. Mais ça n’a rien de négatif, au contraire.

LVP : C’est également sur cet album qu’on te découvre la plus fragile. Pour la première fois, on retrouve de la mélancolie avec des piano-voix comme S’il est. Comment tu as approché cette mélancolie ?

VSM : Sur la création de cet album, j’ai eu la chance de beaucoup m’écouter. Et d’être écoutée également. Le fait d’être autant en confiance au sein de ces nouvelles personnes qui m’ont épaulée, cela m’a permis d’aller au bout de chaque chose. Si un jour j’avais envie d’un piano-voix, j’avais envie que ce soit « le » piano-voix, celui qui fasse chialer. Du coup, avec mon équipe, on a fait appel à Joseph Schiano Di Lombo, ce génie, qui nous a joué du piano pendant 45 minutes, sans s’arrêter, avant de trouver la mélodie de Sil est. Ce qui est intéressant avec cette chanson, c’est qu’elle n’a pas du tout été la plus compliquée à écrire, mais la plus éprouvante à porter, réécouter et retravailler. Car c’est une chanson très intime, avec des choses que je pense sincèrement de moi, que je n’exprime pas du tout. Et elle m’a fait du bien.

LVP : La mélancolie sur scène, c’est un autre monde. Tu t’autoriserais ce morceau en live ?

VSM : J’aimerais bien, oui. Mais, sans te mentir, ça me stresse, car c’est un morceau challengeant en tout point. Non seulement car le texte est hyper intime et touchant, mais aussi parce que la technique est indispensable pour l’interpréter. Et je sais que j’en suis capable, mais il faut que j’y mette du mien. Mais évidemment, j’aimerais l’emmener sur scène.

LVP : Ton personnage s’est construit sur cette musique parlée-chantée présente sur Premiers émois, mais tu sembles ici embrasser davantage quelque chose de plus exclusivement chanté. Comment as-tu assumé ce shift ?

VSM : J’avais l’envie de chanter beaucoup plus sur cet album. À la fin de ma tournée précédente, j’avais été galvanisée par ces instants chantés sur les refrains de mes précédents morceaux, ceux où la foule reprenait le texte avec moi. J’avais aussi envie de me challenger, de me faire confiance par rapport à mes capacités vocales. Du coup j’ai sauté le pas et j’en suis très heureuse.

LVP : Sur Dis moi, tu invites une autre voix, celle de Dūne, alors que tu n’avais jamais invité personne auparavant pour partager un titre. 

VSM : Pour Dis moi, j’avais ce concept d’un dialogue de sourd entre deux personnes. Et pouvoir donner vie à cette idée de façon concrète, avec une vraie conversation entre deux personnes, c’était une évidence. C’est l’idée du morceau qui a engendré le featuring, pas l’inverse. Et Dūne a été très présent sur cet album, notamment au niveau des toplines, et c’était la personne que je voulais pour interpréter cette voix. Certainement pour son côté très doux, qui fonctionnait bien sur ce morceau.

LVP : Toi qui t’es beaucoup fait remarquer pour tes textes, tu décides de surprendre avec Silence qui n’en comporte pas du tout. C’était un simple interlude spontané ou bien tu as intellectualisé le fait de ne pas proposer de paroles pour la toute première fois ?

VSM : J’avais envie d’aller voir tellement de choses sur ce second album. Et j’avais aussi envie d’une pause. Et Sam Tiba (producteur principal du disque, ndlr.) est arrivé avec cette idée de rassembler les deux : la pause et l’expérimentation. Il m’a poussé dans la cabine, il m’a fait faire de simples vocalises, et on a bossé ma voix comme un instrument. Sans pitch, sans modulation. Et même s’il n’y a pas de texte, j’ai toujours l’impression que ce morceau raconte quelque chose quand je l’écoute.

LVP : Sam Tiba a également beaucoup participé à l’ambiance clubby de l’album. Comment vous avez combiné vos deux univers ? 

VSM : Quand j’ai mis les pieds au studio avec Sam, juste après notre rencontre, c’était pour composer Comment tu vas finir. J’étais intimidée, car le studio c’est impressionnant quand on n’y est pas habitué, d’autant plus quand il est rempli d’inconnus. J’ai du prendre mes marques, progressivement. Ce jour-là, on est sortis du studio après dix heures de travail, et le plus gros du morceau était déjà là. Et le fait d’avoir réussi à créer un morceau comme celui-là, avec une personne que je connaissais à peine, ça m’a fait comprendre que c’était la bonne personne pour cet album et ce que je voulais y raconter. Et puis, quand j’ai décidé d’aller chercher Sam Tiba, c’était pour obtenir cette matière plus brute et techno.

LVP : Comment tu vas finir, c’est d’ailleurs le morceau que tu as choisi pour introduire ta nouvelle ère. Tu dirais qu’il définit ta direction artistique actuelle ?

VSM : Je n’avais pas envie que ce morceau passe inaperçu. Ce morceau, il donne la couleur de l’album, mais aussi et surtout de la façon dont j’aimerais le transposer sur scène. Pour ma précédente tournée, on avait rajouté pas mal de ponts pour lier les morceaux. Et un des ponts était assez techno – notre techno à nous, hein, on n’était pas des pros (rires) – et c’était toujours l’euphorie quand on le faisait. J’ai toujours envié ces chanteurs et chanteuses qui sortaient de concert en soutifs, les cheveux trempés, qui venaient tout juste de donner leur vie sur scène. Je voulais la même chose, et ce n’était pas vraiment possible avec les chansons d’avant. Du coup je ne pouvais pas retourner sur scène sans cet esprit techno.

LVP : Les univers de tes deux premiers disques, ils vont bien s’entendre, tu crois ?

VSM : Je n’aurais pas pu faire deux albums comme le premier. On se serait ennuyé, autant le public que moi. Métamorphose c’est la suite logique des choses. Le premier, c’était une belle rétrospective de mon adolescence et du début de ma vie d’adulte, tandis qu’ici j’avais envie de raconter autre chose, de raconter la femme que je suis aujourd’hui. Mais ils sont liés, d’office. Et ils s’accordent, ils se répondent.

LVP : Chaque métamorphose induit des sacrifices, des choses qu’on laisse derrière soi. Toi tu as laissé quoi derrière toi ?

VSM : J’ai décidé de laisser certaines choses derrière moi, mais j’ai moi-même été laissée derrière également. Tout ça a constitué un point de bascule dans ma vie, j’étais un peu paumée pour être honnête. Je me suis retrouvée devant le dilemme de « soit j’arrête la musique pour faire autre chose, soit j’enfile des bottes et je pars explorer ce dont j’ai envie ». J’ai choisi la deuxième option, et j’y ai cru à fond. Et j’ai eu raison de le faire. Sans ces turbulences, je n’aurais pas pu sortir ce que j’ai sorti sur cet album aujourd’hui.

LVP : L’album raconte le moment où tu as métamorphosé du têtard à la grenouille. Aujourd’hui, au moment où on se parle, tu en es à quel stade ? Et quelle sera ta prochaine métamorphose ?

VSM : À l’heure actuelle, je suis une algue. Une algue verte. (rires) Et la prochaine métamorphose, je n’en ai aucune idée. Je ne sais pas quelle Charline je vais retrouver dans un ou deux ans, mais je reste ouverte à toute métamorphose.


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