Veus : le magicien cybernétique Marc Melià a trouvé ses voix
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
21/11/2021

Veus : le magicien cybernétique Marc Melià a trouvé ses voix

Il y a maintenant plus d’un mois sortait Veus, le second album de Marc Melià, compositeur/producteur majorquais – mais Bruxellois de cœur. Un écrin de modernité et de futurisme, guidé par l’usage de la modulation vocale comme prétexte à la poésie cybernétique. Un disque ancré dans son temps, façonné par les conjonctures qui l’entourent, et qui questionnait nos intérieurs chimiques et organiques à l’heure du tout digital. Tirant son nom des “voix”, dont la sienne, qu’il manipule pour la première fois, ce disque estampillé PAN Records se pare d’une splendeur particulière en s’appuyant sur des compositions électroniques minimalistes et variées. L’orfèvre électronique nous a gratifiés de son accent catalan pour nous délivrer quelques secrets de composition et mettre en perspective sa musique à l’heure du tout digital. 


La Vague Parallèle : Tu as appelé ton album Veus, littéralement “les voix”. Pourquoi la matière vocale est-elle si centrale sur ce disque ?

Marc Melià : Avec le premier disque Music For Prophetje me suis uniquement appuyé sur mon synthétiseur. Pour celui-ci, j’ai trouvé ça marrant d’expérimenter avec cette idée de voix qui n’a pas de personnalité claire. Parmi tous les outils dont nous disposons pour moduler la voix en musique, certains sont très archaïques. C’est ceux-là qui m’ont intéressé, ceux qui donnent cet effet un peu cheapos(rires) Tout simplement parce que cela m’a aidé à exprimer cette image du robot rempli de bugs informatiques. Ce robot qui tente de sonner comme un humain, mais qui n’y arrive pas vraiment. Cette image me parlait beaucoup.

LVP : Malgré cela, on retrouve une grande présence de l’instrumental également. Ce qui frappe notamment sur des titres comme Pulse On A E ou Romain, c’est que tu racontes des choses qui apparaissent de façon tangible, sans devoir user des mots. Cette narration naturelle, c’est propre à la musique électronique ?

Marc Melià : Je ne sais pas si je raconte vraiment des histoires avec mon électronique. Je vois plutôt ça comme des émotions qui fluctuent dans l’air. Je les capte et j’essaie de les transposer en musique. Ce qui rend l’ensemble très subjectif, car la façon dont je capte ces émotions m’est propre. Tu ne vas pas forcément les ressentir de la même façon. Et c’est d’ailleurs peut-être des sentiments différents qui tu éprouveras à l’écoute. C’est une musique d’interprétation. En fait, c’est l’auditeur qui raconte l’histoire, pas moi.

LVP : Une de l’émotion que l’on ressent tout particulièrement, c’est l’amour. Sur Dent De Serra ou sur Oxitocines, notamment. Ce sentiment amoureux, comment tu l’as amené sur ce disque ?

Marc Melià : Je trouvais justement que le thème de l’amour se mariait assez bien avec l’idée du robot défaillant qui guide le disque. Cette voix ouvre des portes à beaucoup d’histoires, notamment celle du lien qui existe entre nos émotions et la technologie. Quand je parle d’amour, j’articule mon discours autour des mémoires que nous accumulons, comme pour le lier à la métaphore de l’ordinateur.

| Photo : Mayli Sterkendries

LVP : C’est la première fois que tu composes des morceaux à paroles, c’était un procédé compliqué ?

Marc Melià : C’était compliqué, en effet. Les mélodies, les arrangements, les textures sonores, je connaissais déjà. Mais les paroles, et notamment l’écriture, c’est tout nouveau pour moi. Je n’avais pas l’ambition de faire des grands textes incroyables, mais je voulais quand même que les mots que je sélectionne aient du sens. Je ne voulais pas faire du bla-bla-bla, parce que j’avais déjà fait du bla-bla-bla sur le premier disque où les seules voix utilisées étaient sélectionnées uniquement pour leur sonorité. Ici, les voix ont un sens et s’articulent en mots, en phrases.

LVP : Sur Les Étoiles, tu invites Flavien Berger et Pi Ja Ma à chanter avec toi. C’était agréable de partager ton univers avec d’autres personnes ? 

Marc Melià : C’est venu assez naturellement. J’avais déjà proposé à Flavien de s’inviter sur cette chanson en particulier, et il m’a proposé ce texte qui relatait une relation sentimentale entre trois personnes. L’ensemble a fonctionné assez rapidement, et lorsqu’on a recherché une voix féminine, le nom de Pauline (Pi Ja Ma) est arrivé sur la table assez naturellement.

LVP : Le dernier morceau, Retorn, reprend en réalité le même thème que DX7 en début d’album. Cela donne cette impression de boucle, c’était volontaire ?

Marc Melià : Le morceau final est né d’une session que j’avais faite avec le musicien Lou Rotzinger. On improvisait de façon spontanée et il s’est mis à rejouer les accords de DX7 et à les déstructurer, les retourner. Ça m’a semblé intéressant d’introduire cette idée de boucle, ce rapport à la temporalité, rien qu’en plaçant ces deux titres à leurs positions respectives.