Victor Solf nous confie les secrets de Still. There’s Hope, un premier album résolument tourné vers l’avenir
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Auteur·ice : Paul Mougeot
30/04/2021

Victor Solf nous confie les secrets de Still. There’s Hope, un premier album résolument tourné vers l’avenir

| Photo : Alice Sevilla

Pour Victor Solf, l’heure est venue de tourner la page. Plus d’un an après la sortie d’Aftermath, un EP qui marquait le début de son aventure en solo, on a retrouvé le jeune artiste à l’occasion de la sortie de son premier album, Still. There’s Hope. Un disque plein d’espoir et résolument tourné vers l’avenir dont il nous a livré les clés dans un entretien à son image : sincère et humain.

La Vague Parallèle : Hello Victor ! Comment vas-tu ?

Victor Solf : Ça va, je sors mon premier album solo dans le contexte qu’on connaît… Ce n’est pas évident et en même temps, je me suis toujours dit qu’il fallait que je reste dans l’action quoi qu’il arrive. Que ça se passe bien ou que ça se passe mal, je me dois de continuer à faire de la musique.

LVP : La dernière fois qu’on a échangé, c’était en décembre 2019, juste avant le début de cette crise qui semble durer une éternité. Comment as-tu vécu cette drôle d’année ?

VS : Ça a été très dur pour moi, comme pour beaucoup d’artistes. Je me suis retrouvé à devoir déménager après avoir lâché mon appartement à Montreuil. Je n’avais pas d’endroit où bosser et j’ai fini par m’installer dans la petite dépendance d’une maison dans le Finistère, près de la mer. Ce qui m’a aidé dans un premier temps, c’est une sorte d’auto-discipline que je m’imposais. Tous les jours, je m’isolais pour travailler, pour essayer de créer.

J’ai pris des habitudes, je me suis astreint à une certaine rigueur et je pense que ça m’a beaucoup aidé pendant cette période. En fait, j’essaye de toujours travailler en continu, c’est vraiment ma méthode. Je préfère ne pas faire trop de breaks. C’est comme un train en marche : si tu coupes le moteur, il faut tout rallumer, alors que si tu travailles toujours en continu sur tes paroles, sur ta musique, ça te permet d’être toujours aiguisé. Du coup, je devais avoir 15 ou 20 démos qui traînaient partout et qui ont fini par donner cet album.

LVP : Ce déménagement en Bretagne te tenait vraiment à cœur puisque tu l’évoquais même sur ton premier EP avec le morceau Stone House. Qu’est-ce que ça t’a apporté ? Un certain équilibre peut-être ?

VS : Oui ! En fait, l’album s’appelle Still. There’s Hope parce que je me suis rendu compte que son fil conducteur est vraiment cette recherche de l’espoir. C’est vrai que l’un des grands bouleversements de ma vie, plus encore que mon déménagement, ça a été le fait de devenir papa. J’ai mis du temps à trouver mon équilibre en tant qu’artiste et en tant que père et ça aussi, ça a marqué cet album parce qu’il est arrivé à un moment où j’étais beaucoup plus apaisé.

J’ai réussi à nouer une relation avec mon fils et aujourd’hui, je me sens très proche de lui. Je sens que les frustrations que j’ai pu avoir par le passé sont désormais derrière moi. C’est vraiment en regardant mon fils que je me suis dit que j’avais encore de l’espoir en l’avenir. Il y a quelque chose de presque magique à voir un enfant grandir parce qu’il évolue, il grandit, il apprend par lui-même. En voyant ça, on ne peut pas être fataliste, c’est impossible ! Je crois que c’est aussi cette réflexion qui a également beaucoup nourri l’album. D’ailleurs, il y a une chanson qui porte le petit surnom que je lui donne, Comet.

LVP : Pour ton premier EP, Aftermath, tu parlais d’une phase de reconstruction, de transition. Est-ce que Still. There’s Hope est l’aboutissement de ce processus ou est-ce que c’est plutôt la première étape de quelque chose de neuf ?

VS : En tout cas, cet album représente quelque chose de beaucoup plus apaisé. Ça, c’est sûr. J’avais beaucoup moins de choses à me prouver que pour le premier EP. Comme il est plus apaisé, j’ai réussi à en revenir à encore plus de minimalisme, à faire quelque chose de très épuré, de très élégant, à me concentrer sur le cœur de chaque chanson. C’est vraiment ce qui m’a donné le cap de l’album.

LVP : Entre la sortie de ton EP et celle de ce premier album, tu as également travaillé sur une mixtape intitulée 12 Monkeys Mixtape, que tu évoquais comme un “tournant” dans ton parcours artistique. Est-ce que cet exercice t’a permis de te libérer artistiquement pour ensuite te tourner vers l’écriture de ton album ? 

VS : Oui, forcément. Après, l’art du sampling, c’est vraiment quelque chose qui est à part. À mon sens, pour qu’un titre ait du caractère, il faut choisir son camp, avoir des partis pris assez marqués. Sur la mixtape, c’était vraiment le sampling. J’ai une manière de créer qui est hyper instinctive : les 6 titres de la mixtape, je les ai faits en deux jours. Pendant deux jours, je n’ai fait que ça et je ne voulais rien retoucher après. Il fallait que ce soit brut, que ce soit sauvage. C’était un parti pris très fort que je ne voulais pas et que je ne pouvais pas reprendre sur l’album. Il y a un seul titre sur cet album sur lequel je fais du sampling, c’est Drop The Ego, et c’est peut-être le seul titre de l’album sur lequel on retrouve cette folie de la mixtape.

En fait, l’album était déjà assez riche avec tous les ingrédients que je souhaitais y mettre : de la soul, de la mélancolie, du piano, des voix, de l’électro, de la modernité… C’est déjà beaucoup plus riche que la mixtape. Si j’avais en plus rajouté du sampling sur l’album, ça aurait été indigeste et justement, c’est peut-être là mon défaut : j’aime tellement de styles différents que je suis obligé de m’imposer des contraintes pour rester sobre.

LVP : C’est intéressant aussi de cloisonner ces différents projets pour pouvoir en tirer la quintessence. Est-ce que c’est quelque chose que tu aimerais renouveler, te prêter de nouveau à ce genre d’exercice de style ?

VS : Oui, ça fait tellement de bien ! Quand la mixtape est sortie, j’ai ressenti la même sensation qu’en allant courir une heure : j’étais vidé. C’était génial et je pense que je vais le refaire. Ma prochaine sortie, ce sera sûrement ça.

En plus, ça m’aide pour le live. Je n’ai pas encore inclus les titres de ma mixtape dans mes concerts, mais je pense que je vais le faire. Cette énergie hyper sauvage, en live, je pense que ça va faire un bien fou. Je mets ma main à couper que ça va être hyper puissant.

LVP : Depuis la sortie de ton premier EP, tu t’es entouré de musiciens avec qui tu travailles et avec qui tu as l’air d’avoir désormais trouvé tes marques. Quel rôle est-ce qu’ils ont joué dans la direction artistique de cet album et comment est-ce que vous avez travaillé ensemble dessus ?

VS : Ce qui est difficile, quand on est artiste et qu’on produit beaucoup de musique par soi-même, c’est de garder un cap. Quand j’ai sorti la mixtape, j’étais parti complètement vers autre chose : du sampling, un mélange de jazz et d’afrobeat… C’est un exercice que j’ai beaucoup apprécié mais qui m’a d’autant plus fait prendre conscience que ce que je voulais retrouver sur tous les titres de l’album, c’est ce que j’avais réussi à faire avec Traffic Lights, le seul morceau de l’EP qu’on retrouve sur l’album. Je suis vraiment parti de ce constat pour me fixer un cap avec des éléments clairs. Il y a le piano, qui apporte une forme de mélancolie mais aussi de quiétude. Il fallait également qu’il y ait de la soul à travers les voix et les harmonies. Le dernier ingrédient, c’était la modernité et l’électro.

Guillaume Ferran a vraiment apporté le piano avec son toucher exceptionnel. On avait déjà beaucoup travaillé ensemble sur l’EP et on est allé encore plus loin ensemble : je lui ai exposé ce cap et il m’a accompagné tout au long de la conception de cet album. Ensuite, David Spinelli m’a beaucoup apporté sur le côté électro et la production. Il a un projet qui est vraiment super, avec un côté Jamie XX, UK garage très assumé. Et Mathieu Gramoli, je le connais bien, c’était le batteur de Her.

Dans la manière d’enregistrer cet album, j’ai essayé de mettre à profit tout ce que j’ai appris dans la musique depuis 10 ans. Je me suis rendu compte que ce que je maîtrisais le plus, c’était d’aller dans un studio, de choisir la bonne pièce, les bons micros, le bon ingé’ son, et d’avoir travaillé suffisamment en amont pour que les musiciens se connaissent sur le bout des doigts pour pouvoir enregistrer 15 ou 16 titres en une semaine, de la manière la plus fluide possible. La vie de groupe, c’est ce que je connais depuis toujours et c’est ce que j’ai essayé de recréer avec les gars.

LVP : En filigrane de ce premier album, il y a effectivement cette ligne directrice du piano-voix qui est vraiment la colonne vertébrale du disque. C’est quelque chose qui est central depuis le début de ton projet solo et que tu disais vouloir porter “au moins jusqu’à l’album”. Est-ce que c’est une ligne directrice que tu vas conserver pour la suite ou est-ce que la prochaine contrainte va justement être de t’en passer ?

VS : Honnêtement, je n’en ai aucune idée ! En fait, j’étais très angoissé jusqu’à ce que j’écrive Traffic Lights, parce que j’avais du mal à trouver les bons ingrédients. Là, j’avoue que je ne sais pas. J’envisage de revenir à quelque chose de plus dur, de plus rock… Il me faut des contraintes costaudes pour me guider.

Là, ce que j’ai en tête en ce moment, c’est de trouver des putains de guitaristes, de faire une formation en mode The Strokes et de répéter avec comme un malade ! Ma boussole, c’est aussi le plaisir : en tant qu’artiste, c’est hyper important pour moi de prendre du plaisir dans ce que je fais.

LVP : On retrouve beaucoup cette notion de plaisir dans ton projet, mais également celle de lâcher-prise, que tu explores notamment dans tes clips à travers la danse et l’expression corporelle. D’où est-ce que ça te vient, cette fibre de la danse ?

VS : C’est marrant que tu en parles parce que c’est justement le thème du prochain clip, qu’on va sortir pour le morceau Utopia. Je trouve que l’expression corporelle, c’est très important, d’autant plus quand tu portes un projet sous ton propre nom. Tu ne peux pas te cacher derrière un pseudonyme ou derrière un groupe, il faut se mouiller. En l’occurrence, on traduit forcément quelque chose par son expression corporelle, surtout quand on est dans le lâcher-prise et qu’il n’y a pas de chorégraphie derrière.

C’est quelque chose que j’ai vraiment envie d’explorer et que je voulais faire dès l’EP, sur The Salt Of The Earth. On devait partir à côté de Marrakech pour tourner pendant deux jours de manière hyper sauvage dans plein d’endroits mais on a été bloqué par la crise sanitaire. C’est vraiment quelque chose que j’adore. Sur la mixtape comme sur le titre Utopia, c’était assez évident de le faire parce qu’il y avait cette envie de relâcher la pression et pour moi, c’est naturel de le faire par la danse et par l’expression corporelle.

LVP : C’est surprenant parce que ça paraît presque plus simple pour toi de le faire maintenant que tu te produis sous ton propre nom que ça ne l’était quand tu évoluais au sein d’un groupe. Ça doit pourtant être quelque chose d’assez intimidant ?

VS : En fait, c’est comme pour la tenue que je porte : il faut rentrer dans un personnage. C’est un grand débat que j’ai eu avec ZéFIRE, un parolier américain qui m’a aidé à terminer l’album et qui est également un grand chanteur de soul. L’enjeu, c’est à la fois de créer un personnage et de montrer quelque chose de plus grand que le Victor Solf qui change les couches de son fils dans sa maison en Bretagne. Ça n’intéresse personne, ça.

Il faut réussir à faire ressortir l’artiste, et en même temps, il faut ramener toutes les chansons à sa propre histoire, adopter au maximum un angle personnel. C’est pour ça qu’on trouve sur cet album des chansons comme Comet, qui parle de mon fils, ou comme Fight For Love, qui parle de mon deuil avec Simon (Carpentier, avec qui Victor Solf formait le duo Her avant sa disparition en 2017, NDLR)… À chaque fois, ZéFIRE, me disait de parler au maximum à la première personne du singulier. Il m’a fait comprendre que c’était important de commencer l’album par cette phrase, I Don’t Fit, qui donne le ton de l’album. C’est un équilibre qu’il faut chercher entre proposer quelque chose de très personnel et faire rêver les gens.

LVP : Dans ta musique, il y a justement un paradoxe que je trouve très humain. D’une part, tu cultives ta différence, le fait de ne pas être comme tout le monde et de l’affirmer, comme tu le fais sur I Don’t Fit. De l’autre, tu revendiques ta volonté de faire une musique qui puisse plaire à tout le monde, qui soit capable de rassembler. Comment est-ce que tu parviens à concilier les deux ?

VS : Pour moi, ce n’est pas forcément antinomique. Le message de I Don’t Fit, qui est “je ne suis pas comme tout le monde et tant mieux”, c’est quelque chose qu’on ressent et qu’on traverse tous. C’est souvent le constat que j’ai fait : plus l’angle est personnel, plus il parvient à toucher un public large.

Par exemple, Fight For Love, je l’ai écrit comme un mantra dans lequel je dis : “mes pleurs ne te ramèneront pas, ma colère ne te ramènera pas, ma peur ne te ramènera pas, même ma musique ne te ramènera pas, mais je continue à me battre pour être heureux et me tourner vers l’avenir”. En écrivant quelque chose d’aussi personnel, je me suis rendu compte qu’on était tous amené un jour ou l’autre à vivre ça, à accepter ce constat étrange que quelqu’un dont tu étais proche va disparaître du jour au lendemain et ne reviendra pas. Je me considère vraiment comme humaniste et je crois qu’on est tous connecté les uns aux autres, on fait tous partie de cette même grande espèce qui est l’espèce humaine. Nos sentiments, même les plus personnels, sont des choses qui sont partagées et qui nous relient les uns aux autres. Donc je dirais que c’est loin d’être antinomique. Je pense que c’est même en allant jusqu’au bout d’une réflexion personnelle qu’on parvient à tenir un discours universel.

LVP : Il y a un autre contraste qui anime ton projet, c’est celui de l’imagerie assez dure, presque brutale de tes clips, qui détonne avec la luminosité de ta musique. Qu’est-ce qui t’inspire ces images ? 

VS : En fait, je suis assez fan des directions artistiques qui jouent sur le contraste entre la musique et l’image. J’aime quand tout ne va pas dans le même sens. Billie Eilish, par exemple, a réussi à faire ça avec brio. De loin, sa musique est très pop, mais elle arrive à y mettre des choses plus dures, une certaine obscurité même.

C’est vraiment ce qu’on a voulu faire avec cet album, sur I Don’t Fit particulièrement : les accords sont très épiques, très ouverts, et je trouvais intéressant d’avoir la violence de cet accident de voiture en guise d’illustration pour leur faire face. Ça amène autant de profondeur à l’image qu’à la musique, ça permet aux choses de se répondre.

LVP : Justement, pourquoi cette image de la voiture, que tu files notamment sur les clips de How Did We? et de I Don’t Fit ?

VS : Avec Liswaya, le réalisateur qui m’a accompagné sur les clips et sur la pochette de l’album, on voulait trouver un objet qui puisse me représenter, symboliser les dernières années que j’ai vécues, un objet qui reviendrait dans tous les clips, sur la pochette, voire surscène. Quand il m’a parlé de la voiture, j’étais vraiment emballé parce qu’on peut vraiment y retrouver tous ces éléments. Sur I Don’t Fit, par exemple, elle symbolise les épreuves que tu traverses, la manière dont tu vas réussir à te relever.

La voiture peut aussi incarner quelque chose de beaucoup plus positif : on a tous en mémoire des voyages en famille, des départs de vacances en voiture… C’est aussi un symbole de liberté.

LVP : Pour terminer, est-ce que tu peux partager avec nous un coup de cœur ou une découverte musicale récente ?

VS : Je dirais The Sun Will Shine de sir Was. Le morceau Wild Fires de SAULT, aussi, je te le conseille vraiment. C’est hyper bien enregistré. Ce sont des titres qui m’ont vraiment bercé pendant l’écriture de l’album.

Il y a aussi un titre de Erlend Øye qui s’appelle For The Time Being et qui est vraiment magnifique. C’était aussi une grosse influence de Her. Quand on parle de caractère, tu peux difficilement faire plus racé.


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