Il est des artistes que l’on découvre au détour d’une chanson, qui nous suivent quelques temps et que l’on dépose doucement sur le bord de la route jusqu’au prochain disque. Il en est d’autres auxquels on s’accroche toujours un peu plus et qui nous accompagnent à travers les années, quel que soit l’album, le titre ou même le refrain. Warhaus est de ceux-ci. Si sa musique a traversé nos tympans il y a désormais six ans, elle ne les a jamais plus quittés depuis.
Autant vous dire que lorsqu’on nous a proposé de le rencontrer pour la sortie de son nouvel album, notre cœur en a loupé un battement. Il aura suffi d’une écoute pour embuer nos yeux et se dire que ce disque est beau à en pleurer. Ha Ha Heartbreak parle de rupture amoureuse avec l’élégance des plus grands. Au détour d’une après-midi d’automne, Maarten Devoldere nous a raconté sa genèse avec toute l’intelligence qu’on lui connaît.
La Vague Parallèle : Salut Maarten, on se retrouve un peu avant la sortie de ton nouvel album. Comment tu te sens aujourd’hui ?
Maarten Devoldere : Je suis très enthousiaste et heureux d’être à Paris ! Ça faisait un petit moment que je n’étais pas venu, et je suis content d’être de retour.
LVP : Tu te sens connecté à cette ville d’une certaine manière ?
Maarten : Je suis venu si souvent avec Balthazar et Warhaus qu’à un moment, on s’est dit que l’on devrait louer un appartement à Paris. Je m’y sens connecté, c’est certain.
LVP : Tes deux premiers albums sont sortis à un an d’intervalle. Ce troisième opus, Ha Ha Heartbreak, a pris quatre ans de plus. Tu as senti que tu avais besoin de plus de temps pour celui-ci ?
Maarten : C’était plutôt à cause de Balthazar, car j’ai fait deux albums avec eux avant de prendre le temps pour un nouvel album de Warhaus. C’est finalement arrivé au bon moment, car c’est un disque très personnel, comme le suggère son titre (rires). C’est un album de rupture amoureuse, donc ça aurait été compliqué de le faire avec un groupe, comme tout le monde ne vit pas la même chose au même moment. C’était le bon moment pour un disque de Warhaus.
LVP : Tu as écrit ton premier album sur un bateau, le second pendant un voyage au Kirghizistan, et celui-ci est né en Sicile. Peux-tu nous raconter son histoire ? Voyager pour composer, c’est aussi s’isoler de sa vie quotidienne ?
Maarten : Je vivais une séparation et j’avais besoin de m’éloigner de la Belgique et de tous les souvenirs qui me blessaient à ce moment précis. Ça m’aide aussi, effectivement, de m’isoler pour terminer un album. Je peux me concentrer sans aucune distraction. J’ai donc réservé une chambre d’hôtel pour deux semaines et suis parti avec mon matériel d’enregistrement : un bon micro, une guitare, quelques claviers et un ordinateur. J’ai écrit et enregistré toutes les démos dans ma chambre d’hôtel à Palerme. Quand je suis rentré en Belgique, je suis allé voir mon producteur avec ces enregistrements. Il m’a dit qu’on allait les ré-enregistrer, et je lui ai répondu que je voulais garder les prises de voix des démos. Ce n’est pas habituel, normalement j’enregistre les voix après les instruments. J’étais un peu réticent à certains moments, car je me disais que je pouvais mieux chanter, ou bien j’avais envie de changer certains textes. Mais j’avais capturé un sentiment très brut dans cette chambre d’hôtel. Ça aurait été étrange d’essayer de le reproduire six mois plus tard.
© Titus Simoens
LVP : As-tu été inspiré par la culture ou la musique sicilienne ?
Maarten : C’est difficile à dire. Peut-être un peu, parce que le lieu a sa propre énergie, donc cela doit évidemment influencer inconsciemment. Mais j’étais là-bas pour travailler, et je n’ai pas quitté ma chambre d’hôtel pendant quinze jours, à part pour aller chercher à manger. Je travaillais tout le temps. J’y suis retourné un an plus tard avec quelques amis pour de la vidéo et des photos. C’est là que j’ai découvert à quoi la ville ressemblait réellement ! (rires)
LVP : Sur ce nouveau disque, la musique a quelque chose d’encore plus classe et groovy que sur les précédents, avec une touche d’élégance souvent amenée par le piano et les cordes. Est-ce que tu sens que c’est dû à une envie d’explorer un peu plus ces instruments, ou bien plutôt le contraire ?
Maarten : Plus je vieillis, plus je me détends lorsque je compose. Je laisse les choses venir à moi, je les approche de façon beaucoup plus naturelle. Lorsqu’on était plus jeunes avec Balthazar, on avait de nombreuses règles que l’on s’obligeait à respecter pour avoir notre propre son. Chaque musicien a son lot de règles qu’il définit lui-même. Aujourd’hui, je laisse beaucoup plus de liberté à mes musiciens. J’ai un pianiste que j’adore et qui peut faire tout ce qu’il veut. Je laisse aussi le batteur jouer comme il le sent. Ça respire, ça vit. Je n’ai plus besoin de tout contrôler, c’est très rafraîchissant pour moi.
LVP : On peut avoir le sentiment que tu donnes ici aux cordes l’importance qu’avaient les cuivres dans tes anciens disques.
Maarten : Oui, c’est un disque très romantique ! Voilà encore un exemple : quand on était jeunes, on se disait que l’on n’allait pas mettre des cordes sur une chanson romantique parce que c’était trop cliché. Cette fois-ci, je me suis dit qu’il fallait rendre les morceaux encore plus beaux, et donc y ajouter des cordes. Si la musique a assez de personnalité, on ose travailler avec les clichés. Je pense que c’est une façon de mûrir.
LVP : Cette direction apporte de la lumière et de l’espoir aux nouveaux morceaux, alors que le disque parle de rupture amoureuse. C’était une volonté de ta part de témoigner de ces sentiments même dans les moments de désillusion ?
Maarten : Oui, il y avait beaucoup d’espoir. Pour moi, c’est un album sur l’envie et le désir. En tant qu’artiste, ce sont des sentiments que l’on cultive, comme un vide à l’intérieur. Ce désir n’a jamais été aussi fort dans ma vie que lorsqu’une femme m’a quitté alors que je n’étais pas prêt. Je voulais chanter pour elle et la récupérer, ce qui est bien sûr stupide. Ce n’est pas un disque sur l’acceptation.
LVP : N’est-ce pas justement le thème d’Open Window ?
Maarten : Oui, le déni. C’est mon étape préférée de la rupture (rires).
LVP : Ton univers qui était plutôt en noir et blanc auparavant s’illustre désormais en couleurs. Pourquoi ce changement ?
Maarten : Lorsque je regarde mes deux premiers albums, je les aime toujours et je vois en eux mon moi plus jeune, mais je créais aussi avec eux un personnage distant. Je n’y pensais pas à l’époque, mais maintenant, je me dis que le noir et blanc nourrissait cette image. Comme je me sens beaucoup plus proche de ce nouveau disque, qu’il me paraît plus vulnérable et pur en raison de ce que je traversais en l’écrivant, les couleurs semblent plus logiques. C’est aussi un thème plutôt triste et profond, je ne voulais pas en faire plus.
LVP : Il y a également quelque chose de cinématographique dans ta musique et ton image. C’est un art qui t’inspire ?
Maarten : Peut-être inconsciemment. Lorsqu’on regarde un film, on en tire toujours quelque chose. Mais sur cet album, le processus était plus brut. Je n’avais pas l’énergie de me dire que je voulais que ça sonne comme autre chose. Je vomissais des chansons, je n’avais pas vraiment le temps de réfléchir à ce qu’il se passait. C’est vraiment le cliché des albums de séparation dans la culture pop.
LVP : Tu as travaillé avec Jasper Maekelberg (aka Faces On TV) sur ce disque. Ce n’est pas sa première fois avec Warhaus ou même Balthazar.
Maarten : Non, c’est le producteur de la maison (rires). C’est l’un de mes meilleurs amis et nous avons une bonne alchimie.
LVP : C’est important pour toi de t’entourer de personnes que tu connais pour travailler ?
Maarten : Oui, ça aide. Jasper est tellement talentueux ! Je fais très peu confiance aux gens avec mes morceaux. On peut l’entendre dans les arrangements des cordes, il a beaucoup impacté le disque. Il mérite beaucoup de crédit. On a grandi ensemble à travers les années, c’est agréable de voir l’évolution. C’est un vrai privilège de travailler avec lui. En plus, il joue de nouveau sur scène avec moi.
LVP : Tu avais aussi l’habitude de chanter avec Sylvie Kreusch dans tes précédents albums et sur scène. Les chœurs de Ha Ha Heartbreak sont cette fois-ci masculins. Cette orientation découle du thème du disque ?
Maarten : En réalité, il y a quelques chœurs féminins sur l’album. Sylvie chante même un peu dessus, mais ça ne s’entend pas vraiment. C’était très difficile car je savais que tout le monde adorait notre alchimie. Elle a une voix, une élégance et un charisme si incroyables ! Quand on l’invite sur un morceau, on sait qu’il va devenir culte en un claquement de doigts. Nous sommes séparés depuis quelques années, mais nous restons très bons amis. Le disque parle finalement de ma dissociation de toutes les forces féminines présentes dans ma vie. Je suis allé de femmes en femmes depuis ma mère, et j’avais besoin de me trouver moi-même sans me projeter à travers une figure féminine. Dans un sens, il me fallait aller à la rencontre de ma part féminine à moi, mon anima. C’est la raison pour laquelle Sylvie n’est pas là sur le disque. Mais je pense qu’à l’avenir nous allons travailler ensemble de nouveau.
LVP : Parfois, les voix semblent traitées comme des instruments. Dans Time Bomb par exemple, « ticking like a time bomb » sonne un peu comme des percussions. Est-ce que tu dirais que le rythme et la musicalité des mots sont là pour servir la musique ?
Maarten : Évidemment. L’écriture des textes pour moi, c’est la dernière étape. J’écris toujours la musique en premier. Parfois, je peux avoir une petite ligne accrocheuse qui me vient d’abord, comme « ticking like a time bomb ». Écrire des paroles reste un job très frustrant. On a toujours de grandes idées à l’écriture, mais lorsqu’il s’agit de les chanter, ça ne colle pas à chaque fois. Soit ce n’est pas assez accrocheur, ou bien ça ne correspond pas exactement à la mélodie, et il faut alors retourner à l’écriture. Ça apprend aussi à faire des compromis.
LVP : Tu joues le 18 novembre au Point Éphémère. Avec ces nouveaux arrangements et instruments, comment as-tu prévu d’introduire ce disque sur scène ?
Maarten : Le groupe sur scène est génial, c’est le meilleur avec lequel j’aie jamais joué. Jasper et Tijs, qui joue aussi dans Balthazar, sont tous deux multi-instrumentistes. On utilise beaucoup de boucles, on crée des atmosphères. C’est impossible d’avoir tous les arrangements de cordes du disque, mais on peut faire beaucoup de belles choses. On a répété pour nos premiers concerts la semaine dernière, et on a pris beaucoup de plaisir. Je suis très heureux de ce groupe. D’ailleurs, on revient à Paris en mars pour jouer à La Cigale !
LVP : Que ce soit avec Warhaus ou Balthazar, tu prends souvent des bains de foule pendant les concerts. Ça vient d’un besoin de connecter avec ton public ?
Maarten : Je suppose ! Je n’y avais jamais pensé dans ce sens. C’est bien de pouvoir regarder les gens dans les yeux de près.
LVP : Pour finir, pourrais-tu nous confier un artiste ou un morceau qui tournait en boucle dans tes oreilles pendant l’écriture ou l’enregistrement de ce nouvel album ?
Maarten : Je n’ai pas vraiment l’impression d’avoir été influencé sur ce disque en particulier. Je pense que mon ADN musical change toujours un petit peu, il évolue avec le temps. Lorsqu’il s’agit d’albums de rupture, je crois que Blood On The Tracks de Bob Dylan est mon préféré. J’écoute aussi beaucoup Curtis Mayfield, et il me semble que l’on peut l’entendre d’une certaine façon, si l’on sait où chercher.
En perpétuelle recherche d’épaules solides sur lesquelles me hisser pour apercevoir la scène, je passe mes concerts à faire les chœurs depuis la foule.