| Photos : Charlie De Keersmaecker
L’attente fut longue depuis l’annonce de sa sortie en septembre dernier. Quelques singles dans les oreilles pour nous aider à tenir le coup, que le moment est venu pour Warhaus de nous ouvrir les portes du quatrième chapitre de sa poétique aventure musicale. Avec l’amour (toujours) en toile de fond et un impétueux clair-obscur en figure de proue, Karaoke Moon captive autant qu’il surprend et ce, même quand on s’y attend. Rencontre.
Deux ans se sont écoulés depuis la sortie de son prestigieux Ha Ha Heartbreak. Un véritable recueil sur l’amour qui fait mal, celui qui nous fait miroiter l’insaisissable et nous fait perdre tous nos repères, cet amour brisé qui nous fait détester les romances hollywoodiennes qui finissent bien – en général. Un album aussi romantique que déchirant, ovationné aux quatre coins du continent tant il est irréprochable, dont il est aujourd’hui difficile de se séparer. La plus belle claque musicale de cette année 2022 finalement.
Entaché de son cœur brisé, voilà maintenant plusieurs années que Maarten Devoldere en a fait son leitmotiv. Et on lui dit merci. Découvert aux côtés de ses compères de Balthazar il y a déjà près de treize ans maintenant, Maarten en a encore pas mal, des choses à nous raconter. Plume inépuisable et phrasé entêtant, Maarten ne peut s’empêcher de nous conter toutes ces choses imprédictibles de la vie. Aussi belles que désagréables soient-elles.
Son quatrième album, Karaoke Moon, en est la plus belles des preuves. Quelques secondes suffisent à Maarten Devoldere pour nous l’avouer : oui le temps répare toutes les blessures. Aussi cliché que ça puisse paraître d’ailleurs. « Babe, I’m in love with you » s’écrit-il dès l’ouverture de ce nouveau chapitre tel un cri de soulagement, voire de renouveau. Un cri fracassant, qui continuera de résonner sur ces dix titres poétiques où oscillent romantisme et perpétuel désir de changement. Enfermé neuf mois durant aux côtés de Maekelberg, Maarten se réinvente et nous propose l’un de ses albums les plus excitants.
Plus orchestral, ambitieux, mais surtout plus dramatique, Karaoke Moon atteint les sommets. Bien souvent, ses déboires émotionnels tapis dans l’ombre, Maarten leur tend la main et leur offre la plus belles des danses. Nonchalamment, celui qui se considère n’être qu’un énième « escroc parmi tous les poètes » nous envoûte une fois encore. Provocateur et langoureux, en perpétuelle lutte entre lumière et obscurité, Karaoke Moon marque un nouveau tournant dans la vie de l’auteur-compositeur belge.
Une cascade de superlatifs qui font de Karaoke Moon un album qui grandit à chaque écoute, séduisant l’auditeur·rice pour qu’iel ne s’arrête de plonger, minute après minute, dans cet unique univers où il fait extraordinairement bon d’y mettre un pied. De toutes ces nouvelles histoires, Maarten vous en parlera bien mieux que nous.
La Vague Parallèle : Ça fait deux ans que Ha Ha Heartbreak est sorti. Avant de commencer, on voulait savoir : comment tu vas ? Entre le studio, les tournées qui continuent et le reste, tu ne t’arrêtes pas.
Maarten Devoldere : Je vais super bien. La vie est douce avec moi ces temps-ci. Je me sens plus « blessed » que jamais comme le disent ces Américains (rires). Je me sens vraiment bien, je suis pas mal excité à l’idée de la sortie de l’album.
LVP : Il y a 13 ans, on découvre ta voix pour la première fois sur votre premier album, Applause, avec Balthazar. Cinq ans plus tard, ton premier album en solo voit le jour. Aujourd’hui, Karaoke Moon, quatrième album pour Warhaus est (enfin) disponible. Pas mal de choses ont changé depuis la sortie d’Applause en 2011 mais… l’excitation qui entoure la sortie d’un nouvel album, elle, change avec le temps ?
Maarten : Je dirais qu’elle reste la même ! C’est d’ailleurs important de continuer à se challenger, encore et encore, sur chaque album. Si tu ne le fais pas, c’est là que les sentiments qui entourent un album commencent à diminuer. C’est mon neuvième album si on compte tous les projets et étrangement, c’est la première fois que je ne me sens pas des plus sûrs de moi. Je sens comme une tension interne qui persiste. Quand je regarde certaines paroles de l’album, je me dis « pourquoi j’ai fait ça… » (rires). J’en discutais récemment avec des ami·es à moi qui m’ont unanimement répondu que c’était justement bon signe. Que cette incertitude découlait d’une prise de risque, d’un réel enjeu. Au fil du temps, j’ai reçu pas mal de chouettes retours sur l’album, ce qui m’a permis de me détendre un peu plus vis-à-vis de la sortie mais bon…c’est très inconscient aussi comme sentiments. Je connais l’industrie, je sais comment ça fonctionne. Je créé continuellement, je suis déjà sur l’après Karaoke Moon par exemple. Et je pense d’ailleurs que c’est mon mécanisme de défense face à tous ces questionnements, la création. Du coup, si jamais les gens n’aiment pas l’album, je peux tout de suite dire que je suis déjà sur la suite, que cet album appartient au passé (rires).
LVP : Tu parles d’une nervosité face à l’accueil que l’album va recevoir. Au fil du temps et des projets, tu reçois quelques Music Industry Awards, que ce soit avec Balthazar ou avec Warhaus. En en discutant avec d’autres artistes, on s’est rendu compte que pour beaucoup, l’idée de recevoir ce genre de récompense pouvait influencer, dans les deux sens, leur écriture. Est-ce que ce genre de récompense joue sur ta manière de concevoir ta musique ? Est-ce qu’une certaine pression peut en découler finalement ?
Maarten : De la pression, il y en a d’office. Mais je dirais que c’est plus une compétition avec toi-même que tu cherches. J’étais super heureux de recevoir ce premier MIA, c’est évident. Mais je pense que je n’ai jamais été aussi content de moi que sur mon précédent album, Ha Ha Heartbreak. Du coup, quand tu dois penser à la suite, tu ne peux pas t’empêcher de te dire que le suivant doit être encore mieux que le précédent. C’est là que la pression apparaît réellement. La pression de devoir « faire mieux ». C’est quelque chose de très subjectif finalement, se dire que le suivant doit être mieux, plus intéressant, plus dimensionnel, etc.
Est-ce que les récompenses entrent dans la danse ? Je ne sais pas trop. C’est plus cool de dire qu’on s’en fout des récompenses mais je pense, par exemple, que le dernier que j’ai reçu en 2023 en tant qu’auteur pour cet album Ha Ha Heartbreak justement, a eu plus d’importance que toutes les autres récompenses possibles. C’est quelque chose de fort à recevoir, peut-être aussi parce que je me considère plus auteur que musicien ou chanteur. De manière plus générale, en y réfléchissant, je pense que si, en tant que jeune artiste, ton groupe explose et attire tous les regards rapidement et t’emmène directement jouer sur la scène du Sportpaleis, c’est là que ça peut impacter ton processus créatif. Tu te retrouves trop rapidement bloqué·e dans cette machine du « tout doit être parfait », tant les lumières que la scénographie, dans ton image aussi. Au final, tu ne gagnes qu’une chose : ne plus pouvoir réellement jouer, ou expérimenter dans ton coin. C’est rare les artistes qui s’en foutent des succès commerciaux, le truc c’est que si tu touches à ça trop rapidement, ça peut poser problème. C’est d’ailleurs pour cette simple raison que je suis vraiment content qu’on ait pu grandir et évoluer de manière graduelle avec Jinte (Deprez) et Balthazar.
LVP : Il y a quelques mois, Jinte (Deprez) nous expliquait que vous aviez commencé à jouer ensemble à l’âge de 16 ans. Depuis, tu n’as cessé d’écrire, de composer, de créer finalement. De nouvelles idées qui alimentent une créativité sans limite. On se demande, c’est quand que tu as réalisé que tu voulais faire ça pour le reste de ta vie ?
Maarten : C’était à cette époque-là je pense. J’ai toujours été attiré par la musique, comme un désir, une pulsion. Le truc, c’est que dans le monde de la musique, tu as besoin de l’approbation de tout le monde avant de te lancer. Et je suis reconnaissant qu’on ait pu l’avoir dès le départ avec Balthazar. En gagnant le prix du public du Humo’s Rock Rally en 2006, on a reçu cette approbation, cette idée que ce qu’on faisait en valait la peine. Je ne suis pas sûr que j’aurais poursuivi cette voie si tout le monde s’en était foutu de nous durant les dix premières années. J’aurais claqué la porte (rires). C’est dur à dire en réalité, parce que je ne me suis jamais posé la question d’une vie sans la musique comme carrière. C’était super clair pour moi que c’était ce que je voulais faire. Par contre, à l’âge de 15 ans, je n’imaginais pas pouvoir en vivre. C’était quelque chose dont je rêvais, dont on rêvait. À l’époque, notre rêve, c’était déjà le simple fait pouvoir jouer notre musique dans un bar (rires). Puis ton rêve se réalise une fois, tu penses au bar de la ville d’à côté et ainsi de suite. Ça a toujours été une questions d’étapes, de rêves qui s’enchaînent.
LVP : Tu dirais que c’est cette mentalité-là, de se laisser le temps, qui vous a chacun amené là où vous en êtes aujourd’hui ?
Maarten : Dur à dire…Tu vois, au début, on a pas mal joué en Angleterre dans des petits bars merdiques où tous les clichés s’avèrent vrais (rires). On avait rien contre les petits bars mais en Angleterre, c’est autre chose. Tu reçois ni boisson, ni backstage (rires). Par contre, quand tu vas dans les toilettes, tu vois les posters de groupes comme U2 ou Coldplay, qui ont joué au même endroit quelques années plus tôt et c’est là que tu comprends les bénéfices de prendre le temps.
LVP : Une des choses qu’on adore sur ce nouvel album, c’est sa dimension orchestrale. De ses grosses productions à ses chœurs passionnément habités. De la production de ton premier album solo en 2016, We Fucked a Flame Into Being entre les murs de cette péniche, est-ce que ton processus d’écriture est resté le même aujourd’hui : avant tout basé sur l’expérimentation ?
Maarten : Ce que j’ai cherché à faire pour cet album, c’est d’outrepasser autant que possible mon esprit, ou en tous cas son côté très cognitif, très conscient. J’ai voulu me plonger directement dans mon subconscient. Pour y arriver, j’ai gardé un journal de bord de mes rêves. Pendant un an, je notais tous mes rêves ! J’ai pris quelques psychédéliques aussi, pour aller explorer ce subconscient. Et j’ai surtout fait pas mal d’hypnose avec un hypnothérapeute qui m’a aidé à atteindre ce niveau modifié de conscience. J’enregistrais tout à chaque fois, toutes les conversations qu’on a eues. Puis lors de notre dernière séance, j’ai apporté mon clavier. Je lui ai dit : « on fait comme d’habitude, j’improvise des trucs au clavier et j’enregistre tout ». Et finalement j’ai repris quelques mélodies de cette session. C’est un peu l’idée principale de cet album, la recherche du subconscient.
En étant plus jeune, du temps où je travaillais de manière plus disciplinée – ce que je fais encore mais différemment (rires) – pendant plus de douze heures par jours, je n’arrêtais pas de penser qu’il n’y avait pas d’inspiration sans travail. Mais parce que j’entendais souvent que « l’inspiration » n’existe pas, qu’il suffit de bosser pour. Et c’est hyper cliché. Là, j’apprends à faire machine arrière. J’essaye de donner un peu d’espace à l’ennui, un peu d’espace à l’inspiration finalement. Dans le sens où parfois, il suffit juste de se créer un environnement de liberté où tu ne fais que jammer avec des musiciens pour que l’inspiration fasse son chemin. Et tu écris peut-être même encore plus rapidement. C’est quelque chose que j’ai appris l’année passée seulement. Je fais pas mal de méditation et ce que j’en ai appris c’est que parfois, les meilleurs choses arrivent quand on reste en place, quand on ne fait rien. Sur cet album, j’aborde pas mal la masculinité et c’est quelque chose de très masculin de vouloir être en permanence dans l’action, d’être dans cette « chasse » à l’idée. J’ai longtemps réfléchi comme ça mais j’ai appris que oui, parfois, certains morceaux peuvent aussi venir quand je reste tranquille.
LVP : Ces grosses productions dont on parlait plus tôt, tu les as déjà en tête quand tu écris tes textes ou c’est quand Jasper (Maekelberg) arrive dans le processus que ça prend vie ?
Maarten : En tous cas, Jasper me pousse dans mes retranchements. J’avais écrit pas mal de morceaux, de manière très classique finalement. Des morceaux plutôt pop, très artisanaux. J’ai mes habitudes (rires). Et un jour, Jasper m’a dit : « bon, oui ces morceaux sont bien mais il y a rien de surprenant dans tout ça. Je te connais, je sais que tu peux faire mieux. Et toi aussi tu le sais. Tu dois surprendre, ne pas utiliser en permanence les mêmes astuces sinon les gens s’ennuient et se lassent ». Au début, ça m’a énervé, mon ego était touché (rires) mais j’ai vite compris qu’il avait raison. Et j’ai fini par écrire Jim Morrison en 5 ou 10 minutes, parce que je voulais lui prouver que je pouvais le surprendre. Le côté instrumental et le fait de réciter des textes comme sur Winning Numbers par exemple, ce sont des choses que j’ai rajoutées par la suite. J’ai cherché à faire quelque chose que je n’avais jamais fait auparavant. Je voulais faire un album aventureux et intéressant. Et en fin de compte, je suis très heureux qu’il m’ait poussé comme il l’a fait.
LVP : Tu as toujours donné pas mal de place à la musique en tant que telle dans tes morceaux. Encore plus durant tes concerts où les solos de guitares, de trompettes ou de batterie s’envolent en permanence. Le groupe improvise, ou du moins réarrange les morceaux pour les faire durer, leur donner un autre souffle. C’est quelque chose qu’on retrouve pas mal sur Karaoke Moon, cette place laissée à la créativité musicale, aux instruments. On ne peut s’empêcher de déjà penser à ce que cet album va donner sur scène. Ces dernières années, tu as pas mal touré. Est-ce que cette liberté que vous apporte le live a joué dans la création de cet album ?
Maarten : Je n’y avais jamais pensé mais sans aucun doute, je pense que oui. Laisser les choses se faire sur le moment – quand tu fais un album par exemple -, donner leur liberté aux musiciens et improviser, ça change pas mal de choses. C’est pas quelque chose de facile pour moi. Quand on commencé avec Balthazar, on était très conceptuels. On se voyait plus comme des producteurs que des musiciens qui rentrent en studio pour répéter ou simplement jammer ensemble. On se fixait quelques règles plus strictes sur la manière dont les choses devaient sonner, etc. Surtout parce qu’au début, on voulait trouver notre propre son justement. Depuis Applause, c’est quelque chose que j’essaye de désapprendre aussi. J’essaye de donner plus de liberté aux autres, musiciens comme producteur. Et c’est d’autant plus gratifiant parce que tu n’as plus à réfléchir sur chaque mini détail. Il y a certains morceaux que Jasper (Maekelberg) a totalement transformés par exemple, à des niveaux que je n’imaginais même pas possible sur mes morceaux (rires). Et c’est fun comme processus.
LVP : Comment ça marche d’ailleurs la production pour toi. On a cette vague idée des démos comme étant des choses très simples, guitare ou piano-voix. Mais dans la majeure partie du temps, les démos sont déjà bien remplies de couches et d’instruments. Le second morceau de l’album par exemple, No Surprises sonnait différemment sur ta démo à toi.
Maarten : Je bosse pas mal depuis mon ordinateur. Ça sonne pas très romantique mais c’est la réalité. Et j’ai dû apprendre à faire comme ça à cause des tournées. Vu le nombre de tournées qu’on fait, je suis obligé de travailler comme ça. Quand t’es dans un petit van et que tu veux pas ennuyer tout le monde en sortant ta guitare, tu dois trouver une alternative. En faisant tout sur mon pc, je peux l’ouvrir et écrire, composer, sans cette idée que ça pourrait énerver les autres qui veulent juste se reposer. Donc oui, mes démos sont déjà pas mal abouties quand je les envoie à Jasper. Je les bosse tant que je suis pas satisfait de ce que je fais. Si le morceau finit sur un album, ça me va. Je lui donne pas mal de démos et il a le champ libre pour en faire ce qu’il veut. Si j’aime pas, je peux toujours revenir à la version de départ. La majeure partie du temps, ses compositions n’ont rien à voir avec mes démos (rires).
LVP : Il a toutes les libertés (rires) ?
Maarten : En fin de compte, j’aurai toujours le dernier mot (rires). Mais j’ai appris à donner cette liberté aux personnes avec qui je travaille. D’autant plus quand ces personnes sont super talentueuses. On bosse ensemble depuis le premier album de Warhaus. Il connait mes goûts, ce que j’aime. Il a un esprit bien sombre, chose qu’on a en commun (rires). On se complète bien, c’est le seul producteur avec qui j’ai envie de travailler. On partage vraiment un lien unique. Je suis pas toujours fan des productions qu’il fait pour d’autres artistes, mais ça n’enlève en rien à cette connexion artistique et humaine qu’on a depuis toutes ces années.
LVP : Une autre chose qu’on adore dans ta discographie, c’est cette notion de désir – dans son sens le plus général – qui navigue à travers les albums. Un désir qui change continuellement, évolue au fil du temps. Est-ce qu’on peut parler du désir de changement, ou du moins du désir de changer sur ce nouvel album ?
Maarten : C’est joliment avancé. Oui, la notion de désir est très forte. C’est pas un mystère. Je suis quelqu’un qui fonctionne beaucoup à la dopamine. J’en vois dans chaque chose que je fais. Mais ça c’est pour le côté scientifique. Un morceau comme Jim Morrison, où je raconte beaucoup de choses, aborde cette idée. C’est un morceau qui parle du fait de grandir et d’aller chercher de nouvelles choses. De réfléchir aussi à ce que veut dire grandir et d’être acteur de tout ça. À un moment de ta vie, il y a cet appel vers la paternité qui arrive. J’ai 37 ans et j’en ai pas l’impression. Je pense que c’est aussi ce désir-là dont il est question ici. Le désir de grandir, d’appréhender une certaine maturité. Toute la question du désir, de vouloir quelque chose, de désirer quelque chose à tout prix, d’une certaine manière c’est immature. Et c’est ça grandir aussi, c’est réaliser qu’on a pas toujours ce que l’on veut. C’est être humble face à ce qu’on a. Grandir c’est aussi ne plus en attendre de trop, accepter les choses comme elles sont.
LVP : En moins d’une minute, on comprend que tu es plus amoureux que jamais. Where The Names Are Real donne véritablement le ton et la couleur de l’album. Un morceau duquel on peut s’imprégner grâce aux images de Michiel Venmans, où l’on te voit monter et descendre cet immense escalier tout en essayant de garder la flamme allumée jusqu’au bout. Ouvrir l’album sur ce morceau, c’était évident pour toi ?
Maarten : C’était un des morceaux les plus compliqués à terminer. Je pense que j’ai compris que c’était le début de quelque chose le jour où je l’ai écrit. Il combinait plein de choses que j’adorais. C’est à la fois intime et épique. Il y a un peu de mystère qui s’installe, le tout sur une production uptempo mais reposante, puis il y a cette tension. J’avais envie de mettre l’accent sur les paroles mais en même temps, j’adore les mélodies. Pour moi, la musique est mélodie. Je ne voulais pas être ce mec qui chante sur sa musique et c’est tout. J’ai d’abord misé sur les paroles, puis sur la mélodie qui vient comme une petite surprise pour les oreilles. C’est le premier morceau que j’ai expérimenté de cette manière. Il représente à merveille le reste de l’album. Par contre, c’est celui que j’ai eu le plus de mal à terminer.
LVP : Elle était dure à faire la tracklist de cet album ? Sur ton précédent, les morceaux s’enchaînaient de manière très narrative finalement. Ici, chaque morceau raconte sa propre histoire, a son propre univers.
Maarten : Pas vraiment. C’est un album plutôt éclectique. Il y a pas mal d’atmosphères différentes. Et je pense que c’est surtout parce que je me lasse vite. Si j’écoute un groupe qui ne fait que des variations de la même chose, je décroche vite. J’aime surprendre et donner quelque chose d’intéressant à écouter.
LVP : D’autant plus quand tu as plus de 50 morceaux rangés précieusement.
Maarten : Aussi, oui. Tu sais, j’ai jeté un morceau qui devait être sur l’album en dernière minute. Je ferai quelque chose avec dans le futur, j’aime bien ce morceau mais je sais pas, je ne la sentais pas sur cet album-ci. Il y a toujours un moment où j’en ai marre de ma voix, de m’entendre chanter. En fait, aujourd’hui tu vois plein d’albums avec une vingtaine de titres. Qui a le temps pour ça sérieusement (rires) ? Je comprends pas. Quand tu fais un album, tu réfléchis aussi à ce que tu partages au monde qui va l’écouter. Il y a un juste milieu à trouver. Et parfois il faut faire des sacrifices dans ta tracklist. Mais je le garde au chaud ce morceau, j’en ferai d’office quelque chose.
LVP : Karaoke Moon possède cette palette de sonorités très chaudes, à la fois moderne mais qui nous rappelle quelques couleurs des sixties. L’imagerie qui parcourt l’album n’a jamais été aussi cinématographique, aussi dramatique aussi. Un des derniers morceaux de l’album, Hands Of a Clock pourrait être la bande son d’un Tarantino, c’est fou.
Maarten : En réalité, j’ai toujours été attiré par ce côté orchestration et les clichés qui peuvent aussi en découler. Mes premiers morceaux, du temps où j’étais en pleine puberté (rires), étaient déjà super dramatiques quand j’y pense. Ce qui est marrant puisque dans la vie, je suis quelqu’un d’assez tranquille à ce niveau-là. Mais en musique, j’adore jouer avec toutes ces émotions. Ce qui fait que j’ai pas peur de rentrer dans le truc à fond, de mettre plein de violons et d’exagérer la passion qui en découle. Tu cherches la fissure dans certaines choses tout en évitant la ringardise. Après, encore une fois, tout est une question d’équilibre.
LVP : Sur Jim Morrison, dont on a déjà parlé, tu écris : “I’m obsessing over my artist life / I’m obsessed with the idea of being obsessed with an artist life you see”. Tu as 22 ans quand tu commences à recevoir l’attention des médias et des auditeur·rices. Recevoir autant, aussi jeune, c’est compliqué à gérer en tant qu’artiste ?
Maarten : Pas tant que ça au final. D’abord, encore maintenant, je ne suis pas le Flamand le plus connu que tout le monde arrête dans la rue. Je fais pas vraiment d’émissions de télévision, c’est pas ce que je veux faire. Je veux dire il y a plein d’autres artistes en Belgique qui reçoivent beaucoup plus d’attention. Puis je pense aussi que la chance qu’on a eu avec Balthazar, c’est le fait qu’on ait été deux sur le devant de la scène. Il ne s’agit pas que d’une seule personne incarnant le projet. Et au final, ça change pas mal de choses. Ceci étant dit, je pense et surtout avec mon dernier Ha Ha Heartbreak, j’ai été dépassé par pas mal de choses. Dans le sens où parfois, le succès peut aussi te corrompre. De manière très subtile, attention. Tout le monde a ses insécurités et le succès peut parfois jouer avec finalement. Tu te retrouves à réfléchir différemment, à travers ce succès. À un moment, tu trouves ça évident d’être aimé par quelqu’un par exemple. Mais c’est pas normal de penser comme ça. Mais tu le vois pas forcément. Et je pense que ça fait aussi partie de l’apprentissage. J’ai toujours eu de la chance dans ma vie, j’ai toujours été privilégié. J’en ai conscience, et c’est important de s’en rendre compte.
LVP : Avec Balthazar, comme tu dis, vous êtes deux sur le devant de la scène. Les effets sont divisés. Ici, tu incarnes le projet. C’est une autre énergie je suppose ?
Maarten : C’est un peu à double tranchant. D’un côté, tu n’as personne sur qui te reposer on va dire. Ce qui peut être fatigant. Mais d’un autre côté, Warhaus me représente tellement qu’au final, tout est très naturel et facile à porter. Il y a des fois où oui, j’étais pas à fond sur scène parce que je ne pouvais pas faire ce que j’avais vraiment envie de faire artistiquement. C’est pour ça que c’est à double tranchant. Je pense que le moment où tu trouves la chose que tu aimes faire plus que tout, toute l’énergie qui s’en échappe n’est que meilleure. Et pour le coup, je l’ai trouvée. Je fais le meilleur job du monde, je ne me plains pas.
LVP : En mars prochain, tu fais arrêt deux soirs de suite entre les murs d’une Ancienne Belgique – déjà complète. Sur scène, chaque album à son décor, son interprétation. À quoi on peut s’attendre pour le Karaoke Moon Tour ?
Maarten : Eh bien pour être honnête, j’en ai encore aucune idée ! On vient à peine de sortir de la tournée précédente. La tournée reprend en mars mais j’ai dit à tout le monde de prendre un peu de temps off quand même. Je suis quelqu’un de très productif, comme je te le disais, je suis déjà sur la suite, ce qui fait qu’on a jamais beaucoup de temps libre. Pour le coup, on ne reprend pas les répétitions avant le début de l’année prochaine. Si j’y pense trop, je ne m’arrête pas. Je me base sur la tournée précédente et là, j’ai envie de la mettre de côté, de repartir sur autre chose. Dans tous les cas, je suis aussi excité que vous à l’idée de voir à quoi va ressembler le Karaoke Moon Tour !
- 31 Mars 2025 – Ancienne Belgique, Bruxelles (Sold out)
- 01 Avril 2025 – Ancienne Belgique, Bruxelles (Sold out)
Toujours au premier rang d’un concert par amour mais surtout parce que je suis le plus petit. Je fais de la mélancolie mon principal outil.