| Photo : Hollie Fernando
Depuis le succès fulgurant de leur premier single Chaise Longue, les deux nanas de Wet Leg sont partout. Alors, évidemment, quand leur premier album éponyme a été annoncé, les attentes étaient grandes. Pourtant, nous, on n’a jamais douté qu’il serait à l’image des trois autres titres déjà sortis : absolument génial. On en doutait moins encore qu’une mère ne doute de la beauté de son nouveau-né – entre nous, certains enfants sont laids. Mais, devinez quoi ? Wet Leg est un très beau bébé.
Being in Love, c’est le premier titre et celui qui nous donne raison. Son refrain atomise toutes réserves persistantes. Guitare électrique déchaînée et synthé provocateur, le morceau, comme une prémonition, annonce un album qui fait vibrer les sens, attise le lâcher prise. On y entend presque Fell In Love With a Girl des Whites Stripes, la même impatience gonfle d’excitation la poitrine avide de celui ou celle qui écoute. Pas étonnant qu’il soit suivi de Chaise Longue, single phare du groupe, flanqué en début d’album comme pour en finir avec les spéculations. Oui, c’est un super morceau. Mais vous n’avez encore rien entendu. Il représente néanmoins la quintessence de la magie Wet Leg : l’art de dire fuck it avec l’aplomb d’une laitière qui battrait bien autre chose que du beurre.
L’univers visuel imaginé par Rhian Teasdale et Hester Chambers, les deux cerveaux derrière Wet Leg, est, lui aussi, irréprochable et non sans rappeler celui du film Midsommar. En robes cottagecore, bonnets rouges ou jean t-shirt pour le clip d’Angelica, les deux amies déambulent dans des décors aux plaines démesurées, falaises inhabitées. Ode à leur Île de Wight natale ? Wet Leg affirme encore notre théorie selon laquelle la meilleure musique vient des endroits les plus désolés. Comme une île flottante sur la Manche. De celles où, en voyage scolaire, nos toutes premières règles décident de pointer le bout de leur caillot en plein cours d’escalade dans une pension perdue parmi les moutons à poils longs. Mais passons. Angelica parle de cette dèche caractéristique, plus précisément d’une fête pourrie que seuls un synthé aux sonorités de pistolets de guerre des étoiles et une batterie rutilante peuvent rattraper.
Même ambiance du côté de I don’t wanna go out. Si ce n’est que l’on notera, cette fois, une pointe de chagrin à peine occultée par le sarcasme désinvolte des textes de Wet Leg. Sur le bridge, le titre est parcouru d’échos à la Pixies. Mais les filles ne se prennent pas au sérieux et on distingue, en fond sonore, un de ces instruments en forme de grenouille dont on joue avec un bâton en bois à l’arrière de la chorale de l’école.
It used to be so fun
Now everything just feels dumb
I wish I could care
Ce dont Teasdale et Chambers jouissent, et qui n’est pas donné à tout le monde, c’est d’un esprit nonchalant. La nonchalance de celles qui n’attendaient rien et n’avaient, par conséquent, rien à perdre. La légende raconte que Wet Leg est né en haut d’une grande roue par une nuit de brouillard. Parfois, rien de tel que la brume pour y voir clair. Signées chez Domino (Arctic Monkeys, Superorganism, Patrick Watson), le groupe enregistre ce premier album à Londres avant même l’explosion de Chaise Longue. Elles étaient libres d’être vulgaires, punks et rêveuses. En témoigne le candide Piece of Shit, dixième morceau de l’album qui, comme son nom l’indique, parle de merde. Ou, du moins, d’un garçon de merde. Men are trash, dites-vous ? Mais aucune chanson n’est aussi vulgaire, punk ou rêveuse que Wet Dream. Fières héritières de Bikini Kill ou Le Tigre, le duo incite à l’insolence : “What makes you think you’re good enough to think about me when you’re touching yourself?”
Sur Convincing, la voix de Rhian Teasdale se fait Lana del Rey-esque. Le ton est plus suave, concorde avec Loving You, qui vient juste après et dévoile à nouveau le petit cœur derrière les paroles au dédain superbe. “What’s a girl to do?”, conjurent les deux choristes. Ces indices de sentiments parcourent l’album comme une rivière dans un canyon escarpé, démontrant que la nonchalance n’a d’intérêt que si elle dissimule des émotions palpables. Trêve de sentimentalisme. Ur Mum est un titre strident qui rappelle que la catégorie “filles qui crient” est décidément un genre trop peu exploité. Dans le clip, Teasdale et Chambers traînent les pieds en habits de caissières dans une supérette. On y verra un clin d’œil indubitable à Yoga Hosers, film improbable où une Lily-Rose Depp à l’accent canadien combat des saucisses nazies. Un classique.
Bien loin d’avoir pris la grosse tête avec leurs cinq nominations aux NME Awards, les filles de Wet Leg délivrent, sur Supermarket, un son naïf de guitares désaccordées digne des Moldy Peaches. Chœurs désordonnés en arrière plan, le morceau est un peu une version pompette et cathartique de We Are Young – chanson que l’on ne peut plus blairer. Pourtant, on le sait touts·tes: un hymne imbibé de bière au pub, c’est fédérateur. Pendant ce temps, Oh No et ses guitares ultra-saturées façon Crown on the Ground de Sleigh Bells et chœurs ultra-doux est ironique et déluré à souhait.
If you’re going to the party
I heard there’s gonna be some arty
People talking ’bout themselves
Or whatever it is that you always talk about
Doutiez-vous encore de notre éternelle dévotion aux déesses Wet Leg ? Too Late Now, dernier titre de l’album de l’année (ouais on est en avril, vous allez faire quoi ?), scelle pour de bon notre profession de foi. Comme des grandes sœurs arrivées à la fin de la puberté, Rhian Teasdale et Hester Chambers transmettent ce qu’elles ont appris, à savoir que grandir fait peur, que l’anxiété déguisée règne et que les meilleures choses se font avec effronterie et spontanéité. Wet Leg est une claque de sincérité fleurie, frappante de vérités immuables racontées dans une langue qu’on a l’impression de mieux comprendre que le reste.
Too Late Now s’intensifie lentement, atteint un climax et achève l’album sur des paroles qu’on compte bien se faire tatouer sur la poitrine : “I just need a bubble bath to set me on a higher path.” Mood. Wet Leg donnera, le mois prochain, un concert archi-complet aux Nuits Botaniques de Bruxelles et un autre tout aussi complet au Point Ephémère de Paris. On vous avait prévenu·es, ce n’est pas toujours tout rose. Heureusement, vous avez l’occasion de vous rattraper cet été en les acclamant aux Eurockéennes de Belfort ou au Pukkelpop.
Imagine Mercredi Adams qui écoute Abba très fort dans son bain.