Le kid de la scène house fait tremper nos nuques avec la sortie de son premier album What I Breathe. Somme de ses influences londoniennes et de collaborations avec quelques-un·es de ses artistes préféré·es, Mall Grab fournit en capsule l’évolution de son art depuis son arrivée à Londres. Treize morceaux de pur extase, béatitude et de love pour le bonheur de toustes. Enfin, une jolie manière d’officialiser une série de titres qui n’étaient jusqu’ici seulement joués en live et rendre hommage à sa ville d’adoption – là où il a presque tout appris.
On peut fièrement considérer Mall Grab parmi les producteurs de house qui ont marqué la décennie. Le kick de Jordon Alexander enivre la foule. Il traverse le globe en transformant l’air en particules de symbiose. Il retourne la scène du Boiler Room et arrose les festivaliers d’amour et d’idéal. On danse perché·es sur Leaving Tokyo et Pool Party. Son style incisif s’insère dans tous les milieux et vise un public large. Depuis la sortie de Feel U en 2015, ses techniques de mix continuent d’évoluer et il ne cesse de s’inspirer des plus grands. En tête : Laurent Garnier et Daft Punk. Pour ce faire, il se doit lui aussi de sortir son premier long projet.
En préambule de What I Breathe, se trouve Hand in Hand in Wonderland. Un morceau hypnotisant et apaisant par sa mélodie au synthé. Il déshabille les sentiments que ressent l’artiste face à l’aboutissement de son projet. Il fait goûter à la satisfaction et la fierté. Le voilà au-dessus des nuages. De quoi prendre de la hauteur et continuer à flotter.
Du beau monde
Arrivé à Londres il y a six ans, le jeune producteur australien ne connaissait rien ou presque rien du monde qui allait l’entourer pendant ces belles années. L’album marque cette période riche de découvertes. D’une part, par ses références à Londres. Les stars montantes Novelist et D Double serrent amicalement et musicalement la main avec notre DJ sur Times Changes.
“Yeah, I’m fully comfortable
I know the vibes, I’ve seen the signs
I ain’t chasin’ nothin’, I’m unstoppable
Everything is mine, they’re tellin’ lies
I ain’t listenin’, I’m a boss”
Le titre parle aux jeunes qui ont peu à peu grandit avec la musique de Mall Grab et qui sont maintenant adultes. Les amitiés d’un côté et les projets de l’autre. Jordon Alexander nous donne un aperçu de ses journées passées à vagabonder et à rire entre copains. L’accueil est telle qu’on en a oublié l’abruptitude de la capitale. Les paroles rap de Novelist retentit dans la tête en même temps que l’instrumentale de Mall Grab. En profondeur, il nous apprend à éprouver plus de gratitude et de résilience face à ce que nous ne contrôlons pas.
De son coté, Patience fait lui aussi allusion à Londres. Cette fois-ci d’une manière plus douce, avec l’accent londoniens irrésistible qui sans nul doute séduit rien qu’à l’entendre. La voix neo soul de Nia archives ne manque pas de nous rappeler pourquoi on aime Jorja Smith ou encore Sabrina Claudio. Il y a une certaine aisance et tranquillité en elle. Elle remue en nous une envie d’aller se poser au jardin, sous le soleil, dans une de ces petites maisons de Brixton. Understand est sans conteste le morceau le plus surprenant de l’album. Il clash entre la voix punk et de Brendan Yates, chanteur principal de Turnstile et la quiétude du son de Mall Grab. Il atteste aussi de la volonté de l’artiste de jouer avec des artistes pour qui il a une vraie affinité.
Le calme et la tempête
Assurément, l’album offre ses moments de calme. C’est le cas avec Without the Sun. C’est l’espoir naissant d’un renouveau. La mélodie répétitive est remplie de nostalgie. Elle nous fait une massage cérébral comme celui que Mall Grab fait pour déraidir son trouble de l’attention. Elle accorde une rétrospective sur la vie. Les harmonies joyeuses et épiques font imaginer le futur. On se sent petit·e devant l’immensité de la vie comme dans une énorme plaine de jeux. Il ne manque plus qu’à courir, aller explorer ce qui nous attend. Entre les origines australiennes, la fraîcheur de Londres et les paysages brouillés du Japon, son coeur balance. Lost in Harajuku, morceau de fin, se réfère à son amour niponais. Les vocals nonchalants de Jordon Alexander rappellent les influences des Talking Heads et Brian Eno. C’est un merveilleux retour au calme après une série de péripéties mouvementées.
L’album est aussi truffés de bangers, rassurez-vous. Mall Grab fait de Metaphysical, Distant Conversation et Breathing des trouvailles exceptionnelles pour les aficionados de sons club. Une envie de bouger monstre, la fièvre du samedi soir version rave des 90′. Certes, c’est une musique qui rassemble. Elle réunit des mondes différents autour de quelque chose de commun. Cependant, certaines expériences sont faites pour être vécues seules. On déchiffre chez Mall Grab la volonté de mettre en avant la notion du corps, le temps et l’espace. Afin de bien comprendre son message, ces morceaux doivent assurément être vécus dans le corps avant de l’être dans la tête.
D’autre part, l’album évolue au fil des différents styles musicaux manœuvrés avec naturel par l’artiste. On est loin de la lofi-house de ses débuts avec les effets glitch, les cassette VHS et les samples brumeux. Malgré tout, il garde cette patte from scratch qui lui donne son cachet old school. Sa musique puise de toute évidence dans la house. Love Reigns sortie en 2021 en est un exemple. Plus house tu meurs. Le morceau se prêtant parfaitement au genre est un morceau important de l’artiste. Il figure sur la tracklist de l’album dans une version plus récente. Par son air feel good et sa mélodie efficace en si mineur, le flow naturel de Love Reigns manifeste le bonheur. Pour l’anecdote, Jordon à produit cette musique dans l’environnement qui lui a toujours plu : entouré de ses potes et se baladant de nuit dans le métro londoniens.
Transcender les genres
Cependant, notre DJ se prête désormais à mélanger grime, jungle, house tendant plus en plus vers la techno. L’album constitue en fin de compte un joli méli-mélo : l’assemblage entre nouveaux morceaux et fractions d’anciens lives. Dans sa démarche, on comprend aussi celle du label Steel City Dance Discs dont il fait partie : transcender les genres. Cela explique son ouverture à l’expérimentation et les nombreuses productions d’EP les unes toutes plus uniques que les autres. Considérant chacun d’entre eux comme une vie singulière de l’artiste.
La volonté de l’artiste n’était pas spécialement de tenir un fil rouge durant le processus créatif. Il a d’ailleurs du mal à le définir lui-même. Mais sans doute, voulait-il simplement nous montrer qui il est aujourd’hui, en tant que Jordon Alexander l’artiste et Mall Grab, le producteur. Son travail dans sa forme la plus honnête et authentique résulte enfin d’une réflexion plus profonde. Sans le savoir, écouter What I Breathe dévoile notre besoin d’échapper à la pression du quotidien et se réfugier dans l’écoute d’une musique anesthésiante. Véritable remède contre la rumination et l’anxiété. Cette musique vient nous rappeler qu’à la fin de la journée, tout n’est qu’amour. L’être humain dans toute sa complexité, réfléchit toujours beaucoup et ne devrait pas autant se prendre au sérieux. Mall Grab cite d’ailleurs « Beaucoup de gens ne sont pas prêts à s’amuser et à se concentrer sur le moment présent ». Avec cet album, on aura au moins une bonne excuse pour essayer.
Coldplay à la maison, Boris Brejcha en soirée et Herbie Hancock pour rester cool quand je crame mes crèpes.