Widowspeak nous a impressionné·es lors de leur passage à Petit Bain dans le cadre d’une tournée européenne. Le duo new-yorkais est venu jouer son dernier album et nous a plongé dans une rêverie qui se poursuit depuis. Retour sur ce concert d’une beauté éternelle.
L’entrée sur scène du duo est discrète. Molly Hamilton (guitare et voix) et Robert Earl Thomas (guitare) font, modestement, leurs ultimes réglages avant de quitter l’estrade et de revenir quelques minutes plus tard accompagné·es d’un bassiste, d’un batteur et d’un pianiste. Iels s’installent et Robert donne un premier coup de médiateur qui fait vibrer les cordes de sa Rickenbacker : le ton est donné. Ce ne sont pas elleux les stars, mais bien la musique qu’iels projettent. On voit presque le grain de la pellicule filtrer la scène de Petit Bain tellement leur son crée une ambiance cinématographique. Une balade sonore américaine commence, dont iels sont les metteur·euse·s en scène.
Widowspeak a déjà quelques albums au compteur (5) avant de présenter The Jacket, leur sixième. Ce concept-album présente l’histoire d’un groupe country parti sur les routes dont on suit les pérégrinations. Dans cet album aux influences musicales inédites, davantage americana ou outlaw country, le duo poursuit avant tout l’exploration de la niche dream-pop en lui donnant des aspects plus anguleux. Ces inspirations ne modifient toutefois pas la couleur générale de leur musique. Widowspeak reste un groupe sous-estimé de la grande famille du rock indé. Iels réussissent à créer, par des ponts entre les années 1960, les années 1990 et aujourd’hui, une discothèque pleine de références et de nouveauté. Leur musique s’écoute les yeux fermés et chacun·e se projette dans un univers mental avivant nostalgie et envie de voyage. Ce n’est pas un hasard si leur set se termine par une reprise de Chris Isaak, Wicked Games, utilisé par David Lynch dans Wild at Heart (Sailor et Lula en VF).
Si on rembobine la soirée, le concert s’est ouvert sur la performance de Macie Stewart en première partie. Les compositions complexes de baroque folk qu’iel a jouées n’ont pas pu s’épanouir totalement dans une configuration seul·e en scène. Le soutien de la saxophoniste Morgane Carnet sur les deux derniers morceaux a donné la force qui manquait au début du set. Dans un Petit Bain au public nombreux mais loin de sa pleine capacité, Macie a préparé l’expérience de la ballade à venir.
Molly et Robert se sont alors positionné·es au centre de la scène, entouré·es de leurs musiciens et ont commencé à jouer le morceau The Jacket. Molly chante de sa voix douce, presque susurrée : “I’ll keep you, I wouldn’t leave / What Hearts broke on that sleeve ?/ Sun Fades you, I’ll drive the car / Show me how you look in the dark”. À la manière des réalisateur·trice·s qui avec trois bouts de ficelle vous font vivre des émotions incroyables, Widowspeak arrive avec de vieilles recettes musicales et des paroles simples à vous faire questionner toute votre vie et votre discographie. La voix planante de Molly avait un peu de mal à ressortir puissamment des enceintes de la salle, mais après quelques réglages, toute l’assistance était suspendue à ses lèvres. Elle a d’ailleurs remercié ce public si calme et attentif alors que, je cite, « les New-yorkais·es ne font que parler [pendant les concerts] ».
Dans cette ambiance de cathédrale flottante, les riffs de Robert résonnaient à la manière d’un tonnerre divin. Widowspeak revendique son statut de groupe de guitare et l’assume avec brio en live. Le gimmick de la chanson The Good Ones est d’une efficacité sereine. Avec While You Wait, Salt, puis All Yours qui s’enchaînent, le couple reprend ses influences rêveuses mêlées à des cordes classic-rock. Tandis que Robert fait le show avec ses gestes assurés sur le manche et aux pédales, Molly concentre toute notre attention par cette petite voix qui ouvre les portes d’un univers si américain.
Widowspeak est avant tout une géographie états-unienne. Celle des grands espaces du pacifique d’où Molly est originaire jusqu’au quartier de Bushwick à Brooklyn, nouveau centre de la contre-culture new-yorkaise. Le couple a décidé de se réinstaller en ville après plusieurs allers-retours entre l’Etat de Washington et le nord de l’Etat de New-York. Ces mouvements et ce que chacun de ces espaces drainent dans les imaginaires est capturé sur les morceaux présentés au public. The Jacket contient toutes ces influences au point d’être le meilleur opus du duo. Au travers des 8 morceaux joués ce soir-là sur les 10 présents sur l’album, le public a entrevu ces grands espaces américains, s’est souvenu de la musique de Neil Young ou de Cat Power, s’est imaginé partir en cavale comme Sailor et Lula. Toute la force de Widowspeak réside dans la façon d’ouvrir l’esprit à la rêverie, et c’est ce qu’on attend de la meilleure dream-pop et des ballades rock comme True Blue.
Si l’on ajoute à cela les quelques tubes des précédents albums que le groupe a interprété : Plum, Gun Shy, Money, la soirée était un véritable rêve pour les fans du duo. Widowspeak nous a offert un concert rare de précision et de communion collective. La vulnérabilité de leur son résonne parfaitement avec toutes les émotions que l’on espère vivre lors d’un live. Cette étrange alchimie entre un son et une voix, qui fait d’un sentiment de fragilité un moment de beauté suspendu, a transformé notre dimanche soir en éternité. On veut déjà tout rembobiner et vivre à nouveau ces moments. C’est possible car on se souvient du film en entier.
Je soutiens la thèse que Lana Del Rey est la nouvelle Bob Dylan.